Police judiciaire : la colère des policiers face à la réforme de Darmanin se lit dans ces images

French police officers and other members of the justice system gather during a rally against the planned reform of the Judicial Police (PJ) and the recent sacking of Marseille's police chief, on the steps of the Palais de Justice in the southern city of Marseille, on October 17, 2022. - Rallies are taking place in several French cities on October 17, 2022, as opponents fear the reform would see a 'levelling down' of the Police Judicaire, in charge of the most complex crimes and investigations. (Photo by NICOLAS TUCAT / AFP)

JUSTICE - « Touche pas à ma PJ » : des centaines d’enquêteurs de police judiciaire hostiles à la réforme de leur filière se sont rassemblés ce lundi 17 octobre partout en France pour tenter, avec le soutien de magistrats et d’avocats, de convaincre Gérald Darmanin de renoncer à son projet.

L’inscription « liquidation judiciaire » ou des portraits de Georges Clemenceau – le fondateur des « brigades du Tigre », ancêtres de la PJ – pleurant une larme de sang scotchés sur leurs gilets : les opposants se sont réunis à la mi-journée « dans 36 villes », selon l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ).

À Nanterre, 200 à 300 fonctionnaires des offices centraux de la PJ, se sont rassemblés derrière une banderole : « Les offices contre la DDPN. » Des magistrats des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), en robe, les ont rejoints. À Lyon, environ 150 officiers de police, magistrats ou avocats se sont retrouvés devant le Palais de justice. Devant la préfecture de l’Hérault à Montpellier, il y avait 150 à 200 manifestants. À Strasbourg, environ 60 agents de police et une vingtaine de magistrats se sont mobilisés. Ils étaient également une cinquantaine à Brest et à Lille, où les magistrats arboraient des panneaux « touche pas à ma PJ » .

Gérald Darmanin avait défendu dans une interview au Parisien son projet qu’il présente comme « courageux, indispensable et difficile », deux jours après l’indignation suscitée par le limogeage du patron de la zone sud de la PJ. La réforme « bouscule des habitudes et il est normal qu’elle suscite des contestations » mais « certaines limites ne doivent pas être franchies », avait-il déclaré en dénonçant les manifestations des enquêteurs à Marseille.

Mais que reprochent concrètement les policiers, juges et élus à cette réforme ?

Les policiers de la PJ, les « grands sacrifiés »

Pour Frédéric Macé, juge d’instruction et secrétaire général de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) cette réforme « opaque » est « une véritable révolution au sens propre du terme, un retour en arrière de 115 ans. C’est une réforme mortifère pour la PJ. Je parlerais même d’une liquidation judiciaire de la filière investigation », dénonce-t-il auprès de Franceinfo.

Dans les faits, programmée pour entrer en vigueur l’année prochaine, cette réforme prévoit de placer la sécurité publique, la police aux frontières, le renseignement territorial et la police judiciaire sous l’autorité d’un directeur unique dans chaque département. Les membres de la PJ, au nombre de 3500, « redoutent ainsi d’être les grands sacrifiés de ce projet » et de voir leur travail d’investigation contre la grande criminalité empêché au bénéfice de la lutte contre la petite et moyenne délinquance, note le JDD dans son édition du 9 octobre.

Le 9 octobre, Gérald Darmanin a répété qu’« aucun policier de PJ ne fera autre chose que ce qu’il faisait aujourd’hui ».

La fin des enquêtes sur la criminalité ?

Autre inquiétude : la perte de la capacité de la PJ à faire des enquêtes au long cours et sur la criminalité. Ce notamment à cause d’un manque de moyen créé par une aggravation des déséquilibres. Le JDD évoque notamment le déficit d’officiers de police judiciaire (OPJ) « criant ».

« Les ressources vont d’abord aller à la sécurité publique et au traitement du tout-venant », déplore Marc Cimamonti, procureur général à Versailles cité par le JDD, « alors qu’il ne faut jamais oublier l’importance de l’enquête de PJ dans les affaires de grande criminalité, c’est la première phase du procès », alerte-t-il.

Dans une tribune du Monde publiée fin août, un collectif de magistrats, policiers et citoyens, s’inquiétait ainsi que le DDPN puisse « être incité à orienter les moyens de la PJ en fonction de critères opportunistes », comme des « missions assurant de meilleurs retours statistiques, exigences des élus, résorption du contentieux de masse ».

Ce qui nous inquiète le plus « c’est une perte de moyens et d’être saturés par le contentieux de masse que traite actuellement la sécurité publique », a déclaré ce 17 octobre à l’AFP Yann Bauzin, président de l’ANPJ.  « Si on vient au renfort de collègues qui sont saturés avec 300 procédures sur leur bureau, moi qui actuellement fait des enquêtes qui durent parfois plusieurs années et qui a dix dossiers sur mon bureau, il est bien évident qu’un dossier de plus, c’est 10 % de mon temps qui est distrait », a-t-il détaillé.

Il n’y aura « aucune suppression d’effectif, aucune suppression d’office central, aucune suppression de service ou d’antenne locale », a de son côté assuré le ministre de l’Intérieur en assurant que cette décision est un « amendement du projet de la DGPN ».

Inquiétude sur la séparation des pouvoirs

Les hauts magistrats aussi s’inquiètent. Quelle va être la proximité entre les futurs chefs de police et les préfets et les élus ? « Quelle autorité fonctionnelle et hiérarchique un procureur pourra-t-il avoir sur le directeur de son département ?  », s’interroge ainsi le chef du parquet de Saintes (Charente-Maritime) sur le site spécialisé Actu juridique.

Des interférences du pouvoir politique dans les enquêtes sont craintes. « Décloisonner la PJ qui traite du terrorisme, de la criminalité organisée, de la grande délinquance financière et des dossiers « politiques » accentuera cette difficulté pour le DDPN, au contact étroit et constant du préfet », estime l’ANPJ, Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), « apolitique » et « sans étiquette syndicale » créée spécialement pour protester contre ce projet, dans un communiqué diffusé vendredi.

Le Conseil national des barreaux (CNB) s’inquiète également, dans un communiqué du 13 septembre repris par Franceinfo. « Des dangers que porte ce projet d’interférences du politique par l’effet du renforcement de l’autorité des préfets sur la police ». Le CNB déplore les conséquences qu’une telle réforme pourra avoir « sur la sécurité des citoyens, sur l’indépendance de la justice et sur le principe de séparation des pouvoirs ».

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