Pourquoi la loi espagnole sur le viol et le consentement devrait inspirer la France

MADRID, SPAIN - MAY 26: The Minister of Equality, Irene Montero, and the Minister of Social Rights and Agenda 2030, Ione Belarra, embrace during a plenary session in the Congress of Deputies, on 26 May, 2022 in Madrid, Spain. During today's plenary session, the so-called 'law of the only yes is yes' was approved, in which express consent will be key to judge sexual crimes. The law also recognizes sexual violence as sexist, punishing street harassment, mutilation, forced marriage, digital violence, and for the first time, it also accepts sexual exploitation and trafficking as forms of violence against women. In addition, the law considers chemical submission as a form of sexual assault and will prohibit the advertising of prostitution and punish with imprisonment the dissemination of intimate photos and videos. (Photo By Eduardo Parra/Europa Press via Getty Images)

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La ministre de l’Egalité, Irene Montero, et la ministre des Droits sociaux et de l’Agenda 2030, Ione Belarra, fêtent le premier vote de la loi dite « Seul un oui est un oui », en mai 2022.

VIOLENCES SEXUELLES - C’est une avancée sociétale majeure qui fait la une du quotidien El Pais ce vendredi 26 août en Espagne. Surnommée « Seul un oui est un oui », la Loi de garantie intégrale de la liberté sexuelle a définitivement été approuvée hier, jeudi 25 août, au Congrès des députés par 205 voix contre 141 (et trois abstentions).

Celle-ci introduit l’obligation du consentement explicite lors de relations sexuelles, impliquant que tout acte sexuel sans consentement sera considéré comme un viol. Approuvé par la chambre basse du Parlement en première lecture en mai dernier, le texte avait été modifié par le Sénat en juillet, ce qui a nécessité un nouveau vote des députés.

« Ça renverse totalement la manière dont on perçoit les violences », souligne Yuna Miralles, membre de la coordination du collectif Nous Toutes, au HuffPost. Pour de nombreuses féministes, cette nouvelle définition du viol, centrée autour du consentement, est en effet essentielle pour aider les femmes victimes et lutter contre les représentations stéréotypées du viol. « Ça fait longtemps qu’on le demande », appuie la présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie Muriel Salmona.

Le consentement est « libre, éclairé, volontaire »

Votée, la Loi de garantie intégrale de la liberté sexuelle réforme considérablement le Code pénal espagnol. Alors que jusqu’ici la notion de violence ou d’intimidation était nécessaire pour qualifier un viol, le nouveau texte préfère se concentrer sur la notion de consentement.

Cette question avait été au cœur, en Espagne, de l’affaire dite de « la Meute », le viol collectif en 2016 d’une femme de 18 ans par cinq hommes lors des fêtes de la San Fermin à Pampelune. Ces derniers avaient été condamnés en 2018 à neuf ans de prison, non pour viol, mais pour « abus sexuel ». Défini par l’absence de violence ou d’intimidation, celui-ci était défini comme un simple délit.

Avec la nouvelle loi, cette infraction disparaît. « Enfin, notre pays reconnaît dans la loi que le consentement est ce qui doit être au cœur de toutes nos relations sexuelles. Aucune femme ne devra avoir à prouver qu’il y a eu violence ou intimidation dans une agression pour que celle-ci soit considérée comme une agression sexuelle », a déclaré jeudi, avec un sourire victorieux, la ministre de l’Égalité Irene Montero.

« Cette loi dit clairement qu’il faut qu’il y ait eu une obligation explicite de consentement, ça veut dire un consentement défini par la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe : libre, éclairé, volontaire, et évalué en fonction du contexte », souligne Muriel Salmona. Le gouvernement espagnol a en effet indiqué s’être inspiré de ce traité international de lutte contre les violences faites aux femmes, que la France a par ailleurs ratifié.

« Ça permet de se débarrasser de la problématique de la sidération par exemple, où on demande des comptes aux femmes sur le fait qu’elles soient sidérées parce qu’elles sont traumatisées, et où du coup on considère qu’il n’y a pas eu viol de ce fait-là », poursuit la psychiatre.

En Espagne, le consentement devra être « manifesté librement par des actes qui, en tenant compte des circonstances, expriment de manière claire la volonté de la personne », indique le texte de loi. « Le consentement n’est donné que par un oui : pas par une hésitation, pas par un silence », rappelle la journaliste Isabel Valdés dans les pages d’El País.

Redéfinir légalement le viol : une étape « essentielle »

« Redéfinir le viol c’est une première étape, mais une étape essentielle dans une société rongée par la culture du viol », poursuit Yuna Miralles. « Il est nécessaire de changer la manière dont on nomme et on définit le viol parce que ça dit tout de la façon dont la société perçoit cette violence », explique-t-elle.

En France, le viol est défini légalement comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Mais pour Yuna Miralles comme pour Muriel Salmona, cette définition reste insuffisante. « Beaucoup de féministes remontent le fait que la façon dont on définit le viol en France pose un problème, d’abord parce que la notion de consentement en est absente », appuie la coordinatrice de Nous Toutes.

« Avec cette définition, c’est un peu comme si on considérait implicitement que les femmes étaient toujours consentantes à un acte sexuel », Muriel Salmona

« Avec cette définition, c’est un peu comme si on considérait implicitement que les femmes étaient toujours consentantes à un acte sexuel. C’est basé là-dessus, c’est-à-dire qu’il faut prouver qu’il y a eu violence, menace, contrainte ou surprise », développe Muriel Salmona. Au contraire, selon la psychiatre, la loi espagnole « permet de sortir des représentations des relations sexuelles entre hommes et femmes, où la femme est un objet à prendre ».

« Ça inverse également la charge de la preuve : il faut qu’il y ait une preuve que le consentement a été recueilli par l’agresseur », ajoute Muriel Salmona. « En France, c’est toujours à la victime de prouver », rappelle-t-elle.

Or, les deux féministes le soulignent : les viols restent très rarement condamnés dans l’Hexagone. En 2020, ce sont 0,6 % des viols déclarés par des majeurs qui ont fait l’objet d’une condamnation, rappelait TF1 en mai 2022. « Entre 2019 et 2021, on a eu 30 % de condamnations en moins, ce qui démontre que la loi est complètement inopérante », affirme Muriel Salmona, sans remettre l’entièreté du problème sur la définition légale du viol.

La notion de consentement explicite encore minoritaire

En Europe, la notion de consentement explicite reste par ailleurs minoritaire. Selon une étude d’Amnesty international datant de fin 2020, cité par l’AFP, 12 pays européens - dont la Belgique, le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni - sur les 31 analysés par l’ONG définissaient le viol à partir de l’absence de consentement, au-delà de la coercition ou de la vulnérabilité.

L’Espagne, elle, continue de faire figure de référence dans le domaine de la lutte contre les violences sexuelles. « L’Espagne n’a pas fait que cette loi, c’est un élément parmi d’autres. Ce sera la même chose en France : si seulement la définition du viol est modifiée, ça ne sera pas suffisant », abonde Yuna Miralles.

Dans son article dédié au sujet, l’édition espagnole du HuffPost rappelle ainsi que la nouvelle loi espagnole s’accompagne de bien d’autres mesures : soumission chimique considérée comme circonstance aggravante, renforcement de l’éducation sexuelle à l’école ou encore mise en place de centre de crises dans chaque région.

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