Présidentielle au Sénégal : Sonko et Sall, candidats inéligibles, ont laissé place à un duel de seconds couteaux

Le leader de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko (droite) serre la main du candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye, qui se présente en son nom, le 15 mars dernier.
JOHN WESSELS / AFP Le leader de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko (droite) serre la main du candidat à la présidentielle Bassirou Diomaye Faye, qui se présente en son nom, le 15 mars dernier.

SENEGAL - Dix-sept candidats, plus de 7 millions d’électeurs et deux hommes dans l’ombre pour une élection présidentielle inédite. L’élection du nouveau et cinquième président du Sénégal a lieu ce dimanche 24 mars, un scrutin qui était encore incertain il y a quelques semaines. Ce qui fait toute la particularité de ce vote, c’est que, malgré le grand nombre de candidats, les deux poids lourds de la scène politique ne font pas partie des prétendants au poste. Du moins, pas officiellement : ce sont leurs deux champions qui s’affronteront dans les urnes.

En effet, le président sortant Macky Sall a renoncé à briguer un troisième mandat… tout en essayant de reporter in extremis l’élection pour se maintenir au pouvoir. Une manœuvre qui a suscité une grande confusion dans le pays, occasionnant des manifestations qui ont fait quatre morts et de nombreux blessés. Le report a été invalidé par le Conseil constitutionnel, forçant le président à trouver une date au plus vite. Après des semaines de doutes et de tensions, il a été décidé que le premier tour se tiendrait ce 24 mars.

Face à lui, l’autre homme fort de la vie politique sénégalaise, l’opposant antisystème Ousmane Sonko, a emprisonné pendant près d’un an. Malgré sa libération de justesse le 14 mars, sa candidature a été invalidée par le Conseil constitutionnel.

Élection par délégation

Les deux hommes ont donc dû choisir chacun un représentant : Amadou Ba pour Macky Sall et Bassirou Diomaye Faye pour Ousmane Sonko. Les deux candidats sont considérés comme les favoris l’élection, bien qu’elle soit, comme le souligne l’AFP, la plus ouverte de l’histoire du Sénégal indépendant.

Amadou Ba est une figure bien connue des Sénégalais puisqu’il était, il y a encore quelques semaines, Premier ministre. Auparavant, il a fait une longue carrière dans l’administration, occupant notamment le poste de ministre de l’Économie et des Finances puis de ministre des Affaires étrangères de 2019 à 2020.

Quant à Bassirou Diomaye Faye, il est un ancien collègue de Sonko au service des impôts, emprisonné tout comme lui ces derniers mois. Il a finalement été libéré en même temps que l’opposant. Il est présenté par son camp comme le « candidat du changement de système », d’une souveraineté recouvrée et d’un « panafricanisme de gauche ». Son slogan est simple et a le mérite d’être très clair : « Ousmane, c’est Diomaye. »

Inquiétudes sur le bon déroulement du scrutin

À l’heure actuelle, « une victoire de Bassirou Diomaye Faye est tout à fait possible, selon les sondages », décrypte Michel Galy, politologue spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, auprès du HuffPost. Ousmane Sonko – et donc par délégation son candidat à l’élection – a en effet beaucoup de succès auprès des jeunes, majoritaires au Sénégal où 75 % des habitants ont moins de 35 ans, note Franceinfo. Vendredi, il a par ailleurs reçu en dernière minute un soutien de poids, celui de Karim Wade, figure de la politique sénégalaise. Auparavant, deux autres candidats à la présidentielle s’étaient ralliés à sa candidature.

Encore faut-il que le camp du président sortant laisse l’élection se dérouler démocratiquement. « Rien n’est moins sûr », estime Michel Galy, qui évoque de possibles « bourrages d’urnes » ou des « pressions sur les électeurs ». « Ce sont un peu les enjeux cachés de l’élection de ce dimanche », souligne-t-il auprès du HuffPost. Sans oublier un « scénario catastrophe » : une tentative d’inversion de l’élection qui ne manquerait pas de susciter des heurts.

Et à la façon dont se déroule la campagne d’Amadou Ba, l’inquiétude peut être de mise. Comme le rapportait France Inter vendredi 22 mars, des électeurs ont été payés 5 000 francs CFA (7,50 euros) pour venir applaudir le candidat de la majorité lors d’un meeting. Certains, portant des t-shirts appelant à l’élection de Faye mais analphabètes, ne savaient pas vraiment ce qu’ils faisaient là, expliquait le média. « On mange, on vient ici, on crie Amadou Ba alors qu’on n’est pas avec lui. Nous, on est avec Ousmane Sonko jusqu’à la mort », témoignait un autre.

Des seconds couteaux « falots » ou « sans charisme » pour représenter leurs leaders

Il faut dire que même dans son propre camp, Amadou Ba n’est pas franchement aidé, puisque certains refusent de le soutenir. « D’aucuns le trouvent assez falot, sans grand charisme et sans assise populaire », note Michel Galy, qui souligne « l’originalité et le paradoxe » de cette élection par hommes interposés.

Du côté de Bassirou Diomaye Faye, c’est un peu la même chose. « C’est quelqu’un de très posé et de peu charismatique. Tout le contraire d’Ousmane Sonko », décrit le politologue. Mais encore une fois, ce qui importe, pour les électeurs, c’est le candidat dans l’ombre. Ainsi, si Faye remporte la présidentielle, Sonko « sera certainement désigné Premier ministre et, contrairement à la Constitution, il aura l’essentiel du pouvoir. Faye sera, lui, le président de substitution », nous explique l’expert.

Avant d’en arriver là, les deux seconds couteaux doivent tout de même se mesurer à quinze autres candidats pour le premier tour ce dimanche.

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