Voici la recette des télévisions « de droite » pour saboter le travail du GIEC

Capture d’écran d’une émission dédiée au «  refroidissement climatique » réalisée sur plateau de CNews, le 6 mai 2019.
Capture d’écran d’une émission dédiée au « refroidissement climatique » réalisée sur plateau de CNews, le 6 mai 2019.

CLIMAT - Comment faire pour démonter un consensus scientifique international établi par une centaine d’experts ? Dans une nouvelle étude, publiée cette semaine dans Nature, des chercheurs d’Oxford répondent à la question, et leurs conclusions correspondent de façon troublante au discours que l’on peut entendre sur certaines chaînes d’information françaises.

Les experts ont ainsi analysé la manière dont les chaînes de télévision du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Australie, du Brésil et de la Suède ont couvert la sortie du rapport du GIEC en 2021. Leur conclusion tient en une phrase : « Nous constatons que le scepticisme à l’égard de la science du climat est de plus en plus absent des chaînes grand public, mais toujours répandu dans les chaînes de droite ».

Cela vous rappelle quelque chose ? « Ces trois dernières années les médias grand public français sont montés en compétence sur les sujets climat » constate Laurent Cordonier, directeur de recherche à la fondation Descartes. « À côté de ça, les médias d’extrême droite ou conservateurs continuent de véhiculer des propos climatosceptiques, soit par négation pure et simple du dérèglement climatique, soit par des stratégies plus fines » complète le sociologue.

Dans leur étude, les chercheurs d’Oxford détaillent différents moyens de saboter le travail du GIEC lorsqu’on est une chaîne de TV. Voici en quatre points la recette, et ses exemples à la sauce française.

Ne pas parler du changement climatique

Précisons tout d’abord que si l’étude s’intéresse aux chaînes de télévision et non pas aux journaux ou aux émissions de radio : la télé est le moyen de s’informer le plus répandu dans le monde. Il en va de même en France, « y compris sur les sujets climat » précise Laurent Cordonier. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne jouent pas toujours le rôle de sensibilisation qui leur incombe.

En 2021, année record pour la déforestation dans la jungle amazonienne, les chaînes brésiliennes sont celles qui ont le moins parlé de la sortie du rapport du GIEC. Elles y ont consacré seulement 12 minutes d’antenne. « Ce silence particulièrement évident est dû aux chaînes brésiliennes de centre droit et de droite », affirme le rapport alors que le président d’alors Jaïr Bolsonaro est lui-même d’extrême droite . Le moyen le plus simple de saboter le travail du GIEC reste encore de choisir de ne pas en parler.

Sur le petit écran français, les programmes dédiés à l’environnement sont quant à eux de moins en moins présents. En 2020, l’INA notait qu’il y a à la télévision 5,5 fois moins d’émissions dédiées au climat qu’il y a dix ans. Après 2009, année culminante pour les documentaires engagés (notamment avec les réalisations de Yann Arthus-Bertrand), le nombre de programmes dédiés à la question est tombé en flèche.

Depuis 2020 cependant, des initiatives se sont développées allant dans le sens d’une prise de conscience : une charte pour le journalisme à la hauteur de l’écologie, ainsi que des plans de formation au sein des groupes France télévision et TF1. Les chaînes ont aussi respectivement lancé de nouveaux formats : une chronique hebdomadaire « Une idée pour la planète », et l’émission « Terre Augmentée ».

En parler, mais avec des invités climatosceptiques

Il existe une technique plus redoutable que le silence : les invités qui contredisent les faits scientifiques. Un mécanisme particulièrement présent sur les chaînes de droite, remarque l’étude d’Oxford : « 73 % des programmes de ces chaînes ont eu des invités climatosceptiques, contre 53 % dans les médias grand public ». Ils relèvent par exemple des propos exprimés par des invités de la chaîne américaine conservatrice Fox News, qui remettent en question la responsabilité du changement climatique dans l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes.

Les invités climatosceptiques occupent aussi le paysage audiovisuel français. En mars dernier, la chaîne CNEWS invitait sur son plateau Christian Gerondeau, ancien haut fonctionnaire et climatosceptique notoire. L’essayiste, venu présenter son livre et ses idées, a notamment affirmé que « la température mondiale baisse depuis 2015 ». Des propos complètement faux, comme l’a expliqué ensuite l’Agence France Presse sur twitter.

Ces invités climatosceptiques contredisent directement le rapport du GIEC, ou minimisent son message. En juin dernier, la géographe Sylvie Brunel était invitée de BFMTV. Interrogée sur les records de chaleurs historiques battus en France à l’époque - l’été 2022 est le plus chaud jamais enregistré en Europe - et sur les conséquences à venir du réchauffement climatique, l’experte répond sourire aux lèvres : « Ce n’est pas invivable ! Il faut quand même se souvenir que dans l’histoire de l’humanité les périodes chaudes ont été des périodes ou l’agriculture a été favorisée, et que le drame c’était les périodes froides. » Des propos qui ont fait bondir les experts sur le climat.

Ajouter des journalistes climatosceptiques

Mais plus tard, l’étude d’Oxford dresse un tableau encore plus problématique. « Dans la plupart des cas, c’est le présentateur ou le journaliste qui a exprimé des discours sceptiques et non les invités » analysent les chercheurs.

Un constat qui rappelle la confrontation sur CNEWS entre les journalistes de l’émission L’Heure des Pros et l’activiste pour le climat Claire Nouvian, le 6 mai 2019. Alors que la militante évoque le constat fait par le GIEC, Pascal Praud lui rétorque « Il y a des gens qui sont scientifiques et qui remettent ces faits en cause ».

Sa collègue Élisabeth Lévy ajoute ensuite « Il y a un consensus sur la réalité du changement, mais pas sur ses causes et sur son évolution ». Or le GIEC affirme depuis 2007 avec certitude la relation de causalité entre les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines et le changement climatique.

Le poison du scepticisme « raisonnable »

Le dernier rouage identifié par Oxford reste le plus subtil : « sur les chaînes de droite les sceptiques combinent le scepticisme sur les preuves et le scepticisme de réaction ». Par exemple, Fox News a critiqué le rapport du GIEC sur le fond, mais la chaîne a également inclus un large éventail de critique sur les moyens d’action proposés par les scientifiques.

« C’est exactement la même chose en France » remarque le sociologue Laurent Cordonier. « Sur les chaînes de droite, on est passé d’un scepticisme qui portait sur l’existence du phénomène à un scepticisme qui porte sur la gravité des conséquences et l’opportunité des actions ». Un mécanisme encore plus dangereux, car ces discours semblent construits et raisonnables.

C’est le cas des propos du « climatoréaliste » François Gervais. Interrogé sur CNEWS en juin 2022, il déclare d’une voix calme et posée : « Il y a un réchauffement c’est indéniable, mais ce n’est que très partiellement dû au CO2. Nous sommes un millier de scientifiques à dire qu’il n’y a pas d’urgence scientifique. » Un mélange de vrai et de faux qui a de quoi convaincre le téléspectateur.

Ironiquement, ce risque est pointé du doigt par le GIEC dans son dernier rapport. Le groupe d’experts alerte sur le fait que « dans le cas où ils exacerbent la désinformation, les médias peuvent entraver l’action climatique ».