Panthéonisation de Missak Manouchian : qu'est-ce que l'Affiche rouge, qui a forgé son histoire ?

Le résistant Missak Manouchian doit entrer au Panthéon 80 ans jour pour jour après son exécution au fort du Mont-Valérien par les nazis.

Missak Manouchian, au centre, quelques jours avant son exécution (Photo by adoc-photos/Corbis via Getty Images)
Missak Manouchian, au centre, quelques jours avant son exécution (Photo by adoc-photos/Corbis via Getty Images)

Fusillé à 37 ans par les nazis en 1944, le poète arménien Missak Manouchian va faire son entrée au Panthéon mercredi 21 février. Une figure de la résistance qui doit notamment sa popularité à l'Affiche rouge.

Une affiche qui cible 10 résistants

L'Affiche rouge est un document de la propagande nazi, tiré à 15000 exemplaires et placardé dans les rues de Paris et d'autres grandes villes, en février 1944. L'affiche met en avant dix noms et dix visages, sur les 23 prisonniers raflés dans un coup de filet de novembre 1943 et à qui elle attribue des attentats ou destructions, illustrées par six photos.

Missak Manouchian, à qui les nazis attribuent 56 attentats, 150 morts et 600 blessés, y apparaît comme le "chef de bande" aux côtés des neufs autres résistants. Des chiffres qui sont faux, selon les historiens.

L'Affiche rouge, placardée dans les rues par les Nazis, ciblent 10 résistants dont Missak Manouchian / AFP
L'Affiche rouge, placardée dans les rues par les Nazis, ciblent 10 résistants dont Missak Manouchian / AFP

Un rôle de "chef de bande" attribué à Missak Manouchian que les historiens ont du mal à expliquer, alors qu'il n'a occupé ce poste que trois mois avant d'être pris.

Sur les 23 prisonniers raflés, seuls dix apparaissent sur l'Affiche rouge. Un choix qui intrigue encore les historiens. Seule certitude, le choix de ne mettre en avant que des étrangers pour montrer que "l'armée du crime" est constituée d'étrangers, surtout juifs, remarquent les historiens Stéphane Courtois, Adam Rayski et Denis Peschanski dans le livre Le Sang de l'étranger : les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance (Fayard, 1994), relève France Info. Aux côtés de Missak Manouchian, cinq juifs polonais, un espagnol, un communiste italien et deux juifs hongrois.

Une affiche qui forge l'image de Manouchian

L'Affiche rouge contribue à forger l'histoire du "groupe Manouchian", qui n'a pourtant "jamais existé sous ce nom", écrivent les historiens Stéphane Courtois, Adam Rayski et Denis Peschanski

"Mélinée (ndlr : sa compagne) la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche, sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades. Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI", estime le documentariste Hugues Nancy dans un entretien accordé à l’Humanité. Une théorie soutenue par Franck Liaigre, auteur du livre sur les francs-tireurs et partisans, Les FTP, nouvelle histoire d'une résistance (éditions Perrin, 2015) "S'il n'y avait pas eu 'L'Affiche rouge', Manouchian n'aurait probablement pas été panthéonisé", affirme-t-il à France Info.

Une affiche contreproductive pour les nazis

15 000 affiches rouges placardées dans les rues de Paris et d'autres grandes villes de France. L'opération de propagande des nazis, en février 1944, est d'envergure, alors que se déroule le procès de 23 résistants.

L'Affiche a pour objectif de prouver la responsabilité des Juifs et des étrangers dans la délinquance et le terrorisme, pour justifier la condamnation des résistants mis en avant sur l'affiche. Mais l'effet est inverse sur la population.

"Loin de provoquer peurs et condamnations, elle a au contraire éveillé des sentiments empathiques et reconnaissants qui se sont manifestés par des dépôts de fleurs ou des écritures de soutien à même l'affiche. Elle humanise des combattants de l’ombre anonymes auprès d’une population soumise aux privations et aux représailles de l’occupant, ainsi qu’à la fascisation du régime de Vichy", écrit l'historienne Laurence de Cock dans "Enseigner la résistance" (Canopé éditions).

La célèbre résistante Madeleine Riffaud raconte le déclic que constitue pour elle cette affiche. "Elle m'a raconté l'avoir vue pour la première fois à la sortie du métro et s'être juré : 'Je dois rentrer dans les FTP'", explique à Franceinfo le scénariste Jean-David Morvan, qui décrit la scène dans la BD Madeleine résistante (éditions Dupuis).

Un poème de Louis Aragon puis une chanson de Léo Ferré

Avant d'être un poème de Louis Aragon, "Strophes pour se souvenir" a été une lettre : celle que, le 21 février 1944, quelques heures avant de mourir, le résistant Missak Manouchian écrivait à sa compagne, Mélinée. En 1961, Léo Ferré met en musique le poème et chante "l'Affiche rouge", en hommage au "groupe Manouchian". C'est cette chanson qui donne le nom d'"affiche rouge" à l'outil de propagande utilisé par les nazis contre les dix résistants dont Missak Manouchian.

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