Pelé est mort et sa passivité politique restera comme sa part d’ombre
FOOTBALL - C’était la part d’ombre du « Roi » du football. Inégalé sur le rectangle vert avec trois Coupes du monde et des records en pagaille, Pelé, mort jeudi 29 décembre à l’âge de 82 ans, n’avait pas vraiment la même aura hors du terrain. Car contrairement à Sócrates au Brésil et surtout à son rival dans la course au titre honorifique de meilleur joueur de l’Histoire Diego Armando Maradona, la vie du Brésilien aura été marquée par des ambiguïtés en matière politique et sociale.
À commencer par son silence et son apathie durant les plus de vingt années de dictature militaire au Brésil, entre 1964 et 1985. Durant les deux décennies qu’aura duré le régime notamment incarné par le général Emilio Garrastazu Médici, jamais Pelé n’aura effectivement le moindre mot pour dénoncer la torture des opposants politiques, les attaques frontales contre les libertés individuelles ou les crimes commis par le pouvoir en place.
Pire encore, en 1970, alors qu’il est déjà double champion du monde et que l’on dit de lui qu’il est « plus célèbre que le Pape », il se retrouve sans rechigner au cœur de la propagande de la dictature, apparaissant sur des affiches ornées de slogans sans équivoque, comme le relate Le Monde, tels que « Le Brésil, tu l’aimes ou tu le quittes ». Et lorsqu’il conduit la Seleção brésilienne à son troisième titre mondial, il revient fêter la victoire et soulever le trophée à Brasilia au côté de Garrastazu Médici. Peut-être « l’opération de relations publiques la plus réussie de l’Histoire du sport », écrivait en 2013 World Soccer.
Ningún gol puede tapar esta foto. Pelé con Emílio Garrastazu Médici, el dictador que gobernó con mano de hierro Bra… https://t.co/PiKfz22wjA
— Víctor Egío (@EgioVictor)
Traduction du tweet : « Aucun but ne pourra faire oublier cette photo. Pelé avec Emilio Garrastazu Médici, le dictateur qui a dirigé le Brésil d’une main de fer durant les années de plomb de la dictature militaire où au moins 431 personnes ont été assassinées. »
Les contre-exemples Sócrates et Maradona
Or au moment de la dictature et de la passivité de Pelé, d’autres Brésiliens parviennent à faire du football une arme de lutte politique. Avec un exemple éclatant : celui de la « démocratie corinthiane ». Au début des années 1980, les Corinthians de São Paulo, menés par l’emblématique milieu de terrain Sócrates vont effectivement mettre en application les principes d’un système démocratique au sein de leur club, prendre les décisions de manière collégiales et afficher clairement leur opposition au régime. Une expérience qui se solde par des succès sportifs et faire d’une bande de joueurs de ballon des modèles de résistance.
Même chose du côté de Maradona, qui a cimenté sa légende et sa place dans le cœur des tribunes populaires en devenant un compagnon de lutte des opprimés. Que ce soit en devenant le visage de Naples, ville méprisée par l’Italie riche, en humiliant l’Angleterre au Mondial 1986 quatre ans après la guerre des Malouines, en revendiquant son héritage populaire et métissé ou en se tatouant le visage du Che Guevara, « el Pibe de oro » était un footballeur éminemment politique, un emblème du Tiers-Monde.
"Adios Companero", à la une de @humanite_fr ce jeudi. #Maradona https://t.co/nEH4GlenEw
— Cyril Petit (@CyrilPetit)
À l’inverse, Pelé aura incarné -bien avant que les termes soient employés- la mondialisation et la marchandisation du football. Premier joueur à multiplier les accords de sponsoring avec des multinationales, le génie brésilien s’affichait encore à près de 80 ans au côté de Kylian Mbappé pour faire la promotion d’une marque de montres de luxe. Et bien avant cela, au mitan des années 1970, alors que la dictature l’avait enfin autorisé à s’exporter, il acceptait un transfert qui allait le rendre richissime au Cosmos de New York alors qu’il aurait pu briller sur les pelouses d’Europe et se confronter aux meilleurs joueurs du monde.
« Je n’étais ni un super-homme, ni un faiseur de miracles »
Une trajectoire et un refus de prendre position qui se retrouve dans le reste du parcours de Pelé, qui aura fait le choix de ne jamais froisser aucun gouvernement ou institution. Un exemple éloquent à cet égard est son positionnement controversé sur la question du racisme au Brésil. Alors que des militants auraient aimé faire du footballeur un emblème de la population noire, lui n’aura de cesse de minimiser l’existence du racisme au Brésil, jusqu’à être considéré par certains comme une version locale de « l’oncle Tom », ce personnage acceptant la domination de l’élite blanche pour préserver ses privilèges.
Un positionnement qui lui permettra de demeurer une figure centrale dans la vie brésilienne, puisque ne se mettant personne à dos. Du président d’extrême droite Jair Bolsonaro à l’ancien ouvrier Lula en passant par le centriste Fernando Henrique Cardoso qui en fera son ministre des Sports, Pelé a toujours été en bons termes avec les gouvernants au Brésil. Quitte à se féliciter de la lutte menée contre le Covid-19 par Jair Bolsonaro, alors même que l’épidémie faisait des ravages du fait notamment des positions anti-vaccin du président.
Cette indifférence, Pelé l’a justifiée dans le documentaire hagiographique que lui a consacré Netflix en 2021. « Je crois que j’ai fait beaucoup plus pour le Brésil avec mon football et en étant moi-même que bien des hommes politiques payés pour le faire », expliquait-il alors, se défendant d’avoir pu faire plus pour la société brésilienne. « Je n’étais ni un super-homme, ni un faiseur de miracles. Juste une personne normale à qui Dieu a donné le don de jouer au football. » Des propos complétés dans le film par une archive où le « Roi » ajoutait : « Je n’ai aucune envie d’être impliqué en politique. Le football me prend déjà presque tout mon temps, et de toute façon, je ne comprends rien à la politique. »
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