Police judiciaire : Darmanin défend une réforme « courageuse » face au tollé

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JUSTICE - « Courageuse » ou « mortifère » ? Tout le monde n’a pas la même perception de la réforme très controversée de la police judiciaire de Gérald Darmanin. Ce dimanche 9 octobre, le ministre de l’Intérieur a défendu dans une interview au Parisien son projet qu’il présente comme « courageux, indispensable et difficile », deux jours après l’indignation suscitée par le limogeage du patron de la zone sud de la PJ.

Jeudi, le Directeur général de la police nationale (DGPN) Frédéric Veaux a dû traverser une « haie du déshonneur » formée par quelque 200 enquêteurs opposés au projet. Le lendemain, Eric Arella, patron respecté de la PJ du sud de la France, était limogé.

La réforme « bouscule des habitudes et il est normal qu’elle suscite des contestations » mais « certaines limites ne doivent pas être franchies », a déclaré le ministre en dénonçant les « images choquantes » de la manifestation des enquêteurs à Marseille. « Il est évident » que certains manifestants « pourraient être redevables de sanction », a-t-il dit, précisant cependant avoir demandé au Directeur central de la police judiciaire, Jérome Bonet, « d’avoir le sens de l’apaisement ».

Quand les syndicats de police lui ont demandé samedi de prendre des mesures « d’apaisement », ce n’était peut-être pas ce qu’ils avaient en tête. Alliance, l’un des principaux syndicats de police, et l’Unsa ont dénoncé une réforme qui « suscite le rejet ». « Il faut donc stopper cette spirale qui risque de creuser un fossé inquiétant et déstructurant au sein de notre maison police », ont-ils écrit dans un communiqué commun.

Mais que reprochent concrètement les policiers, juges et élus à cette réforme ?

Les policiers de la PJ, les « grands sacrifiés »

Pour Frédéric Macé, juge d’instruction et secrétaire général de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) cette réforme « opaque » est « une véritable révolution au sens propre du terme, un retour en arrière de 115 ans. C’est une réforme mortifère pour la PJ. Je parlerais même d’une liquidation judiciaire de la filière investigation », dénonce-t-il auprès de Franceinfo.

Dans les faits, programmée pour entrer en vigueur l’année prochaine, cette réforme prévoit de placer la sécurité publique, la police aux frontières, le renseignement territorial et la police judiciaire sous l’autorité d’un directeur unique dans chaque département. Les membres de la PJ, au nombre de 3500, « redoutent ainsi d’être les grands sacrifiés de ce projet » et de voir leur travail d’investigation contre la grande criminalité empêché au bénéfice de la lutte contre la petite et moyenne délinquance, note le JDD dans son édition du 9 octobre.

Ce dimanche, Gérald Darmanin a répété qu’« aucun policier de PJ ne fera autre chose que ce qu’il faisait aujourd’hui ».

La fin des enquêtes sur la criminalité ?

Autre inquiétude : la perte de la capacité de la PJ à faire des enquêtes au long cours et sur la criminalité. Ce notamment à cause d’un manque de moyen créé par une aggravation des déséquilibres. Le JDD évoque notamment le déficit d’officiers de police judiciaire (OPJ) « criant ».

« Les ressources vont d’abord aller à la sécurité publique et au traitement du tout-venant », déplore Marc Cimamonti, procureur général à Versailles cité par le JDD, « alors qu’il ne faut jamais oublier l’importance de l’enquête de PJ dans les affaires de grande criminalité, c’est la première phase du procès », alerte-t-il.

Dans une tribune du Monde publiée fin août, un collectif de magistrats, policiers et citoyens, s’inquiétait qu’ainsi que le DDPN puisse « être incité à orienter les moyens de la PJ en fonction de critères opportunistes », comme des « missions assurant de meilleurs retours statistiques, exigences des élus, résorption du contentieux de masse ».

Il n’y aura « aucune suppression d’effectif, aucune suppression d’office central, aucune suppression de service ou d’antenne locale », a de son côté assuré le ministre de l’Intérieur en assurant que cette décision est un « amendement du projet de la DGPN ».

Inquiétude sur la séparation des pouvoirs

Les hauts magistrats aussi s’inquiètent. Quelle va être la proximité entre les futurs chefs de police et les préfets et les élus ? « Quelle autorité fonctionnelle et hiérarchique un procureur pourra-t-il avoir sur le directeur de son département ?  », s’interroge ainsi le chef du parquet de Saintes (Charente-Maritime) sur le site spécialisé Actu juridique.

Des interférences du pouvoir politique dans les enquêtes sont craintes. « Décloisonner la PJ qui traite du terrorisme, de la criminalité organisée, de la grande délinquance financière et des dossiers “politiques” accentuera cette difficulté pour le DDPN, au contact étroit et constant du préfet », estime l’ANPJ, Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), « apolitique » et « sans étiquette syndicale » créée spécialement pour protester contre ce projet, dans un communiqué diffusé vendredi.

Le Conseil national des barreaux (CNB) s’inquiète également, dans un communiqué du 13 septembre repris par Franceinfo. « Des dangers que porte ce projet d’interférences du politique par l’effet du renforcement de l’autorité des préfets sur la police ». Le CNB déplore les conséquences qu’une telle réforme pourra avoir « sur la sécurité des citoyens, sur l’indépendance de la justice et sur le principe de séparation des pouvoirs ».

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