Que se passerait-il si la Chine levait sa stratégie "zéro Covid"?

Depuis la mi-novembre, la Chine connaît plusieurs manifestations contre les restrictions sanitaires strictes liées au Covid-19. Un fait rare illustré par le mouvement de protestations qui a touché l'usine Foxcon, l'un des principaux fournisseurs d'Apple, dans la ville de Zhengzhou.

Les autorités chinoises mènent depuis 2020 une politique dite de "zéro Covid", basée sur des restrictions draconiennes avec des cycles de confinements et de déconfinements au moindre cas détecté. Il ne s’agit pas, en Chine, de limiter la circulation du virus, mais de l’empêcher totalement.

D'un côté, les experts s'accordent pour dire que cette stratégie est intenable sur le long terme. De l'autre, l'abandonner est un véritable défi politique et sanitaire. Si bien que Pékin semble se trouver dans une impasse.

La stratégie "zéro Covid", fierté du régime chinois

Du côté purement sanitaire, la politique "zéro Covid" a porté ses fruits. Les autorités chinoises n'ont déclaré qu'un peu plus de 5000 décès depuis le début de la pandémie. Si ce chiffre est sous-estimé, il reste largement inférieur à la grande majorité des pays du monde.

Avant l’arrivée des vaccins, des stratégies "zéro Covid" ont été mises en œuvre par de nombreux pays, notamment avec des mesures de confinement. Toutefois, les gouvernements les ont progressivement abandonnées avec l'arrivée des vaccins et l’arrivée du variant Omicron, plus transmissible. La Chine, elle, est restée campée sur cette politique.

À contre-courant du reste du monde qui acceptait de "vivre avec le virus", Pékin annonçait sa victoire sur le Covid-19 et érigeait ainsi son régime comme nettement supérieur aux systèmes de gouvernance occidentaux. Aujourd'hui, Xi Jinping se retrouve coincé: le président chinois a trop martelé les mérités de sa politique pour pouvoir la remettre en cause, ce qui risquerait d'apparaître comme un désaveu.

Un risque de "tsunami" de cas, parmi une population peu vaccinée

Au-delà de l'aspect politique et idéologique, la contrainte réside également dans le risque sanitaire que pourrait entraîner l'abandon des mesures actuelles: des contaminations importantes sur une population insuffisamment protégée.

Selon une étude publiée dans Nature Medicine, la levée des restrictions en Chine provoquerait un "tsunami" parmi la population, causant près de 1,6 million de morts et envoyant 5,8 millions de personnes en soins intensifs, selon une étude de Bloomberg Intelligence. Une perspective insupportable pour les autorités puisque toute la politique et le discours de Pékin sont basés sur la protection de la vie.

En cause: une population peu vaccinée notamment chez les plus âgés, également les plus vulnérables face au virus. Seuls 65,8% des habitants de plus de 80 ans ont reçu deux doses de vaccin, ont indiqué les autorités sanitaires chinoises ce mardi. Un chiffre qui chute à 20% pour la troisième dose.

Pour des raisons culturelles, les seniors sont défiants vis-à-vis de la vaccination. De plus, en Chine, très peu de personnes âgées vivent en structures spécialisées, qui facilitent les campagnes de vaccination.

Immunité limitée

Autre obstacle à l'immunité chinoise: les deux seuls vaccins chinois disponibles, fabriqués par Sinovac et Sinopharm, sont peu efficaces et n'ont pas évolué pour s'adapter aux variants. Pékin n'a toujours pas autorisé les vaccins à ARN messager que nous connaissons en Europe. La priorité des autorités chinoises a été de montrer que le pays a fabriqué ses propres vaccins, malgré une efficacité assez limitée: pour protéger correctement, deux injections sont insuffisantes.

Début novembre, une visite du chancelier allemand Olaf Scholz en Chine s'est soldée par un accord de distribution du vaccin Pfizer dans le pays mais seuls les étrangers résidant en Chine y ont pour le moment accès.

Cette politique "zéro Covid" extrêmement stricte ne nécessitait donc pas de campagne de vaccination massive, "tester, tracer, isoler" étant suffisant. Une situation d’autant plus problématique que très peu d'habitants ont contracté le Covid-19 en Chine, ce qui limite d'autant plus l'immunité collective.

Risque d'engorgement des hôpitaux

En outre, le système hospitalier chinois n'est pas adapté au 1,4 milliard d'habitants et ne peut pas faire face à un engorgement massif en cas de levée des restrictions. Selon L'Express, la Chine ne compte que 4,5 lits de soins intensifs ou de réanimation pour 100.000 habitants, contre 33,9 en Allemagne, 28,5 à Taïwan, ou 25,8 aux États-Unis.

À titre d'illustration, Hong Kong avait adopté une stratégie de "zéro Covid" avec des politiques de confinement et de traçage stricts. Lors de l'assouplissement des mesures, le nombre de contamination a explosé.

"Je pense que (les Chinois) sont très mal préparés et, sur la base de ce que nous avons vu à Hong Kong - qui est probablement la meilleure approximation de ce qui pourrait se passer en Chine - cela pourrait être assez dévastateur", a déclaré François Balloux, directeur de l'Institut de génétique de l'University College London, lors d'une interview à STAT.

Selon des travaux publiés dans la revue Nature Medicine, ce n’est qu’à deux conditions que l’engorgement du système de santé pourrait être évité, et le nombre de décès réduit au niveau d’une saison grippale. Il faudrait que 97 % des plus de 60 ans soient vaccinés avec trois doses et que la moitié des personnes qui ont déclaré des symptômes bénéficient d’un traitement antiviral.

Le risque de nouveaux variants?

Certains experts craignent également qu'une circulation massive du virus en Chine en cas d'abandon de la politique "zéro Covid" favorise l'émergence de nouveaux variants.

Toutefois, selon Marion Koopmans, virologue au centre médical Érasme, aux Pays-Bas, l'absence d'immunité collective dans le pays pourrait y faire obstacle, étant donné que l'un des principaux déclencheurs de l'évolution virale est la nécessité pour le virus d'échapper à l'immunité humaine.

"Si l'immunité n'est pas très étendue, la pression de sélection [sur le virus] n'est pas très forte", a déclaré Marion Koopmans à STAT. "Cela pourrait donc jouer contre la sélection de nouveaux variants".

Si des mesures d'assouplissement des restrictions ont récemment été annoncées en Chine, comme à Canton par exemple, la perspective d'un abandon de la stratégie chinoise de lutte contre la pandémie semble encore lointaine, d'autant que le régime se retrouve comme pris au piège.

Toutefois, au-delà des protestations, c'est le virus lui-même qui pourrait mettre à mal cette politique. Cette semaine, près de 40.000 cas de Covid-19 ont été recencés dans le pays, un record qui montre une perte d’efficacité du "zéro Covid" sur le plan sanitaire, notamment face à Omicron.

Article original publié sur BFMTV.com