De Marseille à Nanterre, comment Emmanuel Macron et son gouvernement naviguent dans la crise des banlieues

Le chef de l’État, qui reçoit mardi les maires touchés par les émeutes, refuse la surenchère sécuritaire et mise sur un retour au calme.

POLITIQUE - C’était il y a une semaine. Un siècle au regard de la tournure des événements. Depuis Marseille, sa ville fétiche, Emmanuel Macron occupe l’espace médiatique en multipliant les annonces. Dans les quartiers nord, les rues avaient été nettoyées et les invités à son « grand débat » triés sur le volet. Tout devait bien se passer. Mais la mort du jeune Nahel le 27 juin et les émeutes qui ont suivi sont venues percuter de plein fouet les messages du chef de l’État, qui a revêtu une nouvelle fois son costume de président des crises, loin de celui de bâtisseur qu’il voulait endosser.

Au point de le contraindre à modifier encore son agenda diplomatique. Après l’annulation de la venue de Charles III en pleine réforme des retraites, c’est sa visite en Allemagne qui est repoussée ce lundi 3 juillet, pour se consacrer à la présidence de cellules de crise en France. Mardi, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée les maires des « plus de 220 communes victimes d’exactions ».

« Il n’y a pas de réponses faciles »

Cité par l’AFP, son entourage expliquait dimanche que le président de la République entreprenait un « travail minutieux » visant à « comprendre en profondeur les raisons qui ont conduit à ces événements », sans ciller sur l’arsenal répressif. Ce lundi, Emmanuel Macron a demandé une « présence massive » de policiers sur le terrain afin de garantir le « retour au calme ». Une façon pour l’exécutif d’éviter les réponses exclusivement sécuritaires, comme le demandent bruyamment la droite et l’extrême droite, tout en attaquant frontalement la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et son discours jugé irresponsable.

On a accepté des personnes sur le territoire et on ne leur donne pas de place après les avoir fait venir. C’est assez hypocrite. - Un ministre

Un numéro d’équilibriste prudent au regard de l’intensité des violences et de la complexité des problématiques politiques, économiques et sociales qu’elles impliquent. La mort de Nahel, tout comme la flambée de violences qu’elle a provoquée, laisse l’exécutif pantois, à l’heure où une cagnotte lancée par l’extrême droite en soutien du policier auteur du tir, mis en examen pour homicide volontaire, dépasse le million d’euros, qu’un communiqué du syndicat de police Alliance menace le gouvernement d’« entrer en résistance », que la maison du maire de L’Haÿ-les-Roses a été attaquée à la voiture bélier et que les Français observent éberlués un pays s’enfoncer un peu plus dans la crise.

« On est tous un peu groggy »

« On est tous un peu groggy. Il n’y a pas de réponse facile. Le président de la République a raison de dire qu’il nous faut un temps pour comprendre. On a tous du mal à analyser la nature des attaques », admet un ministre « très en colère » qui reconnaît « ne pas avoir vu tout ça venir ». Et le même de s’interroger à haute voix : « attaquer une supérette, un resto du cœur et un magasin Nike, c’est quoi le sens de tout ça ? ».

Dans Le Monde, le sociologue François Dubet apporte un début de réponse. « Les jeunes s’en prennent aux symboles – celui de l’État qui les réprime et celui de la consommation qui les frustre. Ils sont enragés parce que les injustices n’ont d’autre cause à leurs yeux que le “système” incarné par la police », explique ce spécialiste des inégalités.

« Ce qui pousse tous ces gamins, c’est aussi la discrimination. On a accepté des personnes sur le territoire et on ne leur donne pas de place après les avoir fait venir. C’est assez hypocrite. On est tous un peu responsables de ça », analyse un membre de l’aile gauche du gouvernement, conscient que le sujet dépasse largement les débats autour des violences policières.

Le pari du retour au calme

« Si la flambée de violence était due à la mort de Nahel, les propos du président auraient adouci les choses et ça n’a pas été le cas », estime ce ministre, en référence à la sortie du chef de l’État sur le caractère « injustifiable » et « inexcusable » du geste du policier, avant même d’attendre les premières conclusions de l’enquête. Une prise de parole qui visait à « appeler au calme », selon ce membre du gouvernement, mais qu’il juge « prompte à condamner ce policier avant que justice ne se fasse ». « J’aurais été plus mesuré », confesse le même, dans une rare prise de distance avec le chef de l’État.

Si le gosse était blanc, le flic ne tirait pas

Mais alors, comment répondre ? « La solution n’est pas d’arroser de milliards avec un énième plan banlieues. Le sujet, c’est la considération qu’on a à l’égard des habitants de ces quartiers. Parce que si le gosse était blanc, le flic ne tirait pas. En parallèle, ce n’est pas normal que les gamins voient les policiers comme une menace. C’est sur cela qu’il faut travailler », insiste un conseiller de l’exécutif, qui estime que la réponse devra se faire « sur l’aspect civique, les services publics, la considération et le rapport à la police ». Des solutions « de fond » qui nécessitent du temps et qui ne semblent pas encore à l’ordre du jour.

« On est encore dans la crise, on doit faire très attention », poursuit notre interlocuteur, décrivant un contexte abrasif où la moindre expression politique peut potentiellement jeter de l’huile de feu. D’où cette communication en silo choisie par l’exécutif, où chaque ministre habilité à s’exprimer sur les émeutes le fait uniquement via le prisme de son portefeuille, afin d’éviter les sorties à l’emporte-pièce qui viendraient parasiter les déclarations quotidiennes d’Emmanuel Macron sur le sujet et tailler en pièces les objectifs de retour au calme sur lesquels le chef de l’État a bâti sa stratégie. Un « pari » basé sur la recherche d’apaisement à court terme alors qu’approche à grands pas le 14 juillet, date choisie par le président de la République lui-même pour tirer le bilan des « cent jours de l’apaisement » censés sortir de la douloureuse réforme des retraites. Un siècle.

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