Nicki Minaj de retour avec un nouvel album: comment elle est devenue la reine du rap américain

Après cinq ans d'absence, Nicki Minaj signe son grand retour en musique ce vendredi. La rappeuse vient de dévoiler son nouvel album, Pink Friday 2, suite d'un premier opus sorti en 2010 qui a contribué à l'explosion de sa carrière.

Près de 20 ans après ses débuts au milieu des années 2000, Nicki Minaj reste toujours l'une des personnalités les plus influentes du monde de la musique. À 41 ans, celle qui a transformé l'industrie du rap et ouvert la voie à toute une génération d'artistes féminines, comptabilise aujourd'hui plus de 150 millions de disques vendus à travers le monde et reste l'artiste rap la plus suivie sur les réseaux sociaux. Retour sur les raisons de cette notoriété.

Résurgence du rap féminin aux États-Unis

Née en 1982 à Saint James (Trinité-et-Tobago), Nicki Minaj déménage dans le Queens, à l'âge de 5 ans chez sa grand-mère. C'est dans ce quartier de l'Est de New York que sa passion pour le rap et son ambition de devenir une artiste reconnue vont prendre de l'ampleur.

Après des études de théâtre à LaGuardia High School, la jeune Onika Tanya Maraj débarque sur la scène rap au début des années 2000, à un moment "creux" pour les rappeuses. Si avant elle, des pionnières du genre telles que Lil Kim, Foxy Brown, Yves ou encore Missy Elliott, se partageaient le sommet des charts, certaines d'entre elles n'ont pas survécu à la crise du disque au début des années 2000.

"Lors de cette crise, beaucoup de maisons de disques se sont concentrées sur leur superstar et de nombreuses rappeuses en ont fait les frais", analyse Sylvain Bertot, auteur du livre Ladies First: Une anthologie du rap au féminin.

"Les rappeuses sont devenues considérablement moins visibles qu'elles ne l'étaient à la fin des années 90 et Nicki Minaj va saisir cette opportunité pour remettre le rap féminin en selle et devenir la nouvelle grande star du genre, comme il n'y en avait plus eu depuis 10 ans", poursuit l'écrivain et journaliste.

Premiers pas dans l'industrie

Brièvement en groupe dans le quatuor The Hoodstars, Nicki Minaj se lance en solo au début des années 2000 et publie ses premières créations sur le réseau social MySpace.

Sollicitée par Fendi, PDG du label Dirty Money, la rappeuse signe son premier contrat et dévoile dans la foulée une série de mixtapes: Playtime Is Over (2007), Sucka Free (2008) et Beam Me Up Scotty (2009), qui s'est écoulée à 1 million d’exemplaires, une prouesse pour une artiste indépendante à l'époque.

Salués par la critique, ces trois disques donnent à la jeune artiste l'opportunité de mettre en avant ses qualités d'écriture, sa technicité et son style distinctif, qui ne laisseront pas indifférents certains grands noms du hip-hop tels que Lil Wayne.

"À l'époque, elle chante et rappe vraiment bien. Mais pour atteindre le succès, il faut élargir son registre", souligne Sylvain Bertot.

C'est en 2010 que la carrière de Nicki Minaj va connaître un autre tournant. Alors que sa recette rap gagne en popularité, notamment grâce à son couplet mythique sur le titre Monster de Kanye West, l'artiste va passer à l'étape supérieure et faire preuve d'une qualité essentielle pour perdurer dans l'industrie: se réinventer.

Créativité et virage pop

Signée sur le label Young Money de Lil Wayne, Nicki Minaj dévoile en 2010 son premier album Pink Friday. Avec ce disque, porté par les tubes Superbass, Moment 4 Life ou Your Love et des collaborations avec Kanye West, Rihanna, Eminem, Drake et Natasha Bedingfield, la rappeuse américaine assume sa créativité, adopte une esthétique plus élaborée et entame un virage plus pop et grand public.

Dans la lignée de ses prédécesseures, Nicki Minaj reprend des codes à succès du rap féminin et adopte le rôle de la "poupée hypersexualisée qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par les hommes", un personnage "déjà dans le registre des Lil Kim et des Foxy Brown à la fin des années 90", détaille Sylvain Bertot.

Mais la jeune artiste parvient toutefois à sortir du lot et à imposer rapidement son style grâce à son talent d’interprétation, aidé par l'utilisation d'alter ego qu'elle s'invente - on dénombre aujourd'hui plus d'une vingtaine - et qui lui permettent de varier ses flows, sa voix et les thèmes de ses morceaux.

Ainsi, dans Pink Friday elle chante sa vulnérabilité sur Save Me, raconte les défis de la célébrité dans Dear Old Nicki, fait part de ses doutes dans Fly, ou décrit dans Roman's Revenge, un face-à-face entre son alter ego, Roman Zolanski, et celui d'Eminem, Slim Shady. Une diversité que l'on retrouve également dans les sonorités de l'album, où Nicki Minaj n'hésite pas à ajouter de la pop, de l'électro et du R&B au rap.

"C'est une artiste hyper complète", assure Éloïse Bouton, rédactrice en cheffe du média spécialisé Madame Rap. "Elle est capable de se renouveler et d'explorer différents styles et sonorités, tout en gardant ce flow très technique."

Pour coller à ces différentes personnalités, Nicki Minaj adopte des looks très extravagants, agrémentés de perruques et d'accessoires originaux. Avec son personnage Harajuku Barbie, la chanteuse se grime ainsi en poupée et arbore des cheveux colorés et des vêtements pastel multicolores.

"Ses looks étaient tellement populaires qu'au milieu des années 2000, de nombreuses rappeuses se sont inspirées de cet univers de poupée Barbie et se faisaient appeler "doll": Asian Doll, Kash Doll...", indique Sylvain Bertot.

Briser les stéréotypes dans l'industrie

Véritable révolution sur la scène musicale de l'époque, Pink Friday cartonne. Avec plus de 375.000 exemplaires vendus en première semaine, l'album de Nicki Minaj s'offre la deuxième place du classement Billboard et sera certifié disque platine à peine un mois après sa sortie. Face à ce succès, le magazine Rolling Stone attribuera même à Nicki Minaj le titre de "nouvelle reine du hip-hop".

"Pour la première fois, Nicki Minaj a prouvé qu'une rappeuse pouvait être une star et culminer dans les classements au même niveau que ses homologues masculins", déclare Sylvain Bertot.

Grâce au succès de ce disque, et de ses successeurs, Nicki Minaj parvient à briser les stéréotypes d'une industrie musicale dominée par les hommes. Désormais, une rappeuse noire peut rivaliser avec les plus grands artistes masculins et être talentueuse tout en étant puissante et sexy.

À travers les différents alter ego qu'elle incarne, Nicki Minaj appuie davantage cette critique des canons de beauté blanche et hétérosexuelle et tente notamment de lutter contre la misogynie et libérer la parole des femmes sur des sujets tels que la sexualité, qu'elle rappe par exemple dans son célèbre titre Anaconda.

"Cette image hypersexualisée s'inscrit dans une tradition de rappeuses américaines qui ont toujours usé de leur corps pour dénoncer des choses et faire passer un message politique ou artistique...", analyse Eloïse Bouton.

"Avec sa musique, Nicki Minaj a aussi contribué à ce que les femmes aussi soient beaucoup plus prises au sérieux dans le rap qu'avant et qu'elles soient plus respectées pour leurs plumes", abonde, Khal Ali, YouTubeur spécialisé dans le décryptage de l'actualité musicale.

Clashs et sexisme

En raison de ce discours engagé et de son caractère assuré, Nicki Minaj a fréquemment fait la une des journaux. La rappeuse a notamment été mise en avant pour ses "clashs" avec d'autres artistes, parfois fortement médiatisées au détriment de son actualité musicale.

Ainsi, sa rivalité avec la rappeuse Cardi B, dont les influences musicales sont assez similaires à celles de Nicki Minaj, s'est par exemple retrouvée exposée dans les moindres détails dans la presse internationale à partir de 2018.

"Le clash, ça apporte de la pub et c’est très fréquent dans le rap. Ça permet de se faire connaître du grand public et ça vous expose à des gens qui ne sont pas forcément fans de rap", affirme Sylvain Bertot.

"Et si on veut avoir plus d'impact en tant qu'artiste, il faut diversifier son style - ce qu'elle a fait - et être plus visible, en prenant par exemple des positions politico-sociales ou en alimentant les faits divers", poursuit l'auteur et journaliste.

"Tous ces clashs, c’est ça aussi qui a fait en sorte que le nom de Nicki Minaj reste dans toutes les bouches. Qu'il y ait des nouveaux fans qui l'adorent ou d’autres qui la déteste, elle est toujours là", ajoute Khal Ali.

Selon Éloïse Bouton, Nicki Minaj a souffert au fil de ces scandales d'un traitement médiatique "sexiste et raciste". "Cela fait des années qu'elle est dans le top Billboard aux États-Unis, qu’elle explose tout niveau ventes mais les médias vont préférer parler de sa plastique et de ses clashs supposés avec d'autres rappeuses", précise la rédactrice en cheffe de Madame Rap.

"Mais ce n'est pas du tout ça Nicki Minaj. Les médias ont eu envie de fabriquer des rivalités, comme si les femmes ne pouvaient pas coexister et être talentueuse en même temps sans être rivales", ajoute Éloïse Bouton.

Influence pour la nouvelle génération

Devenue une "star du rap" au fil des albums, Nicki Minaj commence toutefois à partir de 2015 à être moins productive. Grâce à son impact considérable sur la culture hip-hop, la rappeuse a ouvert la voie à de nombreuses autres artistes telles que Cardi B, Doja Cat, Saweetie ou Megan Thee Stallion qui vont connaître le succès et lui faire peu à peu de l'ombre.

"Elle est arrivée à un moment où elle était la seule mais aujourd'hui, elle a de la concurrence et elle n’est plus la grande figure incontournable du rap qu’elle était à son apogée", analyse Sylvain Bertot.

"Mais quand on atteint un niveau de starification qui est le sien, même des jeunes pousses arrivent, on ne disparaît jamais des radars. Elle a atteint le niveau d'un Eminem d'un Jay Z, elle a gagné sa place dans le Panthéon du rap", Sylvain Bertot

Malgré son absence, Nicki Minaj continue néanmoins d'inspirer les nouvelles générations, comme la star montante Ice Spice, qui s'est même offert un duo avec son idole sur la bande originale du film Barbie de Greta Gerwing, cet été.

En France, l'influence de la rappeuse américaine n'est pas négligeable non plus. "Quand on regarde les nouvelles rappeuses francophones de ces dernières années comme Shay, ou Lisa Monet, à l’ancienne, il y a un côté très Nicki Minaj dans leur façon de parler, de rapper, dans leur style...", assure Khal Ali.

Mais, près de 20 ans après la sortie de sa toute première mixtape, Nicki Minaj compte bien prouver qu'elle est toujours la reine du rap, avec son nouvel album, Pink Friday 2, dévoilé ce 8 décembre qu'elle aura l'opportunité de défendre sur la scène du festival Rolling Loud en 2024.

"Elle est devenue une figure tellement incontournable qu'elle aura du mal à disparaître même le jour où elle fera des choses beaucoup moins bien", conclut Sylvain Bertot.

Article original publié sur BFMTV.com