Missak Manouchian au Panthéon : pour Emmanuel Macron, est-ce compatible avec la loi immigration ?

Emmanuel Macron peut-il faire entrer Missak Manouchian au Panthéon et porter « en même temps » la loi immigration ? - Photo d’illustration, prise aux Invalides le 19 février 2024.
LUDOVIC MARIN / AFP Emmanuel Macron peut-il faire entrer Missak Manouchian au Panthéon et porter « en même temps » la loi immigration ? - Photo d’illustration, prise aux Invalides le 19 février 2024.

POLITIQUE - « Manouchian, c’est la critique la plus radicale qui soit contre la loi sur l’immigration ! », tranche dans un entretien à L’Obs le 18 février, le romancier Didier Daeninckx, auteur d’une biographie « Missak », (ed. Perrin, 2009) et de deux bandes dessinées consacrées au résistant d’origine arménienne. L’entrée de Missak Manouchian, de son épouse Mélinée et de 23 de ses compagnons au Panthéon ce mercredi 21 février a été saluée par une large partie de la classe politique. Mais à l’aune de la récente loi immigration, la symbolique du geste d’Emmanuel Macron interroge.

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Apatride, arrivé en France en 1924 après avoir échappé au génocide arménien, Missak Manouchian incarne un double symbole de la Résistance : celui des communistes par son engagement au PCF en 1934 et celui de l’engagement des étrangers issus de l’immigration. « Son entrée au Panthéon est l’occasion de rappeler qu’être Français ne tient pas à l’origine, au prénom mais à la volonté », vante d’ailleurs l’Élysée qui insiste sur l’attachement de Manouchian à la France dont il avait demandé deux fois la nationalité, sans succès.

Lors de l’annonce le 18 juin 2023 le sénateur PCF Pierre Ouzoulias, impliqué dans la panthéonisation se montrait ravi. « Il est tout à fait important dans cette période que la Nation se retrouve sur le partage commun de valeurs qui fondent la République », faisait-il valoir sur le site de son parti.

Mais six mois et le vote de la loi immigration plus tard, le sénateur déchante. « Est-il possible de célébrer l’action de ces étrangers morts pour la France au nom de la haute idée qu’ils se faisaient de nos principes républicains, tout en rédigeant, selon les desiderata des descendants de Vichy, une législation qui instaure de facto la préférence nationale dans l’attribution de certaines prestations sociales ? Je ne le crois pas » cingle Pierre Ouzoulias dans Libération y voyant les « limites du “en même temps” » cher à Emmanuel Macron.

Une panthéonisation « au-delà des débats de l’époque »

Le président de la République réfute catégoriquement. La chef de l’État place la panthéonisation dans la lignée de celle de Joséphine Baker, celle de la reconnaissance des « Français de préférence » c’est-à-dire ceux qui sont « Français de choix et de sang versé » selon la définition donnée par Emmanuel Macron dans une interview à L’Humanité le 18 février. « C’est une façon de regarder autrement notre histoire, d’inventer une autre relation avec nos compatriotes dont les familles viennent d’ailleurs. C’est reconnaître ce qui fait le cœur de la nation », argumente-t-il. Quelques jours avant cet entretien, l’Élysée tentait déjà d’évacuer la polémique en assurant que cette cérémonie « s’inscrit au-delà des débats de l’époque. »

Sollicité par Le HuffPost, l’historien spécialiste de l’immigration Pascal Blanchard insiste lui aussi sur « le décalage » notable mais fréquent provoqué par deux temps : celui du commémoratif et celui du politique. « D’un côté, cela fait huit décennies que ceux qui voulaient cette commémoration y travaillent. D’un autre côté, il y a le temps court du politique » avec deux mandats d’Emmanuel Macron où « il y a eu un basculement complet » sur la politique migratoire.

Le « paradoxe » dénoncé entre la panthéonisation de Manouchian et la loi immigration « saute aux yeux mais il n’est pas surprenant » et des précédents existent, rappelle ainsi Pascal Blanchard en citant l’entrée au Panthéon d’Aimé Césaire pendant la présidence de Nicolas Sarkozy.

Nuances et droit d’asile

Dans les faits, la loi immigration telle que votée par le Parlement n’aurait pas empêché l’arrivée de Manouchian en France. Le cas du jeune homme de 18 ans à l’époque, arrivé à Marseille avec le passeport Nansen créé pour les apatrides dans les années 20, s’apparente davantage à celui d’un demandeur d’asile. Et « la loi immigration actuelle ne concerne pas le droit d’asile », rappelle Pascal Blanchard. Un argument aussi avancé par Emmanuel Macron, qui assure dans L’Humanité « avoir toujours défendu » ce droit.

Mais force est de constater que « nous ne sommes pas dans une période de grande ouverture à l’autre, y compris dans la politique d’exil », souligne Pascal Blanchard. En 2018, la loi « Asile et immigration » votée sous le ministère de Gérard Collomb a restreint les droits des demandeurs. Et si celle de Gérald Darmanin ne porte pas directement sur ce droit d’asile, « on peut extrapoler en disant qu’elle n’aurait pas favorisé son installation en France », observe Pascal Blanchard.

La cérémonie d’entrée au Panthéon doit commencer à partir de 18h30 avec « une remontée de la rue Soufflot agrémentée de symboles », indique l’Élysée. Les cercueils de Missak et Mélinée Manouchian seront portés par des soldats de la Légion étrangère, afin de rendre hommage aux actuels « Français de préférence » avant un « dispositif scénographique » et, enfin le discours d’Emmanuel Macron. Pascal Blanchard anticipe : « Le président de la République choisira sans doute dans son discours de mettre en avant une partie du profil de vie de Manouchian. Va-t-il réduire l’homme à son identité arménienne ou va-t-il ouvrir, avec une dimension beaucoup plus large, aux 23 et donc aux étrangers qui sont morts pour la France ? La nuance sera importante ».

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