Pourquoi Elisabeth Borne affirme que "le RN est l’héritier de Pétain" ?

Elisabeth Borne, Première ministre, le 26 avril 2023 (Photo by Bertrand GUAY / AFP) (Photo by BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)
Elisabeth Borne, Première ministre, le 26 avril 2023 (Photo by Bertrand GUAY / AFP) (Photo by BERTRAND GUAY/AFP via Getty Images)

Des propos qui ont valu à la Première ministre des remontrances de la part du président de la République.

"Je ne crois pas du tout à la normalisation du Rassemblement national. Je pense qu’il ne faut pas banaliser ses idées, ses idées sont toujours les mêmes. Alors maintenant, le Rassemblement national y met les formes, mais je continue à penser que c’est une idéologie dangereuse", déclarait Elisabeth Borne dans un entretien à Radio J diffusé ce dimanche 28 mai.

Dans la foulée, le journaliste lui demande, "Le RN, héritier de Pétain ? "Oui, également, héritier de Pétain, absolument", a répondu la Première ministre, dont le père, résistant, a été déporté à Auschwitz.

Des propos qui ont vivement fait réagir, suscitant notamment la réprobation du chef de l'État, qui a estimé en Conseil des Ministres qu'"il faut décrédibiliser" le RN "par le fond et les incohérences", en l’attaquant "par le concret" et le "réel", et non en utilisant des "mots des années 90 qui ne fonctionnent plus".

Un lien avec l'ancêtre du RN : le FN

En évoquant l'héritage de Pétain, Elisabeth Borne renvoie aux fonctions tenues durant la Seconde guerre mondiale : président du Conseil, il signe l'armistice avec les Allemands et collabore activement avec l'occupant. À la Libération, il est condamné pour intelligence avec l'ennemi et haute trahison à la peine de mort, la dégradation nationale, et à la confiscation de ses biens.

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En estimant que le RN est l'héritier de Pétain, Élisabeth Borne renvoie tout d'abord à l'ancêtre du Rassemblement national, le Front national. En juin 2018, plus de 80% des militants du Front national, fondé en 1972, adoptent un nouveau nom pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen, le RN.

Un ancien SS et des miliciens pétainistes comme cofondateurs du FN

En 1972, Jean-Marie Le Pen n'est pas seul pour fonder le Front national. Autour de lui, des miliciens pétainistes et Pierre Bousquet, premier trésorier du FN, avant de quitter le parti en 1980. Durant la Seconde Guerre Mondiale, il intègre la Waffen SS dont il est même promu officier. A la Libération, il est condamné à mort, peine finalement commuée en trois ans de prison.

Également cadre du FN, dont il est numéro 2 en tant que secrétaire général peu après la création du parti, Victor Barthélémy a lui aussi un passé qui permet de le relier au pétainisme. En 1942, il joue un rôle particulier lors de la rafle du Vel d'Hiv, rappelle Slate dans un article qui lui est consacré. Lors des rafles, la police française était assistée de centaines de militants du Parti populaire français, dont le numéro deux est alors Victor Barthélémy.

"Je n'ai jamais considéré Pétain comme un traître", clamait Le Pen

Au Parti populaire Français, qui collabore aux côtés des nazis, on retrouve d'autres figures du FN comme André Dufraisse, membre du bureau politique de sa création à sa mort en 1994 et candidats à de multiples élections.

Au passé des fondateurs du FN, s'ajoutent des déclarations qui lient directement le Front national à l'action de Pétain durant la Seconde guerre mondiale. "Je n'ai jamais considéré Pétain comme un traître", clamait Jean-Marie Le Pen dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol, alors qu'il était encore président d'honneur du FN.

Quand des proches du FN volaient le cercueil de Pétain

"Je n'ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l'estime pour le Maréchal. Ils ont leur place au FN comme l'ont les défenseurs de l'Algérie française, mais aussi les gaullistes, les anciens communistes et tous les patriotes qui ont la France à coeur", poursuit-il dans cet entretien réalisé en 2015.

Autre élément qui pèse dans l'histoire du FN, il y a 50 ans, sur l'île d'Yeu. C'est là qu'est enterré, depuis juillet 1951, Philippe Pétain. En pleine nuit, un commando d'extrême droite, nostalgique du maréchal, vole le cercueil de Pétain pour le faire reposer aux côtés des soldats défunts de la Première guerre mondiale.

Jean-Marie Le Pen plaide pour la réhabilitation de Pétain

Dans ce commando, des anciens d'Algérie sous la houlette de l'avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat d'extrême droite à l'élection de 1965 et présenté comme le mentor de Jean-Marie Le Pen. Autre membre du commando, Hubert Massol, un publicitaire, futur élu municipal du Front National à Asnières.

Le FN a longtemps eu pour ambition la réhabilitation de Pétain dans les livres d'histoire, affirmant notamment par la voix de son fondateur que le président du conseil avait "sauvé des juifs" durant la Seconde guerre mondiale. Une théorie remise en cause par les historiens et désormais davantage défendue par le parti d'Éric Zemmour, Reconquête.

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