« Je suis noire, et toute ma vie les médecins ont minimisé ma douleur » - Témoignage

Chaque fois qu’Asma a eu des problèmes de santé, elle s’est heurtée aux défaillances du corps médical. Minimisation de sa douleur, paternalisme… Elle raconte comment le préjugé raciste du « syndrome méditerranéen » a failli lui coûter la vie.

TÉMOIGNAGE - La première fois qu’on m’a accusée de mentir sur mon état de santé, j’avais 6 ans et j’étais à l’école. Après une chute et une forte douleur à la cheville, on m’avait imposé de finir la journée comme si de rien n’était, et j’étais rentrée chez moi à cloche pied et en pleurant.

Ma mère, paniquée, m’avait interrogée. « J’ai dit à la maîtresse que je m’étais fait mal, mais elle ne m’a pas crue. » Bilan des courses : une fracture de la malléole, et un mois de jambe plâtrée. Le lendemain, ma mère était arrivée furieuse, radio en main, face à mon institutrice qui s’était confondue en excuses. Elle n’avait pas vraiment d’explication à lui offrir. Si elle n’avait pris au sérieux ni ma chute ni ma douleur, c’était un hasard malheureux. Pas de chance. Le temps est passé, et j’ai complètement oublié cette anecdote. Jusqu’à ce que, des années plus tard, j’entende parler du « syndrome méditerranéen ».

Une hémorragie sous diagnostiquée

Je suis une femme, je suis noire, j’ai un prénom maghrébin. J’ai appris très jeune les effets des préjugés sexistes et racistes sur la manière dont on perçoit mes compétences, ma manière de m’exprimer ou mon rôle dans le monde. Ce n’est qu’à l’âge adulte, cependant, que j’ai compris les conséquences terrifiantes que ces préjugés pouvaient avoir sur mon espérance de vie.

À 23 ans, il y a une dizaine d’années environ, j’ai eu un problème de santé à la fois commun et dangereux : j’ai fait une grossesse extra-utérine. Elle s’est traduite par des douleurs effroyables et des saignements soudains. J’ai appelé un médecin à domicile qui m’a examinée alitée tant la douleur était difficile à gérer. Il m’a octroyé une tape rassurante sur l’épaule en posant son diagnostic. Selon lui, j’avais mes règles.

Incrédule, j’ai tenté de lui faire comprendre que ce n’était pas le bon moment de mon cycle, que je savais ce qu’étaient les règles et que clairement, quelque chose n’allait pas dans mon corps. « Ça arrive ». Il m’a conseillé de ne pas « exagérer », m’a prescrit une boîte de Spasfon et a continué sa tournée.

Docile, j’ai laissé passer une nuit, puis une journée. Quand tout ça est devenu insoutenable, j’ai fini par me rendre aux urgences gynécologiques les plus proches, où on m’a reçue assez rapidement - le système de santé n’était pas encore dans l’état actuel. On m’a à nouveau demandé, avec le même paternalisme, « Vous êtes sûre que vous n’avez pas vos règles ? »

J’ai insisté pour qu’on m’ausculte et j’ai vu l’interne devenir blême. Brancard, chirurgie immédiate, j’ai à peine eu le temps de demander qu’on prévienne ma mère avant de me retrouver endormie. La grossesse extra-utérine s’était transformée en hémorragie. Si j’avais attendu un peu plus ou que j’avais un peu moins insisté, j’en serai très certainement morte. Pas de chance.

« Arrêtez de vous laisser aller »

Le lendemain de mon opération, j’ai mentionné au personnel soignant que je ne me sentais pas mieux. On m’a dit « ce n’est rien, ça va passer », et je ne me suis pas inquiétée. Le troisième jour, quand j’ai alerté sur le fait que je ne pouvais toujours pas me tenir debout, une infirmière m’a répondu en me grondant comme si j’avais 5 ans. « Les gens qui subissent la même opération que vous marchent déjà à ce stade, arrêtez de vous laisser aller ! Ça suffit maintenant, on se lève ! », avant de m’attraper par le bras pour m’aider (ou me forcer, selon la perspective) à me lever. Malgré ma bonne volonté, j’ai fait un malaise et me suis réveillée quelques secondes plus tard sur le sol.

L’incident a dû finir par interroger et quelques tests supplémentaires ont montré que je cicatrisais mal de l’opération. J’étais en pleine hémorragie interne et j’avais déjà perdu énormément de sang. J’ai immédiatement été transfusée, et on m’a renvoyé au bloc opératoire. Est-ce que, si on m’avait écoutée, les choses auraient pu être moins violentes pour moi ?

Une douleur sans cesse minimisée

Après cet incident, dont je me suis malgré tout très bien remise, j’ai longtemps cru que je cultivais une drôle de malédiction. Pourquoi est-ce que mes problèmes de santé - heureusement rares - se terminaient toujours de la manière la plus catastrophique possible, malgré ma tendance à m’en inquiéter rapidement ?

Des années plus tard, mon médecin a passé plusieurs semaines à chercher d’où me venait une douleur incapacitante et localisée. Il a fallu un scanner pour me diagnostiquer une pyélonéphrite, une infection courante. En consultation, il s’est étonné : « La pyélonéphrite fait extrêmement mal, vous ne correspondiez pas du tout à ce tableau. » Quand je lui ai répondu « Je vous ai pourtant dit que je pleurais de douleur », il a haussé les épaules. Pas de chance.

Se dire victime de racisme n’est jamais une chose simple. Comment affirmer avec certitude que si je me suis retrouvée dans ces situations répétées, c’est à cause de préjugés liés à mes origines ? Que répondre aux personnes qui me rétorquent « C’est parce que tu es une femme, pas parce que tu es noire » sans entendre que dans ces situations, l’un peut devenir un facteur aggravant de l’autre ? Personne ne m’a dit « nous ne vous croyons pas parce que vous n’êtes pas blanche ». Peut-être que je n’ai vraiment pas de chance.

Les préjugés du syndrome méditerranéen

Mais entre-temps, la mort de Naomi Musenga, moquée lors de son appel au SAMU, a déclenché de nombreuses prises de paroles de personnes racisées dénonçant la perception biaisée de leur douleur par le corps médical. Le terme « syndrome méditerranéen » est entré dans la presse et nomme ce préjugé selon lequel les personnes maghrébines ou noires exagéreraient leurs symptômes et leur douleur, ce qui entraîne une moins bonne prise en charge médicale. Des chiffres montrent qu’aux États-Unis, le taux de mortalité maternelle est plus de deux fois plus élevé chez les femmes noires que les femmes blanches. J’y pense à chaque fois que je dois voir un médecin, à chaque fois que des membres de ma famille ont des problèmes de santé.

En France, il n’y a pas de statistiques à ce sujet. Il existe par contre des publications et des témoignages de médecins et de patients qui, à chaque fois qu’ils décrivent les conséquences de ce fameux syndrome, recoupent mes expériences : paternalisme, minimisation de la douleur voire accusations de mensonge, infantilisation. Et des retards de prise en charge qui peuvent avoir des conséquences tragiques, particulièrement dans un système de santé public en crise, avec des soignants qui exercent dans des conditions extrêmement difficiles.

Il y a deux semaines, Aïcha, 13 ans, est morte après que des pompiers ont refusé de la prendre en charge, l’accusant de simuler des douleurs et soulignant « qu’ils avaient autre chose à faire ». Interviewée par Mediapart, sa mère endeuillée a posé cette question qui continue à résonner : « Et si nous n’étions pas noires ? »

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