Procès du double assassinat de Bastia-Poretta : deux mois d’une audience « hors normes »

La police technique et scientifique à l’aéroport de Bastia, le 5 décembre 2017, après l’assassinat d’Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni.
PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP La police technique et scientifique à l’aéroport de Bastia, le 5 décembre 2017, après l’assassinat d’Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni.

JUSTICE - Peu auraient parié sur le fait que l’échéance soit maintenue. Pourtant, le verdict au procès du double assassinat de l’aéroport de Bastia-Poretta en 2017 doit bien être rendu ce vendredi 28 juin, devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence. L’issue de près de deux mois d’une audience chaotique où la question d’un renvoi n’a cessé d’agiter les débats. Au point que la deuxième moitié s’est déroulée en l’absence des principaux accusés, qui refusaient d’y assister, et de leurs avocats, qu’ils ont récusés.

« Borgo » : le procès de l’affaire dont s’inspire le film s’ouvre, avec quelques différences par rapport à la fiction

Le procès, qui a débuté le 6 mai, est celui de l’affaire dont est inspiré le film Borgo, sorti mi-avril au cinéma : l’assassinat de deux figures du grand banditisme corse le 5 décembre 2017, en plein jour, sur le parking de l’aéroport de Bastia. En toile de fond, un projet qui semble avoir été dicté par la volonté des trois principaux accusés de venger la mort de leurs pères, fondateurs du gang de la Brise de mer, et le rôle intriguant d’une surveillante de prison soupçonnée d’avoir désigné l’une des deux victimes au tireur, en lui faisant la bise à l’aéroport.

Tous les quatre ont tenté de se raconter, à tour de rôle, dans les premiers jours de ce procès-fleuve où la perpétuité est encourue. Mais le calendrier de l’audience est rapidement percuté par l’actualité : le 14 mai, l’attaque meurtrière d’Incarville provoque un mouvement de blocage des prisons. Le procès, déjà interrompu à cause du pont du 8 mai et de l’Ascension, est suspendu, des accusés détenus ne pouvant plus être transportés par les services pénitentiaires.

Les avocats profitent d’une suspension pour quitter la salle

Il reprend le 21 mai, après seulement trois jours effectifs d’audience. Entre-temps, les avocats ont reçu un nouveau calendrier des débats. Et celui-ci reporte au 10 juin les auditions des enquêteurs, alors qu’elles étaient prévues au début de l’examen du dossier au fond, comme c’est d’habitude le cas. La cour assure qu’il n’est pas possible d’entendre les policiers plus tôt parce qu’ils sont en congés avant les Jeux olympiques. Les conseils exigent alors d’avancer ces auditions, sans quoi ils demanderont le renvoi du procès.

« La pratique veut que les enquêteurs soient entendus au début de l’audience », explique Me Jean-Charles Vincensini, l’un des avocats de Richard Guazzelli, présenté comme « le chauffeur » du tireur. « D’abord parce que, vis-à-vis des jurés, ils racontent l’histoire générale, ils posent le décor. (...) Procéduralement, ensuite, aux assises on ne peut pas questionner un témoin sur la base de déclarations faites par un autre témoin, fût-il policier, dont l’audition est prévue plus tard », justifie-t-il auprès de Corse-Matin.

Mais la cour refuse leur demande. La tension monte encore d’un cran lorsque onze des quatorze accusés annoncent qu’ils récusent leurs avocats, une manière de forcer le renvoi. Les robes noires profitent d’une suspension d’audience pour quitter la salle et ainsi éviter que le président Jean-Yves Martorano, pour les forcer à rester, les commette d’office, comme il en a le pouvoir.

On est à Aix-en-Provence, en France, ou au Gabon, dans un tribunal de Libreville ?
Ange-Marie Michelosi, l’un des accusés

D’autres avocats sont donc commis d’office. Mais ceux-ci demandent à leur tour le renvoi, dès la reprise de l’audience le matin du 23 mai. « Il est impossible de prendre connaissance de ce dossier aux 20 571 cotes (pièce d’un dossier judiciaire, ndlr) dans un délai de 24 heures pour des accusés qui encourent des peines extrêmement lourdes », plaident-ils. L’un des accusés, Ange-Marie Michelosi, vient en renfort : « Cela fait sept ans qu’on n’a pas pipé mot et tout le monde a été au rendez-vous. Un président a le choix de donner une bonne image de la justice. On est à Aix-en-Provence, en France, ou au Gabon, dans un tribunal de Libreville ? »

Nouveau refus de la cour. « Les accusés se sont volontairement mis en situation de ne plus bénéficier des auxiliaires de justice. Cette situation ne résulte pas de la cour. Les exigences légales des droits de la défense sont donc respectées », explique le président avant une nouvelle suspension. À la reprise de l’audience, le box des accusés est vide. Les neuf qui comparaissent détenus refusent de regagner la salle. Les avocats commis d’office, eux aussi, ont quitté les lieux.

Dans un communiqué commun, les avocats de la défense font part de « leur indignation » face à « l’obstination de la cour à vouloir juger cette affaire coûte que coûte » et parlent d’un « procès de la honte ». Le Conseil national des barreaux, l’association des avocats pénalistes ou encore la Conférence des bâtonniers leur apportent leur soutien.

Les enquêteurs en fait disponibles pour témoigner ?

Une source judiciaire interrogée par l’AFP y voit « une stratégie de blocage » de la part des accusés « pour éviter d’être jugés au fond et dans l’espoir d’être libérés pour délais déraisonnables ». « Si on stoppe un procès pour ces raisons, alors on ne juge plus aucun dossier criminel », estime de son côté Franck Rastoul, procureur général près la cour d’appel Aix-en-Provence, cité par La Provence.

Mais les rebondissements se poursuivent le 14 juin, quand deux accusés demandent cette fois la récusation du président dont ils dénoncent, dans un courrier consulté par Corse-Matin, la « partialité patente ». Ils en veulent pour preuve l’audition de la directrice d’enquête, qui a révélé qu’elle et ses collègues étaient en fait disponibles pour témoigner quand la cour l’aurait souhaité, et qu’elle n’avait pas été contrainte de prendre ses congés en raison des JO. « J’ai été obligé de déplacer (les auditions) des policiers, il était impossible de déplacer l’ensemble des autres témoins », s’est défendu Jean-Yves Martorano.

Conséquence de cette audience qualifiée « d’hors normes » par les avocats généraux, les principaux accusés n’ont pas eu de défense, une situation rarissime aux assises. Seul l’un d’entre eux, Jacques Mariani, est revenu dans le box le 28 mai. C’est donc dans les geôles du palais de justice, où ils étaient emmenés chaque jour avant de refuser de se rendre dans la salle d’audience, que trois d’entre eux ont appris les réquisitions de réclusion criminelle à perpétuité contre eux, relate Le Monde.

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