« Je ne suis pas venu discuter avec les élus » : un ministre de la Justice ne devrait pas dire ça

Eric Dupond-Moretti à Bois d’Arcy le 4 avril 2023.
Eric Dupond-Moretti à Bois d’Arcy le 4 avril 2023.

TRIBUNE - « Je ne suis pas venu discuter avec les élus ». C’est par ces mots qu’un ministre, Éric Dupond-Moretti pour ne pas le citer, a débuté sa visite ministérielle au Tribunal judiciaire d’Évry Courcouronnes. Le président de la République annonçait cette semaine de beaux et grands chantiers à venir. Curieuse journée de lancement en Essonne !

Dire que le Gouvernement doit passer des paroles aux actes est une ritournelle. Après avoir réitéré durant plus de cinq années ce dicton, après avoir prêché le gouvernement de joindre la parole aux actes, nous faisons ici un bond en arrière. Car aujourd’hui, après la surdité, vient l’impossibilité même de s’exprimer auprès d’un ministre en particulier.

Pourtant, les collectivités constituent la pierre angulaire du pacte républicain. Elles ont vu leur rôle conforter par les différents actes de décentralisation. Nous célébrions récemment en ce sens les quarante ans des lois Defferre et des premiers grands actes de la décentralisation. L’approche contractuelle et partenariale a favorisé la montée en puissance des collectivités territoriales. Et pourtant, à notre grande stupéfaction, il existe encore aujourd’hui un ministre refusant d’échanger avec les élus locaux.

Savoir écouter et entendre

« Je ne suis pas venu échanger avec les élus » : pourtant, ce sont ces mêmes élus et ces collectivités qui agissent sur les compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon, comme en dispose l’article 72 de la Constitution. Les collectivités s’administrent librement par des conseils élus. La seule liberté de ces élus serait-elle aujourd’hui de se taire ?

Les collectivités constituent la pierre angulaire du pacte républicain

A contrario d’autres ministres à l’écoute, sans doute parce qu’ils ont été élus locaux, peut-être Monsieur le Garde des Sceaux ne s’est-il jamais questionné sur l’attachement des Français aux échelons locaux et de proximité, alors que le maire est bien le premier des magistrats. Si l’élu local est apprécié, c’est parce qu’il sait écouter, entendre, tenir compte des propositions : il garde et est le contact direct sensible et visible avec les habitants. Si l’élu local est apprécié, c’est parce qu’il est le premier de cordée des politiques publiques, tenant compte et dupliquant les initiatives foisonnantes de l’échelon local, élaborant des solutions ingénieuses pour épouser les réalités de son territoire. Face aux doutes, aux colères et aux crises, l’élu local connaît les défis et les opportunités du département qu’il côtoie, lui, dans sa chair.

Le rôle central des maires

La Justice n’est pas qu’un idéal moral : elle est pour nous notre valeur première. Rappelons-le : les maires occupent en ce sens un rôle central et d’animation des politiques locales de prévention et de sécurité au travers de l’animation des conseils locaux ou intercommunaux de prévention de la délinquance (Clspd), ils disposent de pouvoirs de police et d’officier de police judiciaire. En l’occurrence, nous étions par exemple venus rappeler au Garde des Sceaux qu’un quart des rixes recensées en France ont lieu en Essonne et que notre département (sur)vit avec 42 % de magistrats en moins que la moyenne nationale. Si nous saluons l’engagement du Gouvernement à porter le budget de la Justice à hauteur de 11 milliards d’euros en 2027, nous voulions lui faire part de notre désapprobation face à cette sous-dotation de services publics dans un territoire qui en a pourtant tant besoin.

Refuser le débat ne vous rendra jamais humble

Monsieur le Garde des Sceaux, sélectionner vos interlocuteurs ne fera jamais de vous un ministre de terrain. Refuser le dialogue ne vous fera jamais découvrir les teneurs des échanges de nos concitoyens. Refuser le débat et l’écoute ne vous feront jamais percevoir les difficultés, les craintes et les doutes avec lesquels vivent les Essonniens. Refuser le débat ne vous rendra jamais humble, car l’humilité naît de la prise directe avec nos concitoyens.

Jamais nous n’avions connu un tel refus du dialogue

Si nous n’avions pas attendu votre agrément pour agir, nous savons dorénavant que nous devrons faire sans. En plus de vingt ans de mandat et quelques centaines de visites ministérielles, jamais nous n’avions connu un tel refus du dialogue qui traduit et trahit le niveau de débat public proposé par le gouvernement aujourd’hui. Or, la régularité et la qualité du dialogue entre l’État et les collectivités sont un enjeu fondamental pour le bon fonctionnement de nos institutions, afin que les politiques publiques épousent au mieux les réalités du terrain.

Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes convaincus d’une chose : seule une relation de confiance et de respect, d’humilité, d’écoute et de dialogue entre l’État et les collectivités territoriales peut répondre aux défis profonds de notre société. Car ensemble, avec le débat qui nourrit mutuellement, tout devient possible.

En méprisant les élus, le ministre de la Justice fait plus de trois bras d’honneur aux habitants. Mais cela, seule une connaissance fine des réalités locales aurait pu l’en aviser.

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