Ouverture du procès de l'ex-maire de Canteleu pour complicité de trafic de drogue

L'ex-maire de Canteleu Mélanie Boulanger arrive au tribunal de Bobigny avec son avocat, Me Arnaud de Saint-Remy (D), le 27 mai 2024 (Thomas SAMSON)
L'ex-maire de Canteleu Mélanie Boulanger arrive au tribunal de Bobigny avec son avocat, Me Arnaud de Saint-Remy (D), le 27 mai 2024 (Thomas SAMSON)

Le procès de l'ex-maire de Canteleu (Seine-Maritime) Mélanie Boulanger, jugée avec 18 autres prévenus pour un vaste trafic de drogue, s'est ouvert lundi pour un mois devant le tribunal correctionnel de Bobigny, un dossier éclairant sur l'emprise du deal à l'échelle d'une petite commune.

Fruit de deux ans d'enquête, le tentaculaire dossier Canteleu, commune populaire de 14.000 habitants de l'agglomération de Rouen, illustre l'enracinement et la puissance grandissants des narcotrafics dans des villes de petite et moyenne tailles en France, un phénomène dont s'inquiétait ce mois-ci encore un rapport du Sénat.

Veste blanche sur tenue noire, carré blond et lunettes rondes, l'ancienne maire de 47 ans est arrivée au tribunal de Bobigny le visage fermé, sans faire de déclaration à la presse. Elle s'est installée dans la salle à l'écart des autres prévenus.

A ses côtés, la 13e chambre du tribunal de Bobigny juge pendant un mois les principaux acteurs présumés du réseau: les têtes, leurs lieutenants, des fournisseurs et blanchisseurs. Le délibéré est attendu fin juin.

Elue maire en 2014 et figure du socialisme normand, Mélanie Boulanger est soupçonnée d'avoir fait pression sur les services de police pour qu'ils ne gênent pas les affaires du redoutable clan Meziani, réputé pour tenir le deal dans sa ville et y faire régner la terreur.

La fratrie Meziani a soufflé le chaud et le froid sur l'élue, via l'un de ses adjoints également poursuivi.

Dans une conversation téléphonique sous écoute, un des frères la menace d'une part de mettre la commune à feu et à sang, de l'autre lui promet de garantir sa réélection et l'ordre public à Canteleu si elle rend le service qu'il lui demande.

L'ancienne tête de liste PS-EELV en Normandie aux élections régionales de 2021, interpellée en octobre 2021 et mise en examen pour complicité en avril 2022, dément les accusations contre elle.

Elle a démissionné de son mandat de maire en début d'année en invoquant des "raisons de santé", après son renvoi devant la justice.

- Circuits de blanchiment -

L'affaire débute en septembre 2019 avec l'arrestation sur un parking de Saint-Denis de deux individus suspects procédant à une transaction de drogues. L'un est porteur de 50.000 euros en liquide, l'autre de deux kilos de cocaïne pure à 80%.

Les investigations sur l'acheteur amènent rapidement les policiers de Seine-Saint-Denis à Canteleu, base de la famille Meziani, soupçonnée d'être l'un des principaux acteurs du trafic de drogues dans la région rouennaise.

Depuis la mort en 2019 du chef de famille Mohamed dans un accident de la route lors d'un probable "go-fast", le relais aurait été pris par deux de ses frères, Aziz et Montacer.

L'enquête, riche en sonorisations et en écoutes, va mettre au jour un important réseau d'importation et de vente de stupéfiants, écoulant aussi bien du cannabis que de l'héroïne et de la cocaïne.

Selon les estimations des policiers, leur organisation engrange plus de dix millions d'euros de bénéfices annuels rien que pour la cocaïne et l'héroïne.

Ce dossier éclaire également les circuits empruntés par l'argent de la drogue.

Derrière le modeste train de vie déclaré par les mis en cause, des sommes conséquentes sont utilisées en liquide pour l'achat de voitures de luxe ou le paiement d'onéreux frais dentaires.

Une partie de ce cash est blanchie dans des commerces de proximité - un bar de la place de la mairie de Canteleu ou une chicha-salon de thé - ou recyclé via des entreprises fictives.

D'autres capitaux sont expédiés au Maroc pour des achats immobiliers ou, à l'occasion, financer la construction de mosquées dans le pays.

Le grand chef présumé Aziz Meziani, dit "Le U", s'est mis à l'abri de la justice française en fuyant au Maroc durant l'enquête. Il sera jugé en son absence.

amd-meh/bfa/sp