Le patron d'OceanGate prenait comme "une grave insulte personnelle" les alertes sur la sécurité du Titan

Selon une enquête du New Yorker, l'entreprise OceanGate et son PDG Stockton Rush ont été prévenus plusieurs fois des risques de sécurité que présentait le Titan. Ce submersible a implosé en juin, au début d'une expédition vers l'épave du Titanic.

En août 2021, dans le vlog d'un youtubeur mexicain, le fondateur de l'entreprise OceanGate disait qu'il "voudrait que l'on se souvienne de [lui] comme d'un innovateur". "Je crois que c'est le général MacArthur qui a dit: 'On se souvient de vous pour les règles que vous enfreignez'. Et j'ai enfreint certaines règles pour réaliser ce projet", affirmait Stockton Rush à la caméra.

L'entrepreneur est mort lors de l'expédition sous-marine lancée le 18 juin, qui avait pour but d'aller explorer l'épave du Titanic à bord du submersible d'OceanGate nommé Titan. Après plusieurs jours de recherches, les gardes-côtes américains ont annoncé que le submersible avait, peu après sa plongée, été touché par une "implosion catastrophique" tuant les cinq hommes qui se trouvaient à bord.

Mais, selon une enquête du New Yorker publiée samedi, certains acteurs de l'industrie des submersibles avaient averti, depuis plusieurs années, qu'un tel dénouement était à envisager. L'entreprise OceanGate et son PDG auraient été prévenus plusieurs fois des risques de sécurité que présentait le Titan.

Un "accident en devenir"

L'alerte est notamment venue d'un ancien directeur des opérations maritimes d'OceanGate, David Lochridge. Début 2018, celui-ci a mené une inspection sur le Cyclops II (renommé plus tard Titan). Dans son rapport, envoyé à la direction d'OceanGate, il estimait que "jusqu'à ce que des actions correctrices appropriées soient mises en place et menées à bien, le Cyclops II ne doit pas être piloté pendant les essais à venir." Selon le New Yorker, il soulignait également dans son rapport que ses alertes avaient été communiquées à l'oral, mais "rejetée à plusieurs reprises".

Lochridge a été renvoyé presque immédiatement après. "Je me considère comme une personne assez courageuse lorsqu'il s'agit de faire des choses dangereuses, mais ce sous-marin est un accident en devenir", a-t-il écrit à cette période dans un message à l'explorateur Rob McCallum.

"Je n'aurais pas plongé à bord de ce sous-marin, même si j'avais été payé pour", a-t-il martelé.

Et d'ajouter à propos de Stockton Rush: "Je ne veux pas être considéré comme un rapporteur, mais j'ai tellement peur qu'il se tue et qu'il tue d'autres personnes dans le but de satisfaire son ego".

Lockridge aurait alerté les autorités américaines des risques que présentait l'engin, notamment en raison des matériaux utilisés, peu adaptés à supporter une pression importante. Selon le New Yorker, "rien n'indique" qu'une enquête aurait été menée.

Un sous-marin "non certifié"

Le Titan était considéré comme un appareil expérimental, non certifié par les autorités américaines. "Les gens m'appelaient et me disaient: 'Nous avons toujours voulu aller voir Titanic, qu'en pensez-vous? Qu'en pensez-vous? Et je leur disais: 'Ne montez jamais dans un sous-marin non certifié. Je ne le ferais pas et vous ne devriez pas le faire non plus", a affirmé au New Yorker Rob McCallum, qui a co-fondé l'entreprise d'exploration Eyos et mené de nombreuses expéditions sous-marines.

Rob McCallum aurait également tenté d'avertir Stockton Rush lui-même. Le New Yorker rapporte un échange par mail, lors duquel McCallum souligne qu'OceanGate veut "utiliser un prototype de technologie non certifiée dans un endroit très hostile".

"Même si j'apprécie l'entreprenariat et l'innovation, vous mettez potentiellement toute une industrie en danger", ajoute-t-il.

Dans sa réponse, Stockton Rush aurait affirmé qu'il en avait "assez des acteurs du secteur qui tentent d'utiliser un argument de sécurité pour empêcher l'innovation et les nouveaux arrivants de pénétrer leur petit marché existant".

Il y aurait aussi déclaré entendre que son approche "va à l'encontre de l'orthodoxie en matière de submersibles, mais c'est la nature même de l'innovation". "Nous avons trop souvent entendu les cris sans fondement 'vous allez tuer quelqu'un'. Je prends cela comme une grave insulte personnelle", écrit-il, selon des mails que la BBC a aussi pu consulter.

Des enquêtes ouvertes

Les garde-côtes des États-Unis ont annoncé fin juin avoir ouvert une enquête pour déterminer les causes de l'implosion du Titan.

"Mon objectif principal est d'empêcher un événement similaire en formulant les recommandations nécessaires pour améliorer la sécurité du secteur maritime dans le monde entier", a déclaré Jason Neubauer, enquêteur en chef des garde-côtes et responsable de l'enquête, lors d'une conférence de presse à Boston (nord-est).

L'enquête américaine pourra émettre "si nécessaire" un avis au sujet d'éventuelles poursuites judiciaires. Les autorités canadiennes ont également annoncé l'ouverture d'une enquête sur les circonstances de l'expédition.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Des débris du submersible Titan rapportés au Canada