Quand la « réindustrialisation », chère à Emmanuel Macron, ulcère les riverains des gigafactory

Usine en construction, image d’illustration
Pexels

USINES - Réindustrialisation ? Le mot ne quitte pas la bouche du président Macron, lui qui en mai dernier parlait même de « l’accélérer » pour « rivaliser » avec les États-Unis. Faire revenir les usines sur le territoire français, en particulier les productions essentielles, relocaliser les productions pour faire revenir l’emploi industriel… Le projet a tout pour faire l’unanimité. Mais c’était sans compter sur les oppositions locales.

Le groupe STMicroelectronics en sait quelque chose, avec sa « gigafactory » de composants électroniques en projet à Crolles, en Isère. L’usine ressemble pourtant au ticket gagnant : symbole d’une high-tech capable de se développer ailleurs qu’en Asie du sud-est, elle est soutenue, très soutenue, par le gouvernement d’Élisabeth Borne.

Le plan France Relance subventionne ainsi la fabrique à hauteur de 2,9 milliards d’euros, sur un budget total 7,5 milliards. À la clef, l’augmentation considérable de la production française de semi-conducteurs, 18 milliards d’investissements sur tout le territoire, la création d’un millier d’emplois. Mais aussi des citoyens en colère.

« À quoi sert ce pillage ? »

C’est ainsi que samedi 9 septembre, plusieurs centaines de manifestants sont attendus sur le site de la future usine, dont la construction a commencé en mai 2023. Ils exigent l’arrêt du projet, au nom, avant tout, de l’accaparement de l’eau. « La consommation en eau devrait atteindre 29 000 m3 en 2023-2024, soit 336 litres/secondes […] et rejette 40 tonnes de boues bien dégueulasses par an », dénonce le collectif « De l’eau, pas des puces ! » sur son site. « À quoi servent ce pillage des ressources naturelles et ces rejets polluants ? À la fabrication d’objets high-tech inutiles socialement et eux-mêmes énergivores », s’insurge la lettre ouverte qu’il a diffusée.

Ce que dénoncent ces habitants, d’autres le font ailleurs, pour les mêmes raisons. À Courmelles (Aisne), un projet d’usine de laine de verre Rockwool défraie la chronique depuis plusieurs mois. Une fabrique jugée trop gourmande en eau par les 1500 opposants venus manifester sur le site en juin dernier, en plus de l’émission de particules polluantes dans l’air. À Corcoué-sur-Logne (Loire-Atlantique), c’est contre un « méthaniseur XXL » et ses conséquences sur les terres environnantes que la population locale s’est levée.

Alors, la réindustrialisation, réelle ou supposée, est-elle forcément synonyme de colère des riverains ? Qu’elles touchent à l’environnement, à la santé, où à la valorisation immobilière, ces luttes ont un point commun : le refus d’avoir, à sa porte, dans sa localité, une usine. Certains le qualifient de NIMBY, le raccourci de l’expression anglaise « Not in my back yard » pour « Pas dans mon jardin », mais c’est un qualificatif trop réducteur pour le combat des concernés.

NIMBY ? Pas seulement

Ainsi « Stopmicro38 », le collectif contre l’agrandissement de l’usine de Crolles, explique au HuffPost mener un combat qui dépasse largement les enjeux locaux. Pour ces militants, la question est de « ramener la question industrielle dans le débat », en se demandant si « ces productions répondent à des besoins réels ». Autrement dit, derrière l’opposition à STMicroelectronics, le mouvement associe crainte locale (l’épuisement des ressources en eau) et opposition sur le fond. Autant « Soulèvements de la Terre » que « Touche pas à mon village », en somme.

Capture d’écran du site « Stopmicro38 »
Stopmicro38

Pour Caroline Granier, économiste à La fabrique de l’industrie, un think-tank issu de l’Union des industries et métiers de la métallurgie, ce n’est pas une fatalité que projets industriels riment forcément avec opposition locale. « C’est un facteur qu’il faut maîtriser » explique-t-elle au HuffPost. Non seulement en mettant en valeur les aspects positifs du projet, comme l’emploi ou les retombées économiques locales, mais aussi par la concertation.

Au-delà d’une certaine taille, toute installation d’une usine déclenche la mise en place d’une plateforme de débat public. Mais les industriels sont incités à aller plus loin, à entrer en contact le plus tôt possible avec le tissu local : « Lorsque l’industriel arrive avec un projet déjà établi, ça peut être mal pris », confirme Caroline Granier.

Pari gagné pour Verkor, perdu pour Bridor

Mais cette démarche ne suffit pas toujours : « la participation [des citoyens] dépend énormément du territoire. Il n’y a pas de cas unique : sur des territoires à tradition industrielle, avec tissu solidaire, ce type de frein est moins important que par exemple sur un territoire agricole », reprend l’économiste.

Résultat, des fortunes diverses pour les giga-usines et autres fabriques prévues sur le territoire, dont le sort a parfois fait les gros titres. Si l’usine Verkor, à Dunkerque, fait figure de modèle après une consultation réussie, en Bretagne, le groupe de pâtisserie Bridor a fini par s’incliner face aux multiples recours légaux en renonçant à son usine. Près de Soissons, l’usine de laine de roche Rockwool a gagné en justice mais fait toujours face à une opposition locale décidée.

La « réindustrialisation » suit donc un cours rythmé par les recours en justice et les réunions publiques d’habitants en colère, au gré de paramètres aussi divers que la région d’implantation, le type de production, ou les pollutions qui en découlent. « Nimby » ou préoccupation plus altruiste sur l’état de la planète, les riverains sont loin de donner un blanc-seing à ces initiatives, que les pouvoirs publics locaux les soutiennent (comme avec STMicroelectronics) ou s’y opposent (comme avec Rockwool).

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