Comment Marina Ovsiannikova a fui la Russie après avoir brandi sa pancarte à la télé

Quelques jours après l’invasion russe en Ukraine, Marina Ovsiannikova a brandi une pancarte « anti-guerre » sur la télévision d’Etat russe. Elle a depuis fuit son pays grâce à RSF.
CAPTURE D’ÉCRAN / PERVI KANAL Quelques jours après l’invasion russe en Ukraine, Marina Ovsiannikova a brandi une pancarte « anti-guerre » sur la télévision d’Etat russe. Elle a depuis fuit son pays grâce à RSF.

INTERNATIONAL - Une « évasion » digne de l’époque « du mur de Berlin ». La journaliste Marina Ovsiannikova, qui s’est rendue célèbre à l’international pour avoir brandi une pancarte opposée à la guerre en Ukraine à la télévision d’État russe, a conté ce vendredi 10 février le récit de sa fuite de Russie avec sa fille. Un exposé livré au cours d’une conférence de presse organisé à Paris dans les locaux de Reporters sans Frontières (RSF).

C’est en effet cette ONG qui a organisé son départ clandestin de son pays début octobre, alors qu’elle encourait dix ans de prison et était assignée à résidence avec un bracelet électronique. Au cours de sa prise de parole, Marina Ovsiannikova a aussi rappelé que sa fuite rocambolesque était relatée dans une autobiographie qui paraît ce vendredi en Allemagne.

« Opération Evelyne »

Au début de l’ouvrage, intitulé Zwischen Gut und Böse (« Entre le bien et le mal, comment je me suis enfin opposée à la propagande du Kremlin », ndlr), la journaliste née d’une mère russe et d’un père ukrainien revient donc sur son irruption, quelques jours après le déclenchement de l’invasion russe, dans le journal télévisé le plus regardé du pays. À bout de bras, elle tient une pancarte proclamant « No War » (« Non à la guerre », en français).

Cinq jours seulement après après ce geste anti-guerre sur la chaine d’État Pervy Canal, le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, parvient à joindre Marina Ovsiannikova pour lui proposer l’aide de l’ONG pour s’enfuir, raconte aujourd’hui le site de RSF.

Mais la journaliste attendra plusieurs mois avant de recontacter l’organisme. Ce n’est qu’en septembre, après avoir été inculpée pour « diffusion de fausses informations » sur l’armée et alors qu’elle encourait alors dix ans de prison, qu’elle prend sa décision : elle veut fuir son pays. Et vite. « Le jugement devait avoir lieu le 9 octobre. Mon avocat me disait : Fuis, sauve ta vie », a-t-elle raconté lors de la conférence de presse de ce vendredi.

Dès lors, RSF a préparé pendant quatre mois son évasion secrète. La fuite, qui portera le nom d’« opération Evelyne », a débuté dans la nuit du vendredi au samedi 1er octobre, date à laquelle Marina Ovsiannikova et sa fille ont quitté Moscou. « Il y avait moins de risques qu’on nous cherche pendant le week-end. »

« Nous avons utilisé sept véhicules successivement et, avant la frontière, nous nous sommes embourbés dans un champ », a poursuivi la journaliste de 44 ans, dont les propos en russe étaient traduits par une interprète.

Des « zones d’ombre » nécessaires

« Nous avons marché des heures dans la nuit avant de trouver la frontière, sans réseau mobile, en essayant de nous repérer avec les étoiles. Je perdais espoir », s’est-elle encore rappelée, visiblement tendue. Elle a également affirmé avoir oublié de neutraliser son bracelet électronique, dans la précipitation, et ne l’avoir sectionné avec une pince coupante qu’après le deuxième changement de véhicule.

Certains détails de sa fuite n’ont pas pu être révélés ce vendredi. On ne sait par exemple pas quelle frontière elle a franchie, ni quel a été son périple avant d’arriver en France, pays qui lui a offert l’asile.

Des « zones d’ombre » nécessaires « pour la sécurité de ceux qui ont aidé cette opération hors du commun », s’est justifié Christophe Deloire. Cette « évasion, (qui) fait penser aux plus célèbres franchissements du mur de Berlin », n’a « pas été organisée par des services de renseignements », a-t-il seulement assuré.

Figure de lutte contre la propagande

La journaliste, désormais en sécurité en France, est aussi revenue sur ce qu’elle avait vécu comme un « énorme choc » quand la Russie et son « régime criminel » ont envahi l’Ukraine. Elle fait d’ailleurs le parallèle avec ce qu’elle avait vécu enfant en Tchétchénie, où la maison familiale avait été « détruite lors des opérations russes ».

Dans son ouvrage, elle explique avoir longtemps fait partie du système : son mari, dont elle est séparée depuis et avec qui elle a eu un fils et une fille, fait partie des cadres de la chaîne de télévision Russia Today (actuellement RT).

Mais aujourd’hui, elle est capable de décrire les ficelles de la « fabrique de propagande » de son employeur, Pervy Kanal. La diffusion d’informations sur Vladimir Poutine ne doit par exemple jamais être suivie de mauvaises nouvelles et le président doit être présenté comme le sauveur de la Russie.

Christophe Deloire a d’ailleurs défendu le combat de Marina Ovsiannikova qu’il qualifie de « figure de la lutte contre la propagande ». « La démarche de Marina Ovsiannikova montre qu’il est possible de résister aux appareils de propagande, qu’il est possible de s’opposer à la falsification de l’histoire, de l’actualité, à la manipulation », a-t-il conclu.

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