Marine Le Pen a choisi la ville de Beaucaire, pour sa rentrée politique, un symbole à double tranchant

Présentée comme une « vitrine » du RN, la ville fait l’objet de critiques sur sa gestion, pouvant gêner l’objectif de « normalisation » du parti d’extrême droite.

POLITIQUE - C’est une tradition au Rassemblement national : une rentrée politique doit se jouer à domicile. Et alors que le parti lepéniste avait pris ses habitudes à Fréjus, ville dirigée depuis 2014 par le maire RN David Rachline, Marine Le Pen et Jordan Bardella posent leurs valises ce samedi 16 septembre à Beaucaire, dans le Gard, où Julien Sanchez a été réélu dès le premier tour en 2020.

Il faut dire que le département sudiste sourit au Rassemblement national : lors des élections législatives de 2022, le parti à la flamme tricolore n’était pas loin du grand chelem : 4 victoires sur 6 possibles et une progression de trois sièges par rapport à 2017. Et Marine Le Pen connaît bien la ville, où elle a obtenu 60,82 % des voix au second tour de la présidentielle 2022. En janvier 2015, alors présidente du FN, elle y avait trouvé refuge après son exclusion de la journée nationale contre les actes terroristes.

Une ostracisation politique dont elle a tout fait pour s’extraire et qui, huit ans et 88 députés plus tard, apparaît comme un lointain souvenir. Et pour cause. Dans un sondage Elabe pour BFMTV réalisé du 12 au 13 septembre, 48 % des Français estiment que Marine Le Pen « a les qualités nécessaires pour être présidente », soit une hausse de cinq points depuis le mois de juin. Dans cette même étude, 6 Français sur 10 pensent que Marine Le Pen pourrait gagner l’élection présidentielle de 2027.

De quoi mettre du vent dans les voiles de la présidente du groupe RN à l’Assemblée, qui voit sa stratégie de discrétion médiatique porter ses fruits. Avec, comme premier objectif, une victoire aux élections européennes de 2024, conçue comme une « élection de mi-mandat » en interne et perçue comme la dernière étape à réussir avant l’accession à l’Élysée. Un plan solide en théorie, mais qui ne pourra fonctionner que si le RN rompt définitivement avec son passé et arrive à effacer sa réputation sulfureuse. Et c’est ici que le choix de Beaucaire pose question.

Une gestion épinglée dans plusieurs rapports

Comme l’a révélé récemment Libération, au prix notamment d’un communiqué au vitriol produit par la mairie, la gestion municipale fait l’objet de nombreuses critiques. Celle-ci avait d’ailleurs été pointée dans un rapport en 2020, réalisé par la Chambre régionale des comptes (CRC) qui relevait plusieurs dysfonctionnements, que ce soit sur le plan financier, celui des ressources humaines ou de la communication de la ville.

À titre d’exemple, les magistrats s’étonnaient que le site Internet de la commune évoque la comparution de l’ancien maire pour « des accusations d’emploi fictif, délit de favoritisme et délit d’avantage injustifié » sans qu’il ne soit mentionné « la relaxe de l’intéressé par un jugement du tribunal de grande instance de Nîmes le 18 janvier 2018 ». Un oubli, sans doute.

Autre curiosité pointée par les magistrats, « une indemnisation de congés annuels sans fondement réglementaire » octroyée au directeur de cabinet d’alors : Yoann Gillet (aujourd’hui député RN). Son montant : 7 384,42 euros, que l’intéressé a dû rendre à la mairie à la suite de ce rapport. D’autant que, selon ce même document, « le nombre de congés pris par le directeur de cabinet en 2017 et 2018 est très supérieur à ceux prévus par la réglementation ainsi qu’à ceux pratiqués dans la collectivité ». Une simple erreur, probablement.

Quand cette étude de contrôle est sortie, Julien Sanchez n’avait pas hésité à s’en prendre aux magistrats de la chambre. Qualifiant le rapport de « pamphlet indigeste », le maire RN dénonçait « des prises de position politiques partisanes gau­chistes macroniennes ». Rappelons que les magistrats financiers sont recrutés à la fois parmi les anciens élèves de l’ENA et sur concours, et que « l’indépendance » est la première des trois grandes valeurs de l’institution. Par ailleurs, ce n’est pas le seul rapport qui pose la question de la gestion de la ville.

« Injonctions paradoxales »

En mars 2022, Mediapart avait révélé les conclusions d’une étude réalisée par le cabinet Qualiconsult, mandaté par la mairie. Un document qui pointe une concentration des pouvoirs autour du maire, laquelle retarderait les missions de la ville. Un « syndrome du parapheur » qui n’est pas sans conséquence, entre factures impayées et gestion erratique. « Exemple : le cuisinier s’est retrouvé sans four pendant 6 mois pour réaliser 700 repas par jour », soulignait l’audit, cité par Mediapart, rapportant plusieurs témoignages faisant état de maltraitances au travail. Ce qui est corroboré par le rapport de la CRC, qui pointait « des risques psychosociaux identifiés mais non pris en compte » par la mairie.

« Sont rapportés des vécus d’injonctions paradoxales, de demandes managériales en contradiction avec les règles ou avec l’éthique de métier, des mutations d’office non accompagnées, des retards accumulés liés à des non-réponses administratives internes, une perte de sens, une démotivation profonde. Sont cliniquement constatées des souffrances psychiques individuelles nécessitant des orientations spécialisées », alertait le médecin de santé au travail de la commune, dans un courrier adressé à Julien Sanchez. « Le service de santé au travail indique n’avoir pas reçu de réponse », observe le rapport.

Un ensemble de situation pas vraiment compatible avec la « vitrine » que le RN, fort de ses résultats électoraux sur place, souhaite mettre en avant à travers la ville de Beaucaire, et qui paraissent surtout contradictoires avec le sérieux et la crédibilité que cherche à acquérir Marine Le Pen en vue de la présidentielle de 2027. Paradoxale, la situation résonne étrangement avec ce qui fut longtemps la devise de la cité gardoise : « Célèbre pour sa foire, illustre par sa fidélité ».

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