Prix de l’essence : la « vente à perte » peut-elle vraiment faire baisser la facture à la pompe ?

La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé samedi 16 septembre que les distributeurs pourront vendre de l’essence « à perte » pendant quelques mois.
SAMEER AL-DOUMY / AFP

CARBURANTS - La baisse des prix à la pompe sera-t-elle vraiment visible ? Élisabeth Borne a annoncé samedi 16 septembre que les distributeurs pourront vendre de l’essence « à perte » pendant quelques mois afin de leur permettre de « baisser davantage les prix ». Malgré cette affirmation, les effets de cette mesure exceptionnelle sont très incertains.

« On ne dit pas que l’essence va tomber à 1,40 € dans toutes les stations pendant 6 mois. On dit qu’il peut y avoir des opérations commerciales » pour les automobilistes qui « ne peuvent plus faire le plein », a nuancé Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, ce dimanche sur RTL. Son cabinet a précisé ensuite que la mesure sera présentée début octobre avec la loi sur les négociations commerciales entre producteurs et distributeurs.

Mesure réclamée par les distributeurs

Le gouvernement aurait pu choisir une ristourne à la pompe en baissant la taxation de l’essence, comme il y a un an. Les effets sur le porte-monnaie des Français auraient alors été immédiats. Mais Élisabeth Borne a préféré déléguer et « mettre à contribution les gros industriels » pour limiter l’envolée les prix, justifiant que « la responsabilité de l’État, c’est aussi de baisser son déficit et sa dette ».

A la place, l’exécutif a choisi de faire sauter le verrou de la revente à la perte, interdite par la loi depuis 1963. L’inflation galopante a poussé la Première ministre à octroyer son feu vert aux distributeurs pour vendre à perte dans « une période limitée de quelques mois ».

Cette mesure était réclamée depuis plusieurs semaines par les dirigeants des grandes enseignes, à l’instar de Dominique Schelcher, le PDG de Système U. Sur France Inter cette semaine, il déplorait son incapacité à baisser les prix du carburant. « J’ai un prix d’achat, je rajoute les taxes, je vais moi-même me retrouver à plus de 2 euros sans prendre de marge et je n’ai pas le droit de vendre à perte », disait-il pour expliquer qu’il s’en tenait aux opérations de vente « à prix coûtant ».

Une baisse « en trompe-l’œil » ?

Les grandes enseignes ont donc été écoutées par le gouvernement. Elles vont désormais pouvoir rogner sur leur bénéfice, et vendre l’essence en dessous du prix d’achat, sans que l’on sache exactement de combien elles ont l’intention de baisser les prix. Leur marge de manœuvre restera toutefois assez faible, les taxes représentant 60 % du prix du carburant.

Par ailleurs, certaines économistes estiment que la vente à perte ne bénéficie pas aux consommateurs car, « la réduction des marges sur la vente d’un produit s’accompagne d’une majoration abusive des prix d’autres produits », pointe le cabinet Vogel & Vogel, spécialisé en droit économique, auprès du Parisien. En effet, si une grande surface baisse les prix à la pompe et augmente ceux dans ses magasins, le bénéfice de l’opération pour le consommateur serait ainsi annulé.

La vente à perte est « une baisse en trompe-l’œil », estimait, lui aussi, Emmanuel Combe, professeur des Universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sur le site Atlantico, en 2012. Il jugeait toutefois qu’il était tout à fait possible d’imaginer « des stratégies de baisses de prix agressives, temporaires et locales de la part de certains distributeurs », ce qui pourrait avoir de vraies conséquences sur le prix facturé au client.

Les pompistes refusent de vendre à perte

La baisse des prix dans les stations des supermarchés reste donc suspendue au bon vouloir des distributeurs dans les prochains mois.

Et tandis que TotalEnergie a dit son intention de poursuivre le blocage à 1,99 euro,  les stations indépendantes n’ont pas l’intention de faire de revente à la perte. « Nous pompistes, il est hors de question qu’on vende à perte », a déclaré le président du syndicat professionnel Mobilians qui représente 5 800 stations-service traditionnelles à l’AFP. « Mes adhérents vivent à 40, 50 % voire plus de la vente du carburant, donc s’ils vendent à perte, je leur donne trois mois ».

Il s’est en outre dit « sceptique » sur l’effet bénéfique de cette mesure sur le pouvoir d’achat, car si les prix des fournisseurs des grandes surfaces continuent d’augmenter, elles ne pourront « pas se permettre de perdre 15 centimes sur chaque litre d’essence », avance-t-il.

Les prix des carburants en France sont remontés régulièrement cet été. Début septembre en moyenne, le SP95-E10 se vendait à 1,9359 euro le litre (+0,9 centime par rapport à la semaine précédente), le gazole à 1,88 euro (+2,3 centimes) et le SP-98 à 2 euros, soit un prix stable. Des tarifs qui n’avaient pas été aussi élevés depuis avril pour l’essence et février pour le gazole, selon les statistiques du ministère de la Transition écologique.

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