Paris: un à cinq ans de prison requis contre des voleurs qui droguaient leurs victimes

À chaque fois, le modus operandi est le même. Un faux chauffeur VTC prend en charge une personne sortant d'un bar ou d'une boîte de nuit. Le conducteur le fait monter à l'avant, côté passager, et lui propose un dernier verre. Celui-ci est en fait un mélange d'alcool et de drogue, du GHB, surnommé "la drogue du violeur".

À son réveil, dans la rue ou à son domicile, la victime, qui ne se rappelle quasiment de rien, découvre qu'elle a été dépouillée. Cartes bancaires, montres de luxe, bijoux... Pas moins de quatorze victimes ont été identifiées, entre septembre 2020 et octobre 2021 à Paris et dans sa proche banlieue, pour un préjudice total estimé à 120.000 euros.

Ce lundi, les quatre prévenus dans ce dossier, dont trois membres d'une même famille - les parents et leur fils - comparaissaient devant le tribunal judiciaire de Paris pour vol en bande organisée, administration de substance nuisible et usage frauduleux d'un moyen de paiement. Après plus de huit heures d'audience, entre un et cinq ans de prison, parfois assortis du sursis, et des amendes jusqu'à 5000 euros, ont été requis contre les quatre suspects.

Un système "bien rodé"

Il faut dire que le système "était bien rodé", a estimé la procureure. Présent à l'audience, Jules*, l'une des victimes, a raconté avoir été approché par un homme, qui s'est présenté comme un chauffeur VTC, à la sortie d'un bar, dans le 2e arrondissement de Paris. "Là où vous êtes très malin, c'est que vous lui avez dit que c'était le patron du bar qui lui avait commandé un Uber", a expliqué la juge en s'adressant au principal prévenu, Amine A., 29 ans.

Quelques minutes après avoir bu dans une bouteille de soda, donnée par le conducteur, c'est "le trou noir total", a raconté Jules à la barre, qui se réveillera le lendemain après-midi "entièrement nu" dans son lit, dans un appartement vidé de ses objets de valeur. Si Amine A., a reconnu les six vols de carte bancaire qui lui sont reprochés, il a nié être monté chez ses victimes pour leur voler des effets personnels.

Pourtant, à son réveil, Jules a constaté qu'il lui manquait deux montres de luxe, plusieurs bagues, des sacs à main, une valise, un téléphone portable, un ordinateur ou encore la clef d'une voiture de sport. "Je n'ai jamais mis les pieds chez qui que ce soit. Mais peut-être qu’il a fait la rencontre de quelqu’un d’autre ce soir-là", a justifié Amine A., interrogé sur ces objets. "Ce serait vraiment une soirée de malchance", a ironisé la juge.

De son côté, son ami Makan K., l'autre chauffeur aux méthodes quasi-identiques, a nié l'ensemble des faits qui lui sont reprochés. Poursuivi pour huit vols, l'homme de 30 ans, qui avait une licence de taxi au moment des faits, a rabâché qu'il s'agissait de coïncidences.

"Systématiquement, pour chaque vol, vous n'êtes pas loin de la victime, mais ce n'est pas vous. Vous n’avez quand même pas de chances", s'est agacée la juge.

Des symptômes similaires

Si le mode opératoire des deux chauffeurs est quasiment identique pour les quatorze victimes, les symptômes ressentis par ces dernières le sont aussi. Nausées, vomissements, état second, frissons, transpiration... Douze des quatorze passagers décrivent une sensation similaire, "qu'ils n'avaient jamais ressentie auparavant, des effets qui ne sont pas ceux de la gueule de bois", a expliqué la juge. Le GHB, cette drogue de synthèse utilisée initialement en médecine pour traiter la narcolepsie, a des propriétés sédatives et amnésiantes, d'où son surnom de "drogue du violeur". Il a d'ailleurs fallu plusieurs jours aux victimes pour que leurs souvenirs reviennent et qu'elles puissent porter plainte.

Mais peu d'analyses ont été réalisées. Le GHB est détectable moins de 12 heures dans les urines et seulement quelques heures dans le sang. "Le GHB est produit naturellement dans le corps", a rétorqué une avocate de la défense.

"C'est possible, mais pas certain" que du GHB a été donné volontairement aux victimes, a-t-elle insisté.

Si la drogue reste plusieurs semaines dans les cheveux, la plupart des victimes n'ont pas pu être testées, en raison des délais dépassés ou d'un passage chez le coiffeur qui a effacé les traces.

Mais malgré l'absence d'analyses, l'administration de substance a été retenue pour l'ensemble des victimes, a rappelé la procureure, au moment de ses réquisitions.

"On a quand même quatorze victimes, qui ne se connaissent pas, qui ne se sont jamais parlé, mais qui vont décrire exactement les mêmes symptômes", a justifié la procureure.

Véhicules, articles de luxe et comptes garnis

Quant aux parents d'Amine A., Samia B., 48 ans et Wahid A., 55 ans, les enquêteurs ont retrouvé à leur domicile "des produits de luxe", notamment plusieurs dizaines de paires de baskets de marque, des sacs et des montres de luxe, dont une Rolex, un ordinateur, des lunettes de soleil et des factures d'achat chez Louis Vuitton. Le tout évalué à plus de 21.000 euros par les enquêteurs.

Et ce n'est pas tout. Les policiers de la brigade d’enquête et d’investigation du commissariat du Xe arrondissement de Paris ont également découvert que les comptes bancaires de la famille, qui touche le RSA, étaient bien garnis. "Articles de luxe? C'est à voir! Rien ne dit que ce ne sont pas des faux", s'est justifiée la mère de famille, propriétaire de quatre véhicules, deux voitures et deux motos.

"Vous comprenez bien que ce qui vous est reproché, c’est de vivre au-dessus de vos moyens", lui a martelé la juge à plusieurs reprises, l'interrogeant sur les produits de luxe et les véhicules.

"Ça peut paraître aberrant que quelqu'un au RSA possède quatre véhicules", a concédé Samia B., avant d'expliquer que ses deux voitures étaient "vieilles" et que si deux motos étaient à son nom elles appartenaient en fait à son fils.

Des peines de douze mois avec sursis ont été requises contre les parents d'Amine A., poursuivis pour non-justification de ressources. Mais c'est contre les deux faux chauffeurs de VTC que la procureure a requis les peines les plus sévères: 5 ans, dont 4 ans ferme, contre Amine A. et 4 ans, dont 2 ans ferme, contre Makan K. pour lequel elle a demandé un mandat de dépôt. La décision a été mise en délibéré. Elle sera rendue le 5 juillet prochain.

*Les prénoms ont été changés.

Article original publié sur BFMTV.com