"Je n'ai pas eu le choix": une femme acquittée après avoir tué son conjoint violent, une décision rarissime

À l'annonce du verdict, il a fallu lui dire plusieurs fois pour qu'elle comprenne. D'abord son avocate, puis ses escortes présentes derrière elle dans le box des accusés, et enfin son fils, quand elle a pu l'avoir au téléphone. Ce jeudi 12 janvier, à l'heure de la pause déjeuner, une femme de 48 ans a été acquittée par la cour d'assises de Saint-Omer qui la jugeait pour le meurtre à Saint-Omer (Pas-de-Calais) en 2021 de son compagnon violent. Elle est ressortie libre jeudi après deux ans et demi de détention.

À la question si Angélique, mère de quatre enfants, a commis des violences volontaires, la réponse est oui, selon la cour d'assises. Est-ce que ces violences ont causé la mort de Vincent Scotté? Là encore, les jurés ont répondu par l'affirmative. L'accusée avait-elle l'intention de tuer et, surtout, a-t-elle tuée en état de légitime défense? Pour cette cour d'assises, composée de trois hommes et trois femmes, la quadragénaire n'a fait que se défendre.

Un coup de couteau

La journée du 20 juin 2021 avait commencé comme de nombreuses autres journées pour ce couple, par une consommation excessive d'alcool. La femme alors âgée de 46 ans et cet homme de 50 ans se connaissent et se fréquentent depuis deux ans. Une relation marquée par des consommations excessives - elle présentait un taux d'alcoolémie à 1,6 gramme le soir du drame, lui 2 grammes - et des violences. "Les deux s'alcoolisaient, fumaient du cannabis, lui était jaloux maladif, tout était prétexte pour commettre des violences", explique à BFMTV.com Me Fleur Bridoux, l'avocate de l'acquittée.

Dans la soirée, des voisins entendent une dispute dans la rue. Les échanges se poursuivent dans l'appartement de la rue de l'Écusserie, à Saint-Omer. La dispute est plus forte que les autres, et Vincent Scotté bouscule sa compagne, la fait tomber. Elle lui demande de quitter son domicile. "Il se moque d'elle, lui dit que son frère est mort que plus personne ne la protégera", détaille l'avocate. Puis il l'attrape au cou, elle arrive à se dégager, prend la première chose qui lui tombe sous la main, il s'agit d'un couteau. Le coup part, la lame se plante près du cœur.

La quadragénaire appelle les secours immédiatement. "Je n'ai pas eu le choix", leur dit-elle d'emblée. Elle estime en clair que c'était elle ou lui. Leur fils est alors présent dans l'appartement. Angélique, dont l'enfance a été marquée par des nombreuses humiliations, des placements en foyer, des fugues, une IVG forcée par son père, avait réussi à s'en sortir rencontrant son premier mari avec lequel elle a eu deux enfants, avant de retomber dans les excès et de fréquenter des hommes violents.

Légitime défense reconnue

Depuis, elle était en couple avec Vincent Scotté, contre lequel elle avait déjà porté plainte à deux reprises. Deux plaintes qui avaient été classées sans suite. Lors des débats devant la cour d'assises, la personnalité du père de famille a aussi pesé. Deux de ses anciennes compagnes, dont la mère de ses enfants, sont venus témoigner des violences qu'elles ont subies. "Un jour, je me suis dit que j'allais recevoir un mauvais coup", a confié l'une d'elles.

Les débats devant la cour d'assises ont peu porté sur l'intention. Il est rapidement apparu qu'Angélique n'a pas voulu tuer son compagnon. A-t-elle réagi en situation de légitime défense? L'avocat général avait requis 6 ans d'emprisonnement, requalifiant les faits en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le ministère public a considéré qu'il n'y avait toutefois pas de légitime défense puisque le conjoint n'était plus en train de l'étrangler.

La cour d'assises de Saint-Omer a eu une lecture différente. Dans ses motivations que BFMTV.com a pu consulter, les jurés et les juges ont considéré que le geste d'Angélique était proportionnel au regard de la force de son compagnon et que sa réaction avait été immédiate, deuxième critère pour retenir la légitime défense, car la quadragénaire n'avait aucune échappatoire, lui faisant légitiment craindre pour sa vie si son conjoint venait à la violenter et l'étrangler à nouveau.

Selon nos informations, la question d'un appel de cette décision d'acquittement par le parquet est à l'étude. Le ministère public a 10 jours pour le formuler.

Décision rare

Avant Angélique, trois autres femmes, Alexandra Lange, Florianne Hanelle et Adriana Sampaïo, avaient obtenu un acquittement après avoir tué leur conjoint violent. "C'est formidable que des gens l'aient acquittée, elle a passé deux ans et demi en détention, c'est bien", s'est réjouit la comédienne Eva Darlan, qui a présidé le comité de soutien à Jacqueline Sauvage. "Elle est responsable, elle l'a fait mais elle a suffisamment payé." elle plaide d'ailleurs pour la reconnaissance d'une légitime défense différée.

Pour Eva Darlan, ce nouveau procès est symptomatique d'une "justice patriarcale". "C'est absolument terrible, 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, des dizaines de femmes meurent sous les coups de leur compagnon, dans cette affaire, le féminicide n'est pas passé loin, déplore-t-elle. Cette femme avait porté plainte, si les plaintes avaient été suivies, cet homme ne serait pas mort."

Article original publié sur BFMTV.com