Pourquoi la Russie se met à utiliser des drones de confection iranienne en Ukraine

Pourquoi la Russie se met à utiliser des drones de confection iranienne en Ukraine

Des armes d'un genre nouveau dans un conflit qui change de dimension. Depuis maintenant quelques semaines, plusieurs attaques aux drones kamikazes ont été rapportées sur le territoire ukrainien, en particulier à Odessa et dans la région de Kiev, où plusieurs victimes sont à déplorer.

Selon un rapport de la CIA publié en juillet, ces drones de facture iranienne, l'un des rares pays à encore soutenir Vladimir Poutine dans son "opération militaire spéciale", ont été achetés par centaines cet été par le Kremlin et leur utilisation a débuté début septembre. Ces engins ont également été employés dans la sanglante série de frappes qui a touché le territoire ukrainien ce lundi.

Faiblesse militaire?

Parmi l'éventail de matériel fourni par l'Iran à la Russie, on retrouve des drones de combat (Mohajer-6 et Shahed 129), mais surtout des Shahed-136, des kamikazes aériens produits par l'Iranian Aircraft Industrial Company (HESA). Cependant, plusieurs questions se posent quant à ces livraisons, alors que la Russie est elle-même l'un des principaux producteurs d'armes au monde.

Invité ce mardi matin sur notre antenne, le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre et professeur de stratégie à Sciences Po, y voit un moyen pour Moscou d'économiser ses missiles.

"Ils ont une possibilité de frappes limitées", indique-t-il.

"Depuis début septembre, les Russes utilisent des drones qui contribuent à pallier la difficulté qu’ils ont à utiliser leurs avions. Ils n’ont pas la supériorité aérienne et tout avion russe qui sort au-dessus du champ de bataille a des chances importantes d’être détruit. Avec les drones, le risque est tout aussi important mais il n’y a pas mort d’homme", analyse-t-il.

Concernant ces drones suicides, "leur emploi est une mesure d'économie pour la Russie, car elle épargne de précieux missiles de croisière, qui coûtent de 1,5 à 2 millions" de dollars américains, rappelle Pierre Grasser, chercheur français associé au centre Sirice à Paris.

Comme riposte, les Ukrainiens peuvent tenter de les abattre avec des systèmes anti-aériens portables en journée, ou des batteries équipées de radar de nuit. Ils peuvent aussi tenter - mais la manoeuvre n'est pas simple - de brouiller le signal GPS pour parasiter les Shahed 136 qui ne sont pas équipés pour poursuivre leur cible dans cette situation.

Logistique défaillante

Toujours auprès de BFMTV ce mardi, le général Vincent Desportes voit dans cet importation de matériel de guerre le signe d'"un problème de logistique" de l'industrie russe. Un point également développé par le colonel russe Igor Ichtchouk auprès de l'agence TASS.

"Le ministère de la Défense a élaboré des exigences tactiques et techniques appropriées pour les drones. Et la plupart des fabricants (russes), malheureusement, ne sont pas en mesure de les respecter", explique-t-il.

Pierre Grasser évoque pour sa part une faiblesse de la structure industrielle russe. "La STC, qui fabrique des drones Orlan (de reconnaissance, ndlr), a annoncé passer en 3-8 pour tourner 24h sur 24. Ils n'arrivent pas à constituer les équipes. Comme sur la ligne de front, le problème de la Russie, c'est la ressource humaine", explique-t-il.

Au delà de cette difficulté, la Russie n'avait pas prévu dans son arsenal de drones suicides longue portée comme le Shahed 136, leur préférant "des modèles à autonomie réduite (40 km maximum)", ajoute-t-il.

Quant aux drones armés MALE, "le fait de recevoir des Mohajer-6 iraniens est aussi un aveu d'échec industriel", précise le chercheur. "Ils sont supposés avoir des matériels dans cette gamme (...). Cela signifie que (l'industrie russe) ne peut pas tenir le rythme".

L'effet des sanctions occidentales

Ultime point à prendre en considération dans l'utilisation des drones iraniens, l'effet des sanctions mises en place à l'encontre de la Russie depuis le début du conflit. "Les sanctions occidentales ont causé des problèmes, tout comme le Covid, qui a perturbé les chaînes d'approvisionnement mondial", souligne Vikram Mittal, professeur à l'Académie militaire américaine de Westpoint.

Les Russes "n'ont plus accès aux composantes technologiques occidentales et leurs essais pour développer en série ce type d'engins ont été infructueux", abonde auprès du même média Jean-Christophe Noël, chercheur français à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Mais le Kremlin parvient toutefois à mettre en place des moyens de contournement artisanaux, comme faire acheter par un diplomate russe n'importe où dans le monde des systèmes de navigation dans un magasin d'aéromodélisme. "Les pièces seront ensuite envoyées en Russie par la valise diplomatique", conclut Pierre Grasser.

Article original publié sur BFMTV.com