Le prix Nobel de la paix remis à la famille de Narges Mohammadi toujours incarcérée dans la prison d’Evin

Cette photo prise en octobre 2022 à l’intérieur de la prison d’Evin après un incendie est l’un des rares clichés  permettant de voir l’intérieur du célèbre complexe pétiencier iranien.
KOOSHA MAHSHID FALAHI / AFP Cette photo prise en octobre 2022 à l’intérieur de la prison d’Evin après un incendie est l’un des rares clichés permettant de voir l’intérieur du célèbre complexe pétiencier iranien.

IRAN - Elle aurait dû être à Oslo. Dans la capitale norvégienne, Narges Mohammadi aurait dû recevoir, ce dimanche 10 décembre, le prix Nobel de la Paix qui lui a été décerné début octobre. Mais deux mois plus tard, la militante iranienne des droits des femmes est toujours incarcérée à Téhéran. Pire, elle vient d’annoncer commencer un grève de la fin au moment même où le prix est remis à sa famille.

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C’est depuis cette prison d’Evin qu’elle a assuré en milieu de semaine à Libération et Mediapart qu’elle n’arrêtera pas son combat. Elle doit encore passer plusieurs années derrière ces barreaux pour « propagande contre le système », « rébellion », ou encore « atteinte à la sécurité nationale ».

Comme elle, ils sont des milliers d’opposants politiques, d’intellectuels, d’artistes, et d’étudiants enfermés dans ce qui ressemble ironiquement plus à une « université » qu’à une prison. Les murs de ce complexe pénitentiaire construit en 1972 cachent pourtant l’un des principaux outils de la République islamique d’Iran pour mater ses opposants, en particulier les femmes. À Evin, sa situation fait écho à des centaines d’autres tant le lieu est devenu synonyme de la répression des femmes iraniennes, particulièrement depuis la mort de Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs, il y a un an. Elles y sont enfermées, isolées, torturées, violées, exécutées.

La sombre « université d’Evin »

Nichée au pied des monts Alborz, Evin pouvait à l’origine accueillir quelque 320 prisonniers mais les autorités sont désormais obligées de pousser les murs. Et si la capacité d’accueil de la prison est aujourd’hui estimée à 15 000 personnes, aucun chiffre ne permet de connaître le nombre réel de détenus.

La prison, vétuste et soumise à la surpopulation carcérale, avait d’ailleurs été touchée par un incendie meurtrier quelques semaines après le début des manifestations en soutien à Mahsa Amini. L’occasion de découvrir de rares images des lieux.

L’une des particularités de ce complexe, comme l’explique Le Temps, c’est qu’il est surdécoupé en plusieurs unités dont certaines sont entièrement contrôlées par le ministère du Renseignement ou les Gardiens de la révolution. « Des petites prisons à l’intérieur même de la prison », résume Amnesty International.

La plus connue d’entre elles est sans doute la section 209. C’est celle des détenus politiques, composée de dix rangées contenant des cellules d’isolement, qui ne mesurent pas plus d’un 1 mètre par 1 mètre 80. Mais à l’intérieur, ils sont parfois jusqu’à dix détenus entassés.

L’autre particularité de cette section 209, c’est qu’elle est complètement verrouillée au monde extérieur. Même aux plus hauts responsables, car seuls le personnel du ministère du renseignement iranien et les condamnés peuvent s’y trouver. Selon des rapports d’Amnesty International et des témoignages recueillis par Human Rights Watch, la torture, les exécutions, les pendaisons, les interrogatoires et la disparition de détenus y sont des pratiques courantes, hors de tout contrôle.

La situation serait d’ailleurs la même, voire pire dans les unités 240, 241 ou 350, pour ne citer qu’elles. Au 240 et 241, réunies au sein d’un même bâtiment au nord du complexe, « personne n’a le droit de sortir de sa cellule, les humiliations et les tortures sont quotidiennes » comme le racontait au Temps Poriya Ebrahimi, passé par ces cellules.

La prison, « cœur de l’opposition »

Seuls les témoignages de celles et ceux qui y vivent ou en sont sortis permettent de comprendre ce qu’il s’y passe. Dans son livre White torture, Narges Mohammadi donne la parole à treize prisonnières qui racontent leurs journées d’emprisonnement à Evin. L’occasion d’exposer au grand jour ces conditions de détention, et particulièrement la mise à l’isolement et les nombreux sévices, dont Narges Mohammadi a été elle aussi victime.

Située au nord de Téhéran, la prison d’Evin domine les environs depuis les hauteurs où sont nichés les différents bâtiments du centre pénitentiaire.
Google Earth Située au nord de Téhéran, la prison d’Evin domine les environs depuis les hauteurs où sont nichés les différents bâtiments du centre pénitentiaire.

Outre l’isolement - « une punition cruelle et inhumaine » - la journaliste de 51 ans détenue dans le quartier des femmes, avec une cinquantaine de prisonnières, met également en lumière les abus sexuels quotidiens des gardiens.

Pour autant, « le quartier des femmes d’Evin est l’un des quartiers de détenues politiques les plus actifs, résistants et joyeux en Iran. Au cours de mes années en prison, à trois reprises, j’ai partagé la détention avec au moins 600 femmes et je suis fière de chacune », affirmait en septembre dernier à l’AFP la lauréate du prix Nobel de la paix 2023.

« La prison a toujours été le cœur de l’opposition et de la résistance en Iran, et pour moi elle incarne aussi l’essence de la vie dans toute sa beauté », assurait également celle qui n’a pas passé que « 5 ou 6 ans de vie commune » avec son époux, sur 24 ans de mariage. À l’inverse, elle a déjà été arrêtée 13 fois et condamnée cinq fois pour un total de 31 ans de prison et 154 coups de fouet.

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