"Un peu assez de cette ombre tutélaire": pourquoi l'omniprésence de Mélenchon agace certains insoumis

Stratégie pour ralentir le projet de loi sur les retraites, tensions avec la Nupes et les syndicats, sur fond de sentiment que Jean-Luc Mélenchon, qui a pourtant appelé à "être remplacé", est plus présent que jamais.

Les partenaires de La France insoumise, mais aussi quelques élus de son propre camp, s'étonnent de l'hyperactivité de l'ex-candidat à la présidentielle, sans mandat et désormais occupé à diriger l'institut La Boétie qui veut former de futurs cadres politiques.

"On a passé 8 jours de débat dans l'hémicycle environné de tweets qui viennent interférer avec ce qui s'y passe. Ça peut évidemment embarrasser et faire se poser des questions", admet le député Christophe Bex, proche de François Ruffin, auprès de BFMTV.com.

"Nos partenaires voulaient nous mettre un coup de pression"

Dans son viseur: la journée de jeudi dernier à l'Assemblée nationale, qui a révélé au grand jour les frontières au sein de la Nupes. Alors que les communistes, les socialistes et les écologistes enlevaient leurs amendements pour accélérer les discussions et débattre de l'article 7 qui recule l'âge de départ à la retraite à 64 ans, les insoumis maintenaient les leurs, non sans avoir hésité.

Faut-il y voir la main de Jean-Luc Mélenchon, très attaché à cette stratégie qui a permis, d'après ses proches, au gouvernement de ne pouvoir se réclamer d'un vote pour la réforme qui aurait risqué à terme de démobiliser les opposants à la réforme? Non, affirme son entourage.

"On a beaucoup échangé avec les députés LFI sur le sujet avant de se mettre tous d'accord", avance Antoine Léaument, très longtemps le community manager de Jean-Luc Mélenchon.

"Nos partenaires de la Nupes voulaient nous mettre un coup de pression pour faire comme eux et nous assumons ce désaccord avec eux. Il ne faut pas y voir beaucoup plus", avance encore ce trentenaire.

L'appel à une Nupes "plus claire et démocratique"

Dans la foulée du retrait des amendements des communistes, Jean-Luc Mélenchon a tancé ses partenaires de gauche publiquement. "Pourquoi se précipiter à l'article 7? Le reste de la loi ne compte pas? Hâte de se faire battre?", écrit l'ancien candidat à la présidentielle sur son compte Twitter.

La stratégie choisie par les insoumis déplaît, même parmi les députés Nupes les plus proches de LFI, à l'instar de Sandrine Rousseau. De quoi pousser l'écoféministe à exiger sur Public Sénat une "Nupes plus claire et démocratique" qui doit s'incarner '"dans un acte 2". L'élue parisienne n'hésite pas non plus à qualifier "d'erreur" le tweet de Jean-Luc Mélenchon.

"Plus facile de nous blâmer"

"Peut-être que c'est plus facile de nous blâmer que de reconnaître que, chez nos partenaires, certains voulaient aussi rester sur la même ligne que nous", tance Ugo Bernalicis, l'un des intimes du fondateur de La France insoumise.

Mais à demi-mot, une députée insoumise élue pour la première fois en 2022 regrette pourtant la méthode. Jusqu'ici, l'attelage entre LFI et les autres groupes de gauche avaient tenu bon gré mal gré depuis ses premiers mois à l'Assemblée en juin dernier.

"On assume la conflictualité dans l'hémicycle et nous avons un autre positionnement que certains groupes de gauche. Mais il ne faut pas qu'on braque les uns et les autres. On y perdra tous à la fin", avance cette parlementaire.

Un groupe profondément remanié et moins fidèle

Il faut dire que l'écosystème a changé rapidement au sein du groupe LFI à l'Assemblée nationale. D'un petit groupe de 17 députés en 2017, pour la plupart des intimes de Jean-Luc Mélenchon, le mouvement est passé à 75 élus, dont certains ne l'ont que rarement croisé et jugent ne pas lui devoir leur élection.

"Si vous couplez ça à un intergroupe de gauche avec des gens pas tous fans de LFI, ça donne beaucoup de députés qui peuvent en avoir un peu assez de cette ombre tutélaire", traduit-elle encore.

Cette séquence à l'Assemblée nationale arrive aussi après des mois très difficiles au sein de LFI, après l'affaire Adrien Quatennens et des secousses internes liées à la réorganisation du mouvement, désormais coordonnée par Manuel Bompard, un intime du fondateur de LFI.

"Transpercé" par l'affaire Quatennens

Même des camarades de la première heure, comme Alexis Corbière prennent alors leur distance avec le nouvel organigramme de LFI. "Le resserrement du mouvement nous fragilise et crée du dégoût en politique", nous explique même à ce moment-là la députée Raquel Garrido, pourtant réputé proche de l'ex-élu.

"C'est vrai qu'on a été transpercé par ces deux sujets dans les médias et que ça nous a bouffé beaucoup d'énergie", reconnaît Christophe Bex.

Après plusieurs gestes de soutien de Jean-Luc Mélenchon en direction d'Adrien Quatennens, qui ont déplu à plusieurs figures du groupe, de Clémentine Autain à François Ruffin en passant par Manon Aubry, un député socialiste qui connaît bien Jean-Luc Mélenchon y voit même une vengeance.

"Il y a un petit côté 'vous avez sanctionnez mon protégé en l'excluant du groupe jusqu'en avril et personne ne m'a vraiment défendu quand je l'ai soutenu. Donc je vais vous faire un peu suer"', juge ce parlementaire.

"On ne comprendrait pas qu'il ne soit pas au combat"

En filigrane, c'est aussi l'incarnation de la gauche dans les prochaines années qui se jouent. Si Jean-Luc Mélenchon a appelé ses troupes "à faire mieux" lors de la prochaine présidentielle, rares sont ceux à vraiment le voir lever le pied.

"Je suis très fier de l'avoir dans nos rangs. Il bouscule les débats, il mobilise pour faire retirer la réforme des retraites. On ne comprendrait pas que quelqu'un qui a fait 22% en avril ne soit pas au combat", avance ainsi l'insoumis Ugo Bernalicis.

Pourtant, plusieurs quadragénaires du parti piaillent d'impatience et veulent désormais se projeter dans l'après. François Ruffin, l'un des électrons libres du mouvement, n'exclut pas de se présenter "un jour à la présidentielle". Clémentine Autain a de son côté indiqué souhaité être "partie prenante" de la course à l'Élysée en 2027.

"Il assumera toujours sa responsabilité et s'il n'y a pas d'autre choix et qu'il est le mieux placé pour l'emporter, il ira. Mais il préfèrerait une situation politique qui ne l'y oblige pas. Il n'est pas spécialement demandeur", avance Antoine Léaument.

Dans les rangs de ses très proches, on remarque, le sourire en coin que l'ancien élu est passé de 11% à 22% entre 2012 et 2022. "Imaginez ce que pourrait donner en 2027 si c'était lui", sourit encore le jeune homme.

Selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche, le septuagénaire incarne à 43% l'opposition à la réforme des retraites, dépassé par Marine Le Pen (46%).

Article original publié sur BFMTV.com