Mort de Nahel : jour par jour, retour sur une semaine d’émeutes urbaines, de l’embrasement à l’accalmie

Des émeutiers affrontant les forces de l’ordre, à Marseille, le 30 juin 2023.
Des émeutiers affrontant les forces de l’ordre, à Marseille, le 30 juin 2023.

VIOLENCES URBAINES - Cela fait maintenant sept jours, ce mardi 4 juillet, que Nahel, 17 ans, est mort à Nanterre, victime d’un tir policier lors d’un contrôle routier. Un fait divers, filmé, qui a embrasé les banlieues parisiennes, les émeutes urbaines se propageant ensuite très rapidement dans toute la France, portées par l’influence des vidéos publiées en temps réel sur les réseaux sociaux.

Le HuffPost revient en détail sur cette semaine inédite depuis plus d’une quinzaine d’années dans le pays, après les précédentes émeutes urbaines marquantes de 2007 (Villiers-le-Bel) et 2005 (Clichy-sous-Bois).

Mardi 27 juin

Un automobiliste est tué vers 8h30 près de la station de RER Nanterre-Préfecture, derrière le quartier d’affaires de La Défense, par un policier qui fait usage de son arme.

Une vidéo de l’incident circule alors rapidement sur Twitter, montrant deux policiers contrôlant une voiture jaune passage François-Arago. Au moment où elle redémarre, l’un des policiers tire sur le conducteur. La voiture finit sa course quelques dizaines de mètres plus loin dans un panneau indicateur. Au volant, le jeune Nahel, 17 ans, est mort.

Une enquête est ouverte pour refus d’obtempérer et tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique. Une autre enquête, ouverte pour homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique, est confiée à l’IGPN, la police des polices.

Le soir même, c’est le début de l’embrasement, en région parisienne et notamment à Nanterre dans la cité Pablo Picasso. Des émeutes éclatent, avec de premières voitures brûlées. L’intérieur déploie un total de 7 000 forces de l’ordre à travers le pays. Bilan de cette première nuit : 49 interpellations, 115 véhicules incendiés et 25 policiers blessés.

Mercredi 28 juin

Tandis que le gouvernement lance un premier appel au calme, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin reconnaît que les images de la mort de Nahel sont « extrêmement choquantes » et qu’« elles ne sont apparemment pas conformes à ce que nous souhaitons comme intervention de la police », alors que la version de la police et celle de la famille de l’adolescent s’opposent 24 heures après les faits.

« Rien, rien ne justifie la mort d’un jeune », affirme pour sa part Emmanuel Macron depuis Marseille où il est en déplacement, pour qui la mort de l’adolescent « est inexplicable et inexcusable ». Des propos « irresponsables » pour le syndicat de police Alliance et Marine Le Pen.

La mère de Nahel appelle à une marche blanche en hommage à son fils jeudi 29 juin devant la préfecture des Hauts-de-Seine. Dans la nuit, dans une vidéo filmée par la militante contre les violences policières Assa Traoré et diffusée sur Instagram, la maman demande « justice pour Nahel ».

Alors qu’une minute de silence est observée à l’Assemblée nationale, la classe politique commence à commenter en masse le fait divers, tout comme des personnalités publiques de la société, telles le footballeur Kylian Mbappé ou l’acteur Omar Sy.

Le soir et la nuit à venir, l’embrasement né la veille en région parisienne se propage dans plusieurs autres villes de France dont Toulouse, Nantes et Lille. Le poste de sécurité de l’entrée du domaine de la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, est attaqué au mortier d’artifice.

Environ 10 000 forces de l’ordre sont mobilisées. Elles procèdent à 239 interpellations. Près de 800 véhicules sont incendiés et les premières dégradations importantes de bâtiments sont enregistrées, au nombre de 142, auxquels il faut ajouter 70 attaques de bâtiments policiers. Parmi les forces de l’ordre, 169 personnes sont blessées.

Jeudi 29 juin

Une cellule interministérielle est convoquée en début de matinée par Emmanuel Macron, au ministère de l’Intérieur. En introduction, le président de la République dénonce des « violences injustifiables contre les institutions de la République ». « L’émotion impose le recueillement et le calme », ajoute-t-il.

À droite, Éric Ciotti demande le retour de l’état d’urgence, alors que ces premières émeutes commencent à être comparées à celles de 2005, quand les banlieues des grandes villes s’étaient enflammées après la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur en tentant d’échapper à la police à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

À Nanterre, la marche blanche en hommage à Nahel réunit un peu plus de 6 000 personnes, selon la police, dans le calme, avant de se terminer dans la confusion. La mère de l’adolescent est juchée sur un camion en tête de cortège. Le soir sur France 5, elle déclare en vouloir « à une personne », « pas à la police ».

Le policier auteur du coup de feu mortel demande, lui, « pardon » à la famille de Nahel.

Les bus et tramways sont suspendus à partir de 21h en Île-de-France et dans la métropole de Lille pour éviter de nouvelles violences. À Orléans et Tours, l’arrêt des transports a lieu une heure plus tard.

Pour la nuit à venir, Gérald Darmanin quadruple les effectifs policiers dans le pays, les passant à 40 000. Les violences urbaines connaissent cette nuit-là leur paroxysme, avec des affrontements entre jeunes et policiers, de nombreux pillages de commerces et une avalanche de feux de voitures (1 990) et sur la voie publique (4 507), alors que 514 bâtiments sont dégradés ou incendiés. 885 personnes sont interpellées et 315 policiers blessés.

Vendredi 30 juin

Emmanuel Macron préside une nouvelle cellule interministérielle de crise à 13h à Paris, écourtant en urgence sa présence à Bruxelles pour un sommet européen. Il appelle ce jour-là à « la responsabilité des parents », alors que les émeutiers sont parfois âgés de 12 ou 13 ans.

L’un des deux passagers de la voiture conduite par Nahel, qui avait pris la fuite après l’accident, donne sa version des faits dans Le Parisien. Il annonce qu’il se rendra lundi au commissariat.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, une instance de l’Onu, appelle de son côté l’État français à s’attaquer aux « profonds problèmes de racisme » dans sa police. Une remarque très peu appréciée par le Quai d’Orsay, qui répond : « toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l’ordre en France est totalement infondée ».

Des événements de grande ampleur commencent à être annulés dans le pays, à commencer par les deux concerts de Mylène Farmer au Stade de France prévus vendredi et samedi. Des fêtes scolaires sont annulées, des manifestations interdites et des couvre-feux mis en place dans plusieurs villes, notamment en Île-de-France.

Nouvelles mesures fortes en prévision de la nuit, Gérald Darmanin demande aux préfets l’arrêt des services de bus et tramways dans toute la France à 21h, tout comme la « prise systématique d’arrêtés d’interdiction de vente et de transport » de mortiers d’artifice, de bidon d’essence, d’acides et de produits inflammables et chimiques.

Ce soir-là, 45 000 forces de l’ordre sont déployées, soutenues par des blindés de la gendarmerie. Les émeutes se concentrent alors particulièrement à Marseille et Lyon. En Île-de-France, la soirée est moins agitée. Si cette quatrième nuit engendre le plus d’interpellations de la semaine (1 311), les incendies sur la voie publique (2 814) et de véhicules (1 585) restent moins nombreux que la nuit précédente. 248 policiers sont blessés.

Samedi 1er juillet

Nahel est inhumé dans l’après-midi au cimetière du Mont Valérien à Nanterre en présence de sa mère, sa grand-mère et de plusieurs centaines de personnes venues lui rendre hommage. La cérémonie se déroule dans le calme.

Emmanuel Macron reporte sa visite d’État en Allemagne, prévue de dimanche soir à mardi, pour « pouvoir rester en France ces prochains jours ».

Depuis Créteil, Éric Dupond-Moretti, remonté, lance lui un message très clair à tous les mineurs qui partagent sur les réseaux sociaux des infos ou vidéos sur des rassemblements liés aux émeutes : « si vous balancez des trucs sur Snapchat, le compte on va le péter et vous serez retrouvés et vous serez sanctionnés ».

Pour la nuit à venir, Gérald Darmanin renouvelle le dispositif maximum de 45 000 forces de l’ordre. Globalement, elle est plus calme avec des données en baisse partout : 773 interpellations, 1 585 incendies sur la voie publique, 958 feux de voiture, 123 bâtiments dégradés et 48 policiers blessés. Mais un événement cristallise toute l’attention : à L’Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne, la maison du maire Vincent Jeanbrun (LR) est attaquée en pleine nuit à la voiture-bélier. Cette dernière est ensuite mise à feu. Si Vincent Jeanbrun se trouve au même moment à la mairie, son épouse et leurs deux enfants sont contraints de fuir le domicile en catastrophe « en état de choc et blessés ».

Dimanche 2 juillet

L’attaque de la nuit précédente à L’Haÿ-les-Roses est sur toutes les lèvres de la classe politique, du gouvernement à l’opposition, à droite comme à gauche. Une réunion se tient à 19h30 à l’Élysée en présence d’Élisabeth Borne, de Gérald Darmanin et d’Éric Dupond-Moretti.

La grand-mère de Nahel lance, elle, un appel au calme sur BFMTV : « Les gens qui sont en train de casser je leur dis : arrêtez. »

De son côté, Jean-Luc Mélenchon est contraint d’expliquer ses prises de position sur les émeutes, plusieurs élus Républicains, de la majorité, de l’extrême droite et même à gauche estimant que La France insoumise a une part de responsabilité.

Au niveau judiciaire, les comparutions immédiates vont bon train pour les premières personnes jugées pour violences et pillages. En cinq jours, près de 120 émeutiers ont déjà été écroués, pour du TGI, de la prison avec sursis ou de la prison ferme, avec parfois jusqu’à 18 mois à passer derrière les barreaux.

Pour la soirée à venir, le dispositif de 45 000 forces de l’ordre est une nouvelle fois de mise. Il s’agit vraiment d’une nuit charnière depuis le début de ces émeutes urbaines, avec un retour au calme relatif, puisque toutes les données sont en chute libre : 157 interpellations, 352 incendies de voirie publique et 297 de véhicules, 34 bâtiments dégradés et 3 policiers blessés.

Lundi 3 juillet

Comme il l’avait laissé entendre, le troisième passager de la voiture (de la banquette arrière) se rend à l’Inspection générale de la police nationale à 11h, où il est entendu. Le deuxième passager (à l’avant du véhicule), interpellé juste après l’accident, livre lui pour la première fois sa version des faits, via une lettre remise à son père et dont Le Parisien publie des extraits. « Nahel, après avoir reçu la balle, il a dit : “c’est un fou (le policier, ndlr), il a tiré” », apprend-on notamment.

En soutien au maire de L’Haÿ-les-Roses, des rassemblements sont organisés à midi devant les mairies partout en France, à l’initiative de l’Association des maires de France.

Emmanuel Macron demande à Gérald Darmanin de maintenir une « présence massive » sur le terrain afin de garantir le « retour au calme ». Le soir, le chef de l’État effectue une visite surprise dans un commissariat du 17e arrondissement de Paris pour apporter son « soutien » aux policiers.

Dans le même temps, une cagnotte en ligne de soutien au policier, lancée par le polémiste d’extrême droite Jean Messiha, n’en finit plus de grossir - dépassant le million d’euros -, au point que plusieurs députés insoumis demandent au gouvernement son retrait. À droite, Éric Ciotti n’y voit « rien de choquant » et affirme qu’il « pourrait » y participer. Élisabeth Borne estime pour sa part que cette cagnotte ne « contribue pas à l’apaisement ».

Le soir, pour la quatrième fois, l’Intérieur reconduit son dispositif de 45 000 forces de l’ordre déployées à travers le pays. Cette septième nuit est celle de l’accalmie puisque la police va procéder à « seulement » 72 interpellations. Près de 200 feux de voirie sont recensés et 159 de véhicules. On ne note aucun blessé chez les forces de l’ordre.

Mardi 4 juillet

Emmanuel Macron commence à faire le bilan d’une semaine d’émeutes en recevant les maires de 220 communes « victimes d’exactions » à travers tout le pays. Une invitation refusée par certains. Devant les édiles, le chef de l’État se dit « très prudent » sur le retour au calme, mais juge que « le pic » est « passé ». Il annonce aussi un projet de « loi d’urgence » pour accélérer la reconstruction après les destructions qui ont visé des bâtiments, du mobilier urbain et des moyens de transport.

Les dégâts sont estimés par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, à un milliard d’euros. « Sans compter les dégâts au niveau du tourisme. Les vidéos des émeutes, qui ont circulé dans le monde, dégradent l’image de la France », déclare le patron des patrons au Parisien.

En Île-de-France, les émeutes ont causé « au moins 20 millions d’euros de dégâts » pour les transports publics, des bus brûlés au mobilier urbain cassé, selon une première estimation d’Île-de-France Mobilités (IDFM).

Après sept nuits d’émeutes, le ministre de l’Intérieur annonce un total de 3 486 interpellations, 12 202 véhicules incendiés, 1 105 bâtiments incendiés ou dégradés, 209 locaux de la police nationale, de la gendarmerie ou des polices municipales attaquées et 808 policiers ou gendarmes blessés. Le ministre de l’Éducation nationale annonce de son côté que 243 établissements scolaires ont été attaqués depuis mardi 27 juin.

Par ailleurs, 374 personnes ont été jugées en comparution immédiate depuis vendredi, selon le ministère de la Justice.

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