Les professeurs sceptiques sur l'annonce de Gabriel Attal sur les mineurs radicalisés à l'école

Le ministre de l'Éducation souhaite "des structures spécialisées" pour accueillir des collégiens et des lycéens radicalisés. Les syndicats enseignants pointent le flou du dispositif annoncé par Gabriel Attal, impossible en l'état actuel du droit.

Une annonce forte aux contours bien flous. Moins d'une semaine après la mort du professeur Dominique Bernard tué par un ancien élève à Arras, Gabriel Attal a annoncé jeudi soir sur France 2 vouloir "penser à des structures spécialisées" pour "sortir" les élèves radicalisés des collèges et des lycées.

Les professeurs surpris

Dans les rangs des collèges et des lycéens, l'annonce surprend. Si la question de la radicalisation des jeunes a bien été abordée lors d'une réunion avec les syndicats d'enseignants ce mardi, l'heure semblait plutôt à la réflexion.

C'est une vraie préoccupation. Le ministre nous a demandé ce qu'on pouvait faire de ces adolescents, si on devait les garder au sein de l'école", explique Sophie Vénétitay, secrétaire général du SNES-FSU, auprès de BFMTV.com.

"On lui a répondu qu'il ne fallait pas tarder mais que la question était complexe et qu'on aimerait en discuter avec un représentant du ministère de l'Intérieur. On est un peu tombé de la chaise en l'attendant annoncer ça 48 heures plus tard", avance encore cette professeur de SES.

"Il ne se passe rien" après des signalements effectués par des professeurs

La mesure de "sortie" d'un jeune radicalisé s'appliquerait dans le cas où des personnels de l'Éducation nationale signaleraient "des élèves qui constituent selon eux potentiellement une menace" et qui nécessite de "trouver une autre solution que de les scolariser", a détaillé Gabriel Attal jeudi soir.

La mesure doit s'appliquer dans les cas d'élèves où "il y a un tel embrigadement familial ou de l’environnement, que l’on ne se bat plus à armes égales".

Pour justifier cette mesure, le membre du gouvernement s'est appuyé sur l'attentat de vendredi dans le Pas-de-Calais. L'assaillant présumé Mohammed Mogouchkov avait été signalé lorsqu'il était élève de cette cité scolaire pour des faits de "contestation d'enseignement" et des "menaces", d'après le ministre.

"Des enseignants font remonter des signalements comme ça a été le cas à Arras, il ne se passe rien. C'est d'abord là-dessus qu'il faut agir", tance Jérôme Fournier, professeur d'histoire et secrétaire national éducation du SE-Unsa.

1.000 mineurs fichés S pour "islamisme"

Le suivi des élèves radicalisés est au cœur des inquiétudes de l'exécutif. Gérald Darmanin a indiqué sur BFMTV ce jeudi soir que "plus de 1.000 mineurs" ont une "fiche active pour islamisme".

"Plusieurs dizaines" d'élèves ont également fait l'objet de signalements depuis la rentrée de la part d'équipes éducatives, a encore annoncé Gabriel Attal.

Mais à quoi pourraient ressembler ces établissements qui accueilleraient ces élèves "sortis" de l'école? S'agirait-il d'un établissement scolaire dédié qui les accueillerait par département ou par région? Les jeunes seraient-ils en internat? Les professeurs qui y enseigneraient auraient-ils une formation spécifique?

Des structures qui pourraient ressembler à des centres éducatifs fermés

Le flou pour l'instant demeure. "On doit penser à des structures spécialisées qui peuvent les accueillir", s'est contenté d'indiquer Gabriel Attal.

"Je ne vois pas à quoi d'autre ça pourrait ressembler qu'un centre éducatif fermé. Et là, ça ne concerne plus l'Éducation nationale", avance le proviseur Didier Georges, élu national du syndicat SNPDEN-Unsa.

Ce dispositif accueille des jeunes placés sous contrôle judiciaire, condamnés avec sursis et mise à l'épreuve ou font l'objet d'une libération conditionnelle après une peine de prison. Les centres éducatifs fermés dépendent de la Justice. Les mineurs sont obligés d'y résider sous la surveillance d'adultes et doivent respecter une obligation d'instruction jusqu'à 16 ans.

Des exclusions d'élèves très cadrées par la loi

En l'état actuel des textes, la radicalisation d'un mineur, qui ne dispose pas d'une définition juridique précise, n'est pas considéré comme un délit. Les équipes éducatives disposent cependant d'un "livret sur la prévention de la radicalisation" à destination des chefs d’établissement.

Parmi "les signes à repérer", "un "intérêt soudain et excessif pour la religion ou une idéologie", une rupture familiale ou encore le changement de tenue vestimentaire ou de comportement.

Plus largement, la question du cadre juridique interroge. En l'état actuel du code de l'Éducation, seul un élève passé devant un conseil de discipline peut être exclu définitivement d'un établissement.

Cette procédure est très cadrée par la loi et prévoit un délai, une procédure contradictoire et la possibilité d'un recours de la part de la famille.

"On ne peut pas lancer une procédure disciplinaire sur des soupçons"

Gabriel Attal a évoqué de son côté jeudi soir "des mesures conservatoires d'exclusion pour "protéger les personnels de l'Éducation nationale" pour "sortir" l'élève de l'école.

Cette mesure exceptionnelle ne peut être pris que lorsqu'elle est justifiée "par la nécessité de l'exclusion de l'élève pour garantir l'ordre au sein de l'établissement" comme le précise la loi.

Elle nécessite aussi "d'avoir déjà engagé" l'organisation d'un futur conseil de discipline. Gabriel Attal a publié en catimini un décret en août dernier faisant figurer "les atteintes à la laïcité" comme motif de convocation de cet organe.

"On ne peut pas lancer une procédure disciplinaire sur des soupçons de radicalisation. Il faut un acte précis. Cela n'est pas interdit dans les règlements intérieurs des établissements scolaires", explique Laurent Kaufmann, principal de collège à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et secrétaire général du Sgen-CFDT.

La crainte du "côté contre-productif"

"On doit avoir des motifs concrets pour exclure un élève. Et il faut aussi que les faits se passent au sein de notre établissement. Un jeune qui commet des faits répréhensibles en dehors de l'école ne peut pas tomber sous le coup de sanctions internes", précise encore Jérôme Fournier, professeur d'histoire-géographie.

Enfin, la question du retour pose question parmi les professeurs. "Qui décide que ces jeunes reviennent? Qui les suit une fois à nouveau dans leur établissement?", s'interroge Sophie Vénétitay, secrétaire général du SNES-FSU.

"Il faut faire attention au côté contre-productif. Imaginons que ces jeunes en veuillent encore plus à l'école de la République après et qu'ils passent à l'acte? Ce serait un terrible aveu d'échec", s'inquiète la professeure.

Un "peu plus de 500 incidents" ont été notifiées par des chefs d'établissement après l'hommage lundi aux professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard.

Article original publié sur BFMTV.com

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