Un policier jugé pour insulte envers une plaignante victime d'agression sexuelle, l'audience renvoyée
"La question qui va se poser, ce sont les injures non-publiques. Ce débat va se centrer sur des choses très juridiques." La présidente de l'audience avait prévenu, si sur le papier l'affaire semble simple, techniquement elle l'est beaucoup moins. Ce jeudi, un policier parisien comparaissait au tribunal judiciaire de Paris accusé d'avoir insulté de "grosse pute" une jeune femme qui s'était présentée la veille pour porter plainte pour une agression sexuelle. Le fonctionnaire a reconnu les faits. Mais après quelques échanges au tribunal, l'audience a été renvoyée, faute de "sérénité" dans les débats.
Dans une petite salle dans un recoin du tribunal judiciaire de Paris, les bancs étaient bien garnis. "Tous ces gens, c'est pour votre dossier?", s'étonne la présidente du tribunal de police devant lequel comparaissait le policier, non pas parce qu'il est fonctionnaire mais parce que cette juridiction juge les infractions les moins graves du code pénal, passibles d'une contravention. De nombreux soutiens du prévenu, dont sa compagne, et de nombreux journalistes étaient présents.
Téléphone mal raccroché
Jordan M., le jeune policier, s'est présenté devant le tribunal pour s'expliquer sur ce message laissé sur le répondeur d'Elise A., une jeune femme de 34 ans. En février 2022, elle était venue porter plainte au commissariat du Ve arrondissement de Paris pour une agression sexuelle. L'homme, manifestement ivre, avait été interpellé rapidement. Alors qu'il est placé en garde à vue, Jordan M., qui prenait la relève de ses collègues de la nuit, rappelle la jeune femme pour lui demander de revenir apporter des précisions à sa plainte.
"C’était assez mal écrit, on avait du mal à comprendre le déroulé des faits, la plaignante avait quasiment 1 gramme d'alcool dans le sang", raconte le jeune homme, cheveux ras. "La procédure veut qu'on la laisse décuver avant de recueillir sa plainte pour avoir le maximum de lucidité. Là il manquait des éléments, des morceaux de phrases. Je suis quelqu'un de carré, j’aime que les choses soient bien faites."
Sauf qu'après avoir laissé un message sur le répondeur d'Elise A. pour lui demander de le rappeler, le policier raccroche mal.
"Elle doit être en train de cuver", l'entend-t-on dire à une collègue sur l'enregistrement diffusé à l'audience. "C'est tellement pas compréhensible (...) on sait pas de qui elle parle, elle a pas de sens cette plainte (...) Ah elle refuse la confrontation, c'est vraiment une pute. Comme par hasard. (...) C'est juste pour lui casser les couilles. Putain la grosse pute."
"C’est à haute voix, je commente pour moi la procédure", se défend le fonctionnaire de police qui était en poste depuis cinq ans. "C’est quelque chose que je fais pour me concentrer, pour reprendre la procédure. C’est comme si je les prononçais dans ma tête, ils n'étaient pas prononcés à l’attention de quelqu'un."
Lui qui ne se définit pas comme "une personne grossière", mais comme ayant des valeurs "féministes", l'assure, "ce langage grossier", "ce sont des choses qu’on ne pense pas". D'ailleurs, il insiste, il les disait pour lui et non à ses trois autres collègues présents dans l'open space.
L'impartialité du parquet remise en cause
Public? Privé? Le caractère des injures a d'ailleurs été l'objet d'un âpre combat pour la plaignante. Sa plainte pour "injure publique" avait été classée sans suite par le parquet de Paris. Un point sur lequel son avocat souhaite insister lors de cette audience.
"La plainte a été classée car le parquet a considéré sur le caractère public et n’a pas statué sur le caractère non public", plaide Me Arié Alimi, dans un débat juridique pointu.
Ce qu'a contesté la présidente de l'audience. La jeune femme avait dû porter plainte avec constitution de partie civile pour qu'une information judiciaire soit ouverte.
Pour le défenseur de la plaignante, il fait peu de doute que le classement sans suite de la première plainte et des réquisitions prises par le parquet lors d'une seconde plainte demandant à ce qu'une information judiciaire ne soit pas ouverte dans cette affaire sont "liés à la qualité de policier".
"C'est ça qui a heurté la présidente, elle a considéré que je remettais en cause (...) l'impartialité du parquet dans le cadre du premier classement sans suite puis des réquisitions au fin de non informer quand on a ouvert l'instruction et que ça ne permettait pas la sérénité des débats, parce que je remettait en cause l'impartialité structurelle de la justice", poursuit Me Alimi.
Après une suspension d'audience, la venue d'un délégué du bâtonnier dans le cadre de cet incident, la présidente du tribunal de police a choisi de renvoyer l'audience au 4 décembre. "C'est un vrai débat débat intellectuel qu'il faut avoir", plaide Me Alimi. A cette annonce, la compagne du policier s'est mise à pleurer. "Ca fait deux ans, ça commence à être long, psychologiquement", explique un ami du couple.