OL: Comment John Textor a finalement réussi à se faire accepter à Lyon

Pour dessiner les contours de cet "apaisement", il faut en désigner un point de départ car sans cette date que des supporters qualifient de "magique", point de détente généralisée: le dimanche 10 décembre 2023. Au coup d’envoi de cette 15e journée, Lyon avance, pour la 10e fois, avec la  lanterne rouge accrochée aux crampons. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, après un triplé d’Alexandre Lacazette, Lyon décroche, enfin, un succès à la maison contre Toulouse.

Douze matches plus tard, avec 9 victoires et 3 défaites, Lyon grimpe de huit rangs dans la hiérarchie, avec un maintien qui prend forme avec neuf points d’avance sur le barragiste! De quoi soulager tout le monde, après un automne qui fait craindre l’accident industriel aux 600 employés, mais aussi aux investisseurs autour de John Textor, qui entre cash et caution, ont mis près de 800 millions d’euros sur la table lors du rachat.

"La peur de descendre a soudé tout le monde, il y a eu une vraie prise de conscience, notamment chez lui", résume-t-on dans l’environnement du club, dont le patron a bien fini par admettre qu’il aurait dû tourner sa langue dans sa bouche de nombreuses fois avant d’asséner, en zone mixte le 22 octobre après la défaite face à Clermont: "Vous avez l’air d’être une très gentille femme et je sais que vous devez poser la question, mais elle est comique..." Une consœur lui demande alors simplement si la Ligue 2 pouvait être compatible avec son plan de relance post-JMA...

L'éviction de JMA se conjugue au passé simple

"Il faut se rappeler que ce fut violent quand même à la sortie du conseil d’administration de mai dernier, rappelle Bastien Joint, adjoint à la mairie de Caluire et Cuire, fan de l’OL et du bâtisseur, Jean-Michel Aulas. On lui a interdit l’accès à son bureau dans la foulée. Et c’est quelqu’un d’autre qui a fait les cartons..." La manière de faire du printemps braque en effet tout le microcosme local contre le nouvel entrant: "Cela se passe toujours ainsi quand on vend une société, s’il y a de mauvais résultats économiques, c’est toujours  la faute du repreneur. Pour l’OL, une société de "foot", les résultats "sportifs pas bons", c’était forcément sa faute, Et forcément, les "c’était mieux avant" font florès...", décrypte une personnalité éminente de l’économie rhodanienne. Certains capitaines d’industrie de la place tournent même les talons.

Car, John Textor ne remplace pas n’importe qui, quand il décide de se séparer de Jean-Michel Aulas en mai 2023. Un proche détaille: "Il a fallu qu’il endosse l’habit du boss derrière un "irremplaçable", un président de la trempe de Claude Bez et de Bernard Tapie, sauf que lui n’a pas de casserole". "Pas simple de passer après le meilleur, qui restera quoi qu’il en soit le meilleur", concède Bruno Bernard, le patron de la Métropole lyonnaise.

Peu à peu, les départs des lieutenants de l’ex-patron (de Vincent Ponsot à Bruno Cheyrou et passant par les responsables RH, juridique et autres recruteurs comme Cavéglia et Henchoz) lèvent aussi les hypothèques: John Textor, rassuré par sa garde rapprochée qu’il a nommée travaille en confiance. Tous les interlocuteurs se rejoignent: la réconciliation de façade a muté en liaison sincère entre les deux hommes forts.

Ils livrent à chaque fois un commentaire éclairé: "Chacun met son ego de côté", dit l’un ; "un joli chèque pour clore le sujet entre le paiement des actions restant dues et l’arrêt des poursuites judiciaires, cela aide", sourit un autre quand un dernier, prolonge: "John a fermé, peu à peu, des fronts, Et le premier pas vers Jean-Michel, c’est lui qui l’a fait." La main tendue, visible, se concrétise par le retour ce dimanche de décembre de JMA en président-box, 195 jours après sa dernière apparition au même endroit.

Le temps fait également son œuvre à ce sujet dans un univers très "lyonnais", sur fond de bourgeoisie, élégante, silencieuse, limite froide. Ce n’est pas forcément le tempérament du Floridien que décrit un proche: "Pourquoi il aime beaucoup Botafogo? Car il a déjà une histoire avec ce club, il l’a fait monter. Et le caractère chaleureux, souriant des Brésiliens lui va mieux. Il est dans l’affect. Si on montre qu’on l’aime, il va aimer encore plus." Les pyromanes d’hier retrouvent leurs âmes positives et constructives. Et tout le monde y gagne, à tous les sens du terme: "Les deux ont trouvé leur chemin respectif" conclut, en observatrice patentée, Laurence Fautra, la maire de Décines, commune de résidence du Groupama Stadium.

John Textor a su bien s'entourer

Au cœur de ce mois d’octobre, une autre date jalonne cet apaisement balbutiant : le caillassage du bus à Marseille. Un habitué du club révèle: "C’est le soir où, Laurent Prud’homme décide, alors qu’il est en pleine réflexion personnelle, de relever le défi proposé par John Textor. Il s’est dit, je dois aider mon club." Il démissionne de son poste de patron de L’Equipe et dans la foulée, le boss en dit plus, sur son site internet à ses supporters: "Il sera le représentant principal de l’Olympique Lyonnais auprès du Gouvernement français, du public et des institutions administratives et sportives, telles que la LFP, l'UEFA, les élus locaux et les services de l’État." Il faut attendre le 5 décembre pour que l’OL communique officiellement.

Près de quatre mois plus tard, Laurent Prud’homme fait l’unanimité: d’accès facile, chaleureux, pas d’égo surdimensionné, bienveillant. Les louanges pleuvent pour un début de mandat réussi. "Il a eu l’intelligence aussi, de noter ce qui avait précipité la chute de Santiago Cucci, qui s’était un peu trop rapproché du sportif, décrypte un observateur attentif des arcanes du nouveau pouvoir. Quelqu’un a en quelque sorte essuyé les plâtres pour lui, ce qui lui permet de mieux cibler l’espace qu’il doit occuper, par rapport à l’actionnaire."

Ainsi, il reçoit les doléances, écrites et en réunion de parents de l’Académie, aux prises avec un prestataire de scolarité défaillant ; il rassure les salariés ; et il (re)crée du lien avec le microcosme lyonnais, apporte sa caution locale et … sa "french touch’". "Il fait énormément et avec une âme de manageur" résume une source interne quand Laurence Fautra, complète: "John Textor, je vais dire que la fibre "protocolaire" à la lyonnaise, lui échappe! Lui, c’est "business is business", à l’américaine ! Avec monsieur Prud’homme, c’est plus structuré."

Il coche donc toutes les cases: "Désormais, j’ai un interlocuteur en face de moi, explique, soulagé Bruno Bernard, patron de la Métropole de Lyon. Il y a un Directeur Général, un Directeur Sportif. On sait qui fait quoi. On a un interlocuteur pour chaque sujet." Et le président EELV de l’agglomération de synthétiser: "On est passé "d’illisible" à "lisible", je dirai mieux à "structuré". Bruno Bernard fait référence à une sortie sur BFM Lyon au cœur de l’automne où, lui, orphelin de Jean-Michel Aulas tacle violemment le successeur: "John Textor est arrivé en nous expliquant qu’il n’allait pas changer l’équipe dirigeante pendant trois ans et qu’il n’avait pas besoin d’un retour sur investissement rapide. Et que voit-on? Jean-Michel Aulas est débarqué rapidement et un peu brutalement. Et on est en train de vendre les bijoux de famille."

Cette petite phrase du 20 octobre tend fortement, les relations, lesquelles, près de six mois plus tard, se … réchauffent: "Il est plus souvent au stade, cela permet d’évoquer les dossiers, explique l’élu écologiste mais fan de foot, de l’OL et du sport business. Je lui ai parlé la première fois, le 10 décembre dans le match face à Toulouse, une trentaine de minutes. 1/ On se parle 2/ C’est structuré. Il a compris qu’il a besoin du territoire, du tissu économique et politique. Et surtout, on a des interlocuteurs en face."

Des données en "lyonnitude/lyonnaiseries" qui ne sont pas si anecdotiques quand il s’agit de crédibiliser, en vitesse, son action dans cette ville qui déteste le conflit et où, tout est central ! Les deux hommes échangent désormais par SMS: "Le soir de la qualification en Coupe de France face à Strasbourg, nous avons échangé sur la prestation de Lucas Perri", explique Bruno Bernard. Qui l’a aussi félicité pour le mercato réussi. Impensable dialogue il y a quelques semaines seulement!

Les planètes (de l’apaisement) s’alignent aussi côté… LDLC Arena, sujet clivant par excellence: la salle créée par Jean-Michel Aulas juste à côté du stade est en passe de rester sous pavillon lyonnais puisqu’un certain... Aulas Jean-Michel devrait la racheter. Cette option qui va être annoncée dans les prochains jours écarte de fait, Alexei Fedorychev, l’oligarque né en URSS et désormais de nationalité monégasque et hongroise, président de l’AS Monaco Basket, du tour de table imaginé par Tony Parker, le propriétaire de l’ASVEL. Le monde économique local peut être soulagé. Personne ne le dit pas ouvertement mais tout le monde, l’avoue en "off" ou le pense très fort. Reste que certains flècheront moins leurs sorties VIP et/ou des budgets vers l’OL en mode US: il flotte quand même un parfum de nostalgie "aulassienne".

Un staff de Lyonnais

Quand un habitué de l’Académie lui murmure à l’oreille que Pierre Sage serait "la" solution, John Textor ne trouve rien à redire d’autant que le nouveau boss avait "repéré" celui qui était arrivé à la tête du centre en juillet 2023, sur proposition de Jean-François Vulliez, qui avait demandé – et obtenu – de passer ses diplômes d’entraîneur ce qui impliquait de quitter ce fauteuil.

Là aussi, John Textor s’adapte avec intelligence à la situation du moment, en faisant confiance au "made in OL" là où il privilégie au début la carte d’un nom prestigieux. "Et en plus, le coach est cohérent. On comprend ce qu’il fait. Cela fait du bien." Même son de cloche parmi les habitués du centre de formation: "La promotion du patron de l’Académie aussi nous rend fier. Nous retrouvons un peu la famille OL comme nous l’avons connu avant."

Dans un club qui aime promouvoir ses "enfants" (Robert Nouzaret, Aimé Jacquet, Raymond Domenech, Bernard Lacombe, Rémi Garde ou encore, Bruno Genesio), ce retour à l’un des fondamentaux de la maison est loin de déplaire. "De là à imaginer que tout reste idyllique et à l’identique à l’aube de la prochaine saison, il faut bien s’en garder", prédit un témoin privilégié du microcosme lyonnais qui rappelle que "son" OL avait déjà un pied en Ligue 2 avant Noël!

Il infléchit sa philosophie initiale et tient sa promesse d'un mercato XXL

"J’avais peur qu’il soit un omni-président, se souvient Grégory Cuilleron, chef réputé de Lyon et consultant régulier de l’émission KopGones sur BFM Lyon. Et je trouve qu’il a su remettre l’église au milieu du village. Et remettre le club dans le bon sens." John Textor est un pragmatique. Dès sa première conférence de presse après l’éviction de JMA, les suiveurs ont découvert une partie de son ADN à travers sa phrase fétiche, empruntée à Albert Einstein: "La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent."

Il s’applique à lui-même la formule, considérée à l’époque comme une pierre dans le jardin de son prédécesseur. Là où il veut jouer au recruteur en chef en se montrant très offensif dans les réunions "mercato" où il impose ses idées fixes, souvent basées sur les datas, il nomme un peu à la surprise générale un directeur sportif (David Friio) en décembre.  Et là où il veut un entraîneur de renom, il écoute des voix locales qui lui suggèrent le patron de l’Académie, Pierre Sage.

Dans la foulée, il offre des chèques XXL à sa cellule qui œuvre sans relâche dans le mercato de janvier et même jusqu’au 2 février, avec l’épisode administratif Saïd Benrahma. Les supporters qui avaient peu goûté ses promesses non tenues de garder les "pépites" Lukeba et Barcola cet été revoient donc leur vision de l’homme d’affaires: "en tant que supporter, je le remercie d’avoir fait un chèque aussi énorme" dit, soulagé, Greg Cuilleron. Mais quelques-uns restent perplexes: "sur le moment, c’est bien, cela rassure, notamment avec Nemanja Matic, note un élu sur la colline de la Croix Rousse. Mais..." Car il y a un mais: "Je note qu’il y a eu énormément de mouvements de joueurs cet été dont certains sont déjà repartis, Sept nouveaux éléments cet hiver. Il va falloir gérer tout cela." En attendant, Bastien Joint, élu à Caluire et Cuire savoure: "Au moins, je ressens de l’énergie positive quand je sors du stade. C’est appréciable et cela change du début de saison."

Dans la chaleur du derby!

L’image marque les esprits. Et pas seulement sur les réseaux sociaux où forcément même un OL-ASSE chez les jeunes, fait vibrer les foules. Ainsi, en prenant son capuccino dans un café du Quai St-Antoine, sur les bords de Saône, Gaetan, retraité, interpelle ses comparses installés comme lui à la même table: "vous avez vu le Progrès?" Ils n’ont pas le temps de se plonger dans leur mémoire qu’il va chercher sur le comptoir l’édition du lundi: "les U17 gagnent le derby devant John Textor." "Ça a du lui faire tout drôle..." répondent en chœur ces habitués qui refont le monde et souvent le sport (lyonnais) au petit matin.

Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’il est "autonome et simple" comme le constatent les salariés qui travaillent à ses côtés. D’où une arrivée surprise, le week-end dernier au Groupama Stadium. Ainsi, dans la semaine, il apprend, via ses radars lyonnais, que les U17 vont jouer un derby face à St Etienne le dimanche à 11 heures. Il s’organise pour être samedi à Lyon, atterrit à l’aéroport St Exupéry, prend place dans la file d’attente des taxis et débarque à... Meyzieu pour regarder pendant 3 heures, les matches U 13 masculin et féminin avant de filer dans sa loge pour France-Allemagne qu’il n’avait pas spécialement prévu de voir.

Et puis, le lendemain, depuis son hôtel des bords du Rhône, il met en marche son application de circulation pour rejoindre le terrain Gérard Houllier, au centre d’entraînement à l’ombre du Groupama Stadium. Il y arrive dès... 7h30 pour prendre le petit déjeuner avec les jeunes puis pour leur parler de ses premiers pas dans le soccer à s’occuper d’une académie en Floride. Il les aidera même à débarrasser la table! Instants surréalistes comme ceux qui jalonneront la suite de la journée: présence en tribune au milieu des fans, casquette OL sur la tête qui le protège en partie de la pluie qui tombe en travers! Il fêtera la victoire (2-0), saluera tous les acteurs (même stéphanois) de cet affrontement et avouera aux fans qu’il fréquentera de longues heures dans un "After" passé dans un établissement bien connu d’OL Vallée qu’il comprend désormais mieux, ce que représentait le derby dans l’histoire de l’OL: "les bières ont tourné...", rapportent des personnes présentes, avec parfois des selfies comme preuves de ces instants, plein de houblons, partagés.

En Américain qui voit dans les fans, le business? "Forcément, c’est un peu calculé mais il y avait aussi de la sincérité du moment, estime un supporter, désormais conquis et présent autour de la table. Moi, j’ai senti du naturel dans son attitude. Il y a de l’instinct chez lui. Peut-être un peu trop, il a un côté incontrôlable sympathique!"

C’est symbolique mais cela marque les esprits: "Les gamins ne parlent que de cela cette semaine, son discours sur ses premiers pas dans une académie en Floride", révèlent des parents des U 17 quand l’un des papas prolonge: "Moi, je suis rassuré qu’il ait foi dans le centre et qu’il lui accorde de l’importance. On sent que c’est au cœur de son projet "OL". La manière avec laquelle il s’implique, c’est un gage de sérénité. Le business, c’est quand même 20 millions d’euros par an, ce n’est pas neutre. Son passage, c’est un marqueur important à mon sens."

Et pour tous les fans, cela veut dire beaucoup, dans une période où l’affrontement dans l’élite entre les deux frères ennemis de Rhône-Alpes s’est arrêté le 21 janvier 2022 au 124e épisode de l’histoire sur une victoire des Lyonnais (1-0) sur les Stéphanois, rétrogradés quelques semaines plus tard en Ligue 2, John Textor peut donc savourer, ces instants colorés du vert de l’espoir et de l’apaisement. D’autant qu’en fan de soccer, il sait que la période enchantée, peut vite s’interrompre, tant le retour de flamme sportive tient autant d’une remontada inédite et unique dans l’histoire que de l’épaisseur de son carnet de chèque de janvier 2024!

Article original publié sur RMC Sport