Le parcours du combattant de 4 jeunes filles russes pour fuir le pays et les sévices de leur famille

Aminat Gazimagomedova le 29 octobre 2022.  - Capture d'écran de la vidéo postée sur Telegram
Aminat Gazimagomedova le 29 octobre 2022. - Capture d'écran de la vidéo postée sur Telegram

Onze heures seulement séparent la première vidéo posté par le groupe sur Telegram depuis un centre de rétention à la frontière russo-géorgienne, où les jeunes filles expliquaient craindre pour leur vie, de la dernière, enregistrée en Géorgie, pleine de remerciements pour "ceux qui ont refusé d'être indifférents". Mais c'est tout un monde de douleurs et de menaces qu'elles ont réussi à quitter dans l'intervalle.

Les sœurs Khizrieva et leurs deux cousines ont raconté leur histoire - relayée par Le Monde mardi et par BFMTV ce mercredi - dans ces captations publiées sur internet. Dans leur foyer elles étaient battues et victimes des pires violences depuis de longues années. Et c'est pour échapper à ces sévices qu'elles ont pris la route de l'étranger.

Blocages en série

Les jeunes filles viennent du Daghestan, république russe du Caucase, et plus précisément du village de Khadjalmakhi. Outre leur lien de parenté et leur solidarité, elles ont donc en commun d'avoir essuyé les coups de leur entourage et d'avoir été excisées petites filles. De surcroît, l'une d'entre elles devait être mariée de force à l'un de ses cousin sous peu. Elles ont par conséquent décidé de tenter leur chance et de prendre la route de l'exil.

Il faut dire que dans leur pays, les victimes de violences domestiques ne peuvent pas compter sur la protection de la justice. Depuis 2017, en effet, ces maltraitances ont été dépénalisées, et leurs auteurs ne risquent plus qu'une amende (la loi posant pour toute réserve que ces coups soient les premiers et n'aient pas fait couler le sang). Elles se sont d'abord cachées trois mois durant avant de rallier la frontière russo-géorgienne, le 29 octobre.

Là, commencent cependant vexations et blocages. La douane refuse ainsi de les laisser passer dans un premier temps. On leur demande si elles ont une autorisation familiale pour passer à l'étranger. Requête d'autant plus aberrante que les quatre jeunes filles sont majeures - elles ont même rongé leur frein plusieurs années, attendant que la benjamine le devienne. Puis, les douaniers veulent savoir si elles ne laissent pas des dettes derrière elles. Fortes d'un projet mûri de longue date, elles peuvent alors montrer des documents prouvant qu'il n'en est rien. Enfin, on les accuse de vol.

Coup de pression

Après cet interrogatoire, on les conduit dans un centre de rétention. C'est là qu'elles lancent leur première bouteille à la mer, ou plutôt à la plateforme numérique Telegram. Elles prennent successivement la parole devant l'écran du téléphone. "Je suis Aminat Gazimagomedova, née en 1998. Je suis à la frontière avec la Géorgie et je demande qu'on ne me ramène pas à mes proches qui me recherchent pour me tuer", dit l'une. "Je suis Patimat Khizrieva , née en 2004. Je demande qu'on ne me remette pas à mes parents, ils peuvent me tuer", dit une deuxième. Suivent ensuite les déclarations similiaires de Khadidjat Khizrieva et de Patimat Magomedova.

Dans la seconde vidéo, enregistrée par une avocate missionnée auprès d'elle, on voit un homme essayer de ramener les échappées au bercail. C'est un membre de leur famille, et il est accompagné de la mère des deux sœurs qui a, elle aussi, fait le déplacement. Cette arrivée n'a rien d'un hasard: la police aux frontières a prévenu la famille en amont. Ce coup de pression reste toutefois vain.

La peur du "crime d'honneur"

Les ONG de défense des droits humains sollicitées en parallèle s'activent pour sensibiliser l'opinion à la cause des jeunes filles et contribuer à leur salut. Il n'y a pas beaucoup à faire: en quelques heures à peine, la première vidéo a cumulé des centaines de milliers de visionnages. Et de nombreux particuliers joignent alors leurs forces pour mener des raids téléphoniques sur le poste-frontière où elles sont détenues. En d'autres termes, ils multiplient les appels jusqu'à en saturer les lignes.

L'heure n'est pas à l'optimisme. Aminat Gazimagomedova confie ainsi à un média russe, selon une traduction livrée par Le Monde:

"Nous avons été battues tous les jours. Ce ne sont pas des paroles en l’air, nous avons des photos et des enregistrements sonores qui le prouvent. Le meurtre d’honneur qui nous attend ne fait aucun doute non plus. Peut-être qu’avec le bruit que fait notre histoire maintenant ça n’arrivera pas tout de suite"

"Mais ils nous récupéreront, ils nous tueront, et personne ne le saura. Le père de Patimat et de Khadidjat leur a déjà dit qu’il devait 'laver son honneur'", ajoute-t-elle.

Une fin heureuse malgré les difficultés

Les quatre femmes envoient des photos à des associations pour appuyer leurs dires. On les voit couvertes de bleus, le visage plein de contusions après avoir été battues par leur entourage. Finalement, au bout de onze heures de cet éprouvant surplace, on leur permet d'entrer en territoire géorgien. Mais c'est la douche froide: car leurs parents les y ont précédées. Heureusement, les ONG font rempart et organisent leur mise à l'abri.

C'est depuis ce havre de paix qu'elles ont tenu à remercier leurs alliés, militants ou numériques.

Article original publié sur BFMTV.com