Pont de Crimée, critiques internes... En Ukraine, Poutine enchaîne les déconvenues

Black smoke billows from a fire on the Kerch bridge that links Crimea to Russia, after a truck exploded, near Kerch, on October 8, 2022. - Moscow announced on October 8, 2022 that a truck exploded igniting a huge fire and damaging the key Kerch bridge -- built as Russia's sole land link with annexed Crimea -- and vowed to find the perpetrators, without immediately blaming Ukraine. (Photo by AFP)

GUERRE EN UKRAINE - Anniversaire horribilis. Si pour ses 70 ans, Poutine voulait de bonnes nouvelles sur l’offensive en Ukraine, il lui faudra plutôt miser sur sa liste de Noël. Ce samedi 8 octobre, au lendemain de son anniversaire donc, le pont de Crimée, infrastructure clé et symbolique reliant la Russie à la péninsule annexée en 2014, a été partiellement détruit par une énorme explosion.

Une attaque qui vient parachever plusieurs semaines de déconvenues pour l’homme fort du Kremlin. De fait, alors que l’Ukraine indique régulièrement avoir reconquis de nouvelles zones, Moscou semble ne pas pouvoir encore tirer parti de la mobilisation générale et enchaîne les limogeages. Le HuffPost fait ici le point sur la situation.

Une preuve de l’efficacité opérationnelle ukrainienne ?

Au-delà du symbolisme, l’attaque du pont de Crimée pourrait s’avérer particulièrement instructive. L’Ukraine n’a pas reconnu explicitement sa responsabilité mais si elle en est bien à l’origine, le fait qu’une infrastructure aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.

D’autant qu’il y a plusieurs mois, la propagande russe avait vanté la sécurité de ce pont, intouchable selon le Kremlin, malgré la guerre en Ukraine. Ce samedi, la chercheuse Elizabeth Tsurkov a d’ailleurs repartagé une ancienne interview d’un militaire russe à la retraite qui vantait la défense du pont à l’aide d’un graphique. « Il y a à peine trois mois, la propagande russe affirmait que le pont de Crimée était impossible à attaquer grâce aux 20 modes de protection différents qui le couvraient, dont des dauphins militaires », écrit-elle. Pas tant que ça finalement.

En outre, comme l’explique l’ancien général de l’armée australienne Mick Ryan sur Twitter, il n’est pas aisé d’endommager un pont comme celui-ci. Autant pas la densité de sa structure en béton armé, que par la quantité d’explosifs que cela a dû nécessiter, leur déploiement sur l’édifice et bien sûr la discrétion que cela a dû impliquer.

« La première chute d’une travée de pont comme celle-ci nécessiterait beaucoup de “bangs” (explosifs) et une bonne conception de la démolition (...) Les ponts les plus difficiles à faire tomber sont en béton armé comme celui-ci. »

Un mois de reconquête pour Kiev

En tout état de cause, cette attaque sur « Le pont de Poutine » vient s’ajouter aux récentes déclarations victorieuses de Kiev. L’Ukraine a enchaîné cette semaine les bonnes nouvelles, en indiquant avoir notamment avoir repris en moins d’une semaine plus de 400 km2 de territoires occupés par la Russie dans le sud du pays.

Carte de la situation en Ukraine au 7 octobre à 7h GMT
AFP Carte de la situation en Ukraine au 7 octobre à 7h GMT

Le 10 septembre, Valeri Zaloujny, le commandant en chef de l’armée ukrainienne, avait annoncé que « depuis le début du mois, plus de 3 000 kilomètres carrés sont revenus sous contrôle ukrainien ».

Des efforts par ailleurs soutenus financièrement. Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé vendredi débloquer 1,3 milliard de dollars de financement d’urgence, et Emmanuel Macron a précisé la création d’un fonds spécial de cent millions d’euros.

Du côté russe, en revanche, après un mois de revers militaires et l’annonce de la mobilisation de centaines de milliers de réservistes russes, Moscou évoque désormais plutôt un repli « tactique » pour justifier ces nouvelles pertes de terrain en Ukraine.

Limogeages en cascades dans l’armée russe

Face à cet enchaînement de déconvenues, les critiques envers Vladimir Poutine ont commencé à enfler dans son propre camp comme l’expliquait le HuffPost ici. Même son allié de toujours, le président tchétchène Ramzan Kadyrov s’est permis de critiquer la stratégie de l’armée et le traitement des informations du terrain par les autorités. « C’est une sorte d’humiliation et les échecs russes commencent à faire gronder la ligne dure russe qui veut des résultats », nous expliquait en septembre Carole Grimaud, chargée de cours en géopolitique de la Russie à l’université Paul Valéry de Montpellier.

Pour apaiser les critiques, Vladimir Poutine a limogé certains membres de son équipe. C’est notamment le cas ce samedi puisque l’armée a annoncé la nomination d’un nouveau commandant de son « opération militaire spéciale ».

Le 24 septembre était également annoncé le remplacement du plus haut gradé chargé de la logistique, à l’aube de la vaste campagne de mobilisation annoncée par Vladimir Poutine et alors que l’offensive en Ukraine montrait déjà des difficultés en matière d’organisation.

Des représailles à prévoir pour l’Ukraine ?

Après le coup dur ce samedi après-midi, les autorités de Crimée ont annoncé que la circulation avait repris pour les voitures et autobus, « avec des procédures d’inspection complètes ». Mais si la Russie tente de donner le change des représailles pourraient être rapidement décidées.

Moscou a menacé par le passé Kiev de représailles si ses forces devaient attaquer ce pont ou d’autres infrastructures en Crimée. Le député russe Oleg Morozov, cité par l’agence Ria Novosti, a réclamé samedi une réplique « adéquate ». « Sinon, ce type d’attentat terroriste va se multiplier », a-t-il dit.  Selon Libération, le chef du parti Russie juste, Sergueï Mironov, proche du Kremlin a appelé à « répondre » : « Il est temps de combattre, nous irons jusqu’au bout, il n’y a pas de retour en arrière possible, il est temps de répondre ! ». Un appel qui fait écho à la menace de Ramzan Kadyrov qui a appelé le Kremlin à utiliser « des armes nucléaires de faible puissance » contre les Ukrainiens.

La présidence ukrainienne a suggéré de son côté que l’explosion était le résultat d’une lutte interne dans les cercles du pouvoir à Moscou, assurant y voir une « piste russe ».

À voir également sur Le HuffPost : Poutine durcit (un peu plus) le ton contre l’Occident après ses annexions en Ukraine

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