Nahel : Quand Macron appelle « les parents à la responsabilité », il s’adresse aux parents des classes populaires et pas aux autres

Vendredi, Emmanuel Macron a appelé « tous les parents à la responsabilité » pour « garder les jeunes à leurs domiciles ».
Vendredi, Emmanuel Macron a appelé « tous les parents à la responsabilité » pour « garder les jeunes à leurs domiciles ».

PARENTS - « C’est la responsabilité des parents de les garder à leur domicile. (...) La République n’a pas vocation à se subsister à eux. » Dans une allocution à l’issue de la deuxième cellule de crise interministérielle organisée depuis la mort de Nahel, tué par un policier, Emmanuel Macron a appelé « tous les parents à la responsabilité » pour « garder les jeunes à leurs domiciles » et ainsi prévenir les émeutes.

Un discours qui rappelle celui de Nicolas Sarkozy à Grenoble en juillet 2010, à la suite, là encore, d’émeutes urbaines. Le président de la République de l’époque estimait alors que « la question de la responsabilité des parents [était] clairement posée » et affirmait son souhait de voir cette responsabilité « mise en cause lorsque des mineurs commettent des infractions ».

Cibler les parents dans les discours politiques autour de la délinquance juvénile n’est pas nouveau. Et pour Jean-Jacques Yvorel, enseignant à l’École nationale de Protection judiciaire de la jeunesse et spécialiste de l’Histoire de la justice des mineurs au XIXe et XXe siècles, cette rhétorique s’est « toujours adressée aux parents des classes populaires ». Le HuffPost l’a interrogé sur l’évolution historique de ce discours.

Le HuffPost. Dans un article de recherche sur la délinquance juvénile, la famille et la justice au XIXe siècle, vous parlez de « la défiance systématique à l’égard des parents des classes populaires sous la IIIe République ». Est-ce que c’est au XIXe siècle que ce discours autour de la responsabilité des parents apparaît ?

Jean-Jacques Yvorel. Oui, c’est au XIXe siècle que naît cette vision des classes populaires avec le phénomène de l’industrialisation, de l’urbanisation et la naissance d’un prolétariat pauvre entassé dans certains quartiers des grandes villes. Ce prolétariat urbain constitue ce qu’on a appelé à l’époque « la classe dangereuse ». C’est significatif comme terme quand même. Il y a un livre du XIXe qui s’appelle Des classes dangereuses des grandes villes et des moyens de les rendre meilleures. Rien que le titre est une vision du monde et un programme.

Et à cette époque, même si les parents ne sont pas responsables pénalement, ils sont souvent considérés comme responsables moralement de la déviance de leurs enfants. Quand les enfants sont délinquants, on va dire généralement « c’est la faute aux parents ». Au XIXe siècle, cela va se traduire par une politique qui va consister à séparer les enfants de leur famille. On va les placer pendant très longtemps, dans des colonies pénitentiaires ou dans des familles d’accueil, en coupant tout lien avec la famille. Cette approche ne sera vraiment remise en cause qu’à partir des années 50.

Or, on a accès aux discours des parents des classes populaires de ces années-là, notamment dans les dossiers judiciaires dans lesquels ils sont parfois interrogés. Ils avaient exactement les mêmes rêves que les parents des classes riches : ils auraient été très contents que leurs enfants deviennent médecins et réussissent dans la vie. Ce qui leur manquait c’était le mode d’emploi qui permettait la réussite sociale. Et puis, ils n’avaient pas les mêmes conditions de vie, ils travaillaient 17 heures par jour, donc, en effet, ils ne pouvaient pas surveiller leurs enfants. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes d’alcool ou de violences, il ne s’agit pas d’avoir une vision romantique des choses. Mais il y avait des conditions matérielles objectives extrêmement défavorables.

À travers l’Histoire, le discours politique de culpabilisation des parents n’est donc réservé qu’aux classes populaires ?

C’est vraiment un discours de classe. Du côté des classes aisées, ce n’est ni le même discours, ni les mêmes pratiques. Dans les colonies pénitentiaires du XIXe siècle, il n’y a pas de mineurs issus des classes aisées. Dans de multiples dossiers, je n’en ai jamais trouvé. Tous appartiennent aux classes populaires. Les problèmes des mineurs déviants des classes aisées vont être psychologisés, médicalisés, pour éviter une judiciarisation trop importante. Ça n’a rien à voir avec le sort des enfants des classes populaires où là il y a un discours de mise en accusation des parents.

Il y a bien des périodes où la jeunesse considérée comme dangereuse n’est pas issue de la classe populaire, mais plutôt une jeunesse dorée. Par exemple, dans l’entre-deux-guerres, les jeunes de l’Action Française sont considérés comme dangereux. Mais on ne dit pas aux parents des étudiants de l’Action Française comment il faut élever leurs enfants. Le discours politique « vous n’élevez pas bien vos enfants » est réservé aux classes populaires. La culpabilisation des parents s’adresse aux parents des classes populaires et pas aux autres.

Est-ce que vous retrouvez les mêmes dynamiques dans la rhétorique actuelle autour de la responsabilité des parents ?

Oui parce qu’à quels parents on s’adresse là ? On s’adresse bien aux parents des cités. C’est-à-dire à ceux qui vivent dans des conditions de vie qui ne sont pas optimum. C’est plus facile de garder ses enfants devant la belle piscine de son mas dans le Luberon que dans le 15e étage de la tour Youri Gagarine dans le 93. Ces discours s’adressent bien à ces parents-là, c’est à eux qu’on dit « vous ne surveillez pas vos enfants ». Et ce qui est sûr c’est que c’est un discours qui n’est pas neuf et qui s’est toujours adressé aux parents des classes populaires.

À voir également sur Le HuffPost :

Mort de Nahel : Blindés, événements annulés... Les mesures du gouvernement face aux violences urbaines

Mort de Nahel : Darmanin demande la mise à l’arrêt des bus et tramways en France après 21h