De la mort de George Floyd à celle de Tyre Nichols, « rien n’a changé » aux États-Unis

Protesters gather during a rally against the fatal police assault of Tyre Nichols, in Atlanta, Georgia, on January 28, 2023. - The city of Memphis on January 27, 2023, released a graphic video, depicting the fatal police assault of Nichols, a 29-year-old Black man. Five Memphis officers, also all Black, were charged with second-degree murder in the beating of Nichols, who died in hospital on January 10 three days after being stopped on suspicion of reckless driving. (Photo by CHENEY ORR / AFP)

ÉTATS-UNIS - C’est une nouvelle histoire de violences policières aux États-Unis. Le 7 janvier dernier, Tyre Nichols a été arrêté et roué de coups par cinq membres de la police de Memphis. Il est mort à l’hôpital trois jours plus tard. La vidéo de son arrestation a provoqué une onde de choc, encore une fois. Deux ans et demi après la mort de George Floyd, qui a embrasé tout le pays, rien n’a donc changé ?

« Non, rien n’a changé », constate Charlotte Recoquillon, chercheuse associée à l’Institut francais de géopolitique et spécialiste des États-Unis, interrogée par Le HuffPost. La preuve, souligne-t-elle, « en 2022, il y a eu un nombre record de personnes tuées par la police, c’est le chiffre le plus haut depuis dix ans ». D’après le décompte de l’ONG Mapping Police Violence, 1 192 personnes sont mortes après des violences policières l’année dernière.

Ce chiffre paraît démentiel comparé à la France, où il oscille entre 10 et 20 ces dernières années. Ramenée à la population, la comparaison reste édifiante. « Cela montre que c’est un phénomène routinier aux États-Unis. C’est très inquiétant, mais pas étonnant, car la société américaine connaît un très fort taux d’homicide. Or on constate qu’il y a une corrélation entre le taux d’homicide et le taux d’homicide policier », explique François Bonnet, directeur de recherche au CNRS - Pacte.

Les réformes sont limitées au niveau fédéral

Le passage à tabac de Tyre Nichols choque d’autant plus que les promesses étaient nombreuses après la mort de George Floyd, en mai 2020. Au niveau fédéral, un projet de loi intitulé « George Floyd Justice in Policing Act » voulait limiter les protections dont bénéficient les policiers dans les enquêtes, et établir un registre fédéral recensant les agents ciblés par des plaintes. Le texte s’est heurté à l’opposition républicaine au Sénat et n’a jamais été adopté.

Face à cet échec législatif, Joe Biden a signé un décret en mai 2022. Il interdit la clé d’étranglement, oblige le port de caméra-piéton, et crée un registre pour recenser tous les policiers visés par des signalements ou des procédures disciplinaires. Ce texte a cependant des effets restreints puisqu’il ne s’applique qu’aux agents fédéraux.

En fait, en raison du système très fragmenté aux États-Unis, ce sont les 18 000 départements de police locaux qui sont chargés du maintien de l’ordre. « Chacun est libre de son recrutement, du salaire, de gérer ses déploiements, ses effectifs, liste Charlotte Recoquillon. Ils ont un grand pouvoir discrétionnaire et beaucoup d’autonomie. »

La police de Memphis, ville « très violente » souligne François Bonnet, fait partie de celles qui ont mis en place des réformes après 2020 dans un projet appelé « Réimaginer le maintien de l’ordre à Memphis ». Parmi les mesures prises : la réduction de l’usage de la force, l’interdiction d’entrée dans un domicile sans prévenir ou encore l’obligation d’intervenir si un policier est témoin de violences exercées par un collègue. Insuffisant, à en croire le drame qui s’est déroulé le 7 janvier.

Il faut un « changement structurel »

Ces décisions sont inutiles, car elles ne s’attaquent pas au cœur du problème assure aussi Charlotte Recoquillon. « Il faut des changements structurels. Augmenter les effectifs, donner plus de caméras : on l’a vu, ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que les préjugés racistes continuent d’exister, que l’impunité est toujours la règle sauf dans le cas de Derek Chauvin [condamné à 22 ans de prison pour la mort de George Floyd]… En fait, le problème ne vient pas de la police en elle-même. »

Elle s’explique : « La police fait appliquer des lois qui pénalisent et punissent des petites infractions, des incivilités, au nom de la qualité de vie dans une société structurellement raciste. Dormir sur un banc ou traîner en groupe entraîne de la suspicion, justifie des contrôles d’identité, des arrestations, ce qui rend l’escalade plus forte. » Et les dérapages plus fréquents. « Les problèmes résident en amont au niveau législatif et politique, et en aval avec le système judiciaire », analyse-t-elle.

La chercheuse a malgré tout son idée pour enrayer cette spirale de violence : « Couper drastiquement les effectifs et les moyens de la police pour les rediriger vers les services sociaux, les services de santé, ou encore les programmes d’éducation. » C’est ce que réclament d’ailleurs les activistes contre les violences policières.

François Bonnet, du CNRS, pointe une limite à cette revendication. « Si on raisonne grossièrement, le problème c’est combien ça coûte. Certes, les programmes de prévention ont un impact. Sauf que la police a un effet beaucoup plus important pour un coût moins élevé », estime-t-il. Pour lui, « le problème vient du nombre d’homicides dans la société avec des policiers qui ont peur pour leur vie, ce qui engendre encore plus de violence. Oui, il faudrait avoir un taux bas de criminalité, comme en Norvège ou au Danemark. Mais comment faire ? »

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