Le Rassemblement national pourrait-il vraiment exclure les binationaux de certains métiers ?

Le Rassemblement national souhaite « empêcher » les personnes avec une double nationalité d’occuper « des emplois extrêmement sensibles ».
aronaze / Getty Images Le Rassemblement national souhaite « empêcher » les personnes avec une double nationalité d’occuper « des emplois extrêmement sensibles ».

POLITIQUE - « Empêcher » les personnes avec une double nationalité d’occuper « des emplois extrêmement sensibles ». C’est l’une des propositions développées par le député du Rassemblement national Sébastien Chenu sur TF1 et reprise par Jordan Bardella lors d’une conférence de presse ce lundi 14 juin à Paris.

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« Nous entendons effectivement réserver un certain nombre d’emplois stratégiques dans les secteurs notamment liés à la sécurité et à la défense exclusivement à des citoyens français », a confirmé le chef de file du RN aux législatives, notant que cela concerne « très très peu de personnes ».

La mesure d’interdiction porterait sur « des emplois extrêmement sensibles, par exemple des gens qui soient binationaux russes pour occuper des postes de direction stratégique dans la Défense », avait précisé Sébastien Chenu sur TF1.

Le HuffPost a demandé à Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, de nous éclairer sur la constitutionnalité de cette proposition. Pour ce spécialiste, en annonçant cette mesure, le RN mise sur une « une certaine docilité du Conseil constitutionnel ».

Le HuffPost. D’un point de vue constitutionnel, que pensez-vous de cette mesure ?

Mathieu Carpentier. Ce que propose à l’heure actuelle le RN, ce n’est pas de faire la différence entre ceux qui sont Français de naissance et ceux qui ont acquis la nationalité. Cela implique uniquement de faire la différence entre ceux qui ont une seule nationalité, la nationalité française, et ceux qui ont une double nationalité.

Ce qui suppose à la fois des gens qui à la naissance ont eu deux nationalités - soit par le double droit du sol en France, soit par le droit du sang en France et dans un autre pays -, des gens qui sont nés avec une nationalité étrangère et qui ont acquis la nationalité française.

Donc à mon avis, le Conseil constitutionnel jugerait qu’il y a une différence de traitement qui violerait manifestement le principe d’égalité. Dès lors que l’on est Français, quel que soit le mode d’acquisition de la nationalité française, tout le monde jouit des mêmes droits et des mêmes obligations.

Interdire l’accès à certains emplois à des Français dotés d’une autre nationalité me semblerait contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a toujours affirmé qu’être français, c’est être français. C’est sa position, qui est d’ailleurs la position tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d’État.

Après, avec le Conseil constitutionnel, on n’est jamais sûr de rien. Mais je pense qu’il a dans sa jurisprudence suffisamment de ressources pour lui permettre de censurer une telle mesure.

Est-ce déjà arrivé que cette position soit remise en cause ?

La seule hypothèse dans laquelle le Conseil constitutionnel a pu admettre, dans une décision célèbre de 1996, qu’il puisse y avoir une différence, c’est en matière de déchéance de nationalité. Ce qui avait d’ailleurs entraîné, sous la présidence Hollande, l’hypothèse d’une révision constitutionnelle permettant d’étendre la déchéance de nationalité au-delà des cas de nationalité acquise par naturalisation.

Le Conseil constitutionnel a réservé cette possibilité aux cas d’acquisition de la nationalité par naturalisation, en partant du postulat que la plupart du temps, ces personnes avaient une autre nationalité - sauf si elles avaient renoncé à leur ancienne nationalité ou qu’elles étaient apatrides. Donc que dans la grande majorité des cas, elles conservaient tout de même une nationalité.

Et on peut dire que dès lors qu’ils ont acquis une nouvelle nationalité française, il y a malgré tout une sorte de contrat moral qui fait que ces personnes qui ont acquis la nationalité et celles auxquelles elle a été attribuée à la naissance sont dans une situation différente. Mais seulement au regard de la déchéance de nationalité.

La loi limite l’accès à certains emplois dans la fonction publique aux personnes étrangères. En quoi est-ce différent ?

C’est exact, les personnes étrangères peuvent avoir accès à la fonction publique, mais pas à de nombreux emplois dits « de souveraineté ». Mais je vois mal une justification qui consisterait à exclure radicalement de certains emplois des concitoyens pour la simple raison qu’ils auraient une autre nationalité.

Ce que dirait le Conseil constitutionnel, c’est qu’il appartiendrait le cas échéant à l’administration, sous le contrôle du juge administratif, de vérifier par exemple le fait que quelqu’un soit de double nationalité russe et pourrait poser problème au regard de l’acquisition de tel poste. Mais cela se ferait au cas par cas.

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