Pendant mon séjour en unité psychiatrique, comment l’écriture m’a aidée à sortir de la honte

C’est en instaurant de petits changements d’habitudes que vous prendrez davantage soin de votre santé mentale en 2021, tout en ayant le sentiment de tirer un trait sur la négativité de 2020.
Yulia Lisitsa via Getty Images C’est en instaurant de petits changements d’habitudes que vous prendrez davantage soin de votre santé mentale en 2021, tout en ayant le sentiment de tirer un trait sur la négativité de 2020.

SANTE MENTALE - « Je ne pourrai jamais trouver les mots qui rendraient cette intensité, ce sentiment tellement fort d’abandon et d’insignifiance. Une voix qui était heureuse, une voix que vous aimiez, elle est restée derrière le mur de l’hôpital…  »

1978. La jeune Valérie Valère alors âgée de 15 ans raconte dans un récit bouleversant, Le pavillon des enfants fous, la réalité de la vie en isolement. Gamine accidentée, internée en hôpital psychiatrique à l’adolescence, elle crache à chaque page le souvenir terrible et humiliant de son hospitalisation.

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Août 2006, j’ai 17 ans. Un baccalauréat scientifique en poche, un certificat d’admission en classe d’hypokhâgne, quand tout s’arrête brusquement : mes perspectives d’avenir, une scolarité dans un lycée d’élite, les cinés entre copines, les flirts à la sortie des cours, les câlins, les blagues, une vie de famille. Je suis internée pour une durée indéterminée dans une clinique psychiatrique pour cause de troubles alimentaires (TCA) graves. Vulnérables et démunis, mes parents cèdent, se plient au protocole de l’institution.

La vie en isolement est monotone et stérile. À mon arrivée, je suis fouillée de la tête aux pieds, mes effets personnels sont passés au peigne feint. Comme un taulard investit ses « quartiers », je foule le sol d’une chambre minuscule à l’odeur fétide. Un seau en plastique fait office de toilettes de chambre, la fenêtre est condamnée. Mon isolement va durer des mois, chaque matin apportant la promesse d’un nouveau traumatisme, blessures irréparables. Surveillance caractérisée, sédatifs à haute dose, insomnies et troubles obsessionnels compulsifs.

Vivre avec un stigmate

Sortir de l’isolement c’est d’abord renouer avec un entourage incrédule et naïf. Comment raconter cette réalité absurde, cette expérience carcérale et hors du temps ?

Sortir de l’isolement c’est apprendre à mentir, car on est mis au ban. Marginalisée, déscolarisée, je suis hors circuit à 18 ans.

Sortir de l’isolement c’est apprendre à oublier, à refouler - les déchirures, souvenirs pathogènes - à ravaler sa haine.

Sortir de l’isolement c’est boiter, réapprendre à marcher.

Sortir de l’isolement c’est un calvaire, un parcours du combattant.

Au fil des années des phrases se forment dans ma tête. Religieusement je les consigne dans un calepin, je crée des notes dans mon iPhone, je pose des mots, des syntagmes, des rimes et même des blagues. Je sais qu’un jour ces bribes prendront forme. Ce jour-là je n’aurai plus honte.

En attendant je lis. Me procure tout ce qu’il existe de littérature, scientifique, sociologique ou romanesque pour mieux appréhender l’anorexie. Ma thérapie n’est pas finie mais ces lectures favorisent une meilleure acceptation de la maladie. Par la suite, des exercices de remédiations cognitives viendront s’ajouter à mon traitement pour entraîner ma plasticité cérébrale, la flexibilité étant capitale dans la capacité du patient à passer d’un schéma à un autre, lever les freins, les obstacles qui figent et vous maintiennent captives.

L’écriture comme anesthésiant

Avec le temps et la volonté, les troubles se sont estompés. Une thérapie de groupe, l’apport des thérapies cognitives et comportementales (TCC), leur approche holistique, multidisciplinaire, la confiance de praticiens éclairés, une prise de conscience…

À 30 ans, je reprends le contrôle de mon existence. Mais il y reste une ombre au tableau. Si les TCC ont joué un rôle majeur dans ma guérison - casser ses schémas pour reconstruire sur de nouvelles fondations – je n’ai jamais pu chasser le souvenir de mon isolement. J’aimerais faire Pomme Z. Impossible. Ma violence est sourde, elle est contenue.

Un jour c’est la crise, les larmes qui coulent, un flot d’invectives. Je couche sur le papier les premières lignes. « La première page », ce sera le nom de l’incipit. L’écriture m’appelle, elle m’aspire. Elle s’impose comme un besoin vital, une nécessité. Au fil des pages, je rouvre les plaies pour les recoudre, romps les silences pour dire ma peine. Pendant deux ans j’y reviendrai. Tard le soir, le dimanche, les après-midi d’hiver ou en vacances.

J’écris pour dire ma vérité pour me soigner, me réparer. L’écriture remplit sa fonction cathartique : mettre à distance le résidu traumatique pour le changer en « mauvais souvenir ». Plus de drame, rien de grave. Des cauchemars on en fait tous. Un matin chasse l’autre et les commotions se meuvent en tristes songes.

Pour une psychiatrie à visage humain

Ce 10 octobre a lieu la Journée Mondiale de la Santé Mentale. À cette occasion, je veux saluer le travail formidable mené par les équipes de l’APHP et des unités spécialistes des troubles alimentaires graves chez l’adulte. Une main tendue de l’assistance publique, accessible à tous et gratuite. Parce qu’une psychiatrie à visage humain reste possible, nombreux sont les professionnels, médecins, associatifs et ex-patients investis dans la réhabilitation psychosociale des malades. La maladie mentale n’est pas une fatalité. Elle n’appelle aucun asservissement, aucun bannissement.

La Fédération française Anorexie Boulimie (FFAB) regroupe professionnels et aidants accompagnant les patients et leurs proches dans la prise en charge des TCA, du diagnostic au traitement, à chaque étape du parcours de soins. Une permanence téléphonique se tient à la disposition des malades quatre jours par semaine entre 16 heures et 18 heures au 0 810 037 037.

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