Le mariage pour tous a 10 ans et ces droits LGBT+ restent à conquérir (et ils devront sans doute attendre)

Une décennie après l’emblématique loi Taubira, les associations LGBT+ réclament plusieurs avancées urgentes. Mais il y a peu de perspectives politiques à l’horizon.

LGBT+ - C’est la dernière grande loi de société entrée en vigueur en France. Votée le 23 avril et promulguée le 17 mai 2013, la loi ouvrant le mariage à tous les couples a permis 70 000 unions au cours des dix dernières années. Cette avancée majeure, pour laquelle les associations LGBT+ militaient depuis de nombreuses années et qui a suscité beaucoup d’opposition chez les conservateurs de La Manif pour tous, ne représente toutefois pas l’étape ultime de l’avancée des droits des lesbiennes, gays, bi et personnes trans.

La loi Taubira a d’ailleurs entraîné dans son sillage plusieurs évolutions qui ont corrigé des situations discriminantes pour les personnes LGBT. On peut notamment citer l’ouverture des techniques de procréation médicalement assistées aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes par la loi bioéthique de 2021, la simplification du changement de prénom et d’état civil pour les personnes trans (loi de simplification de la justice de 2016) ou encore l’ouverture progressive du don du sang aux hommes gays et bis entre 2016 et 2022.

En 2023, l’égalité est toujours loin d’être acquise pour les personnes LGBT+, et de nombreuses avancées législatives sont réclamées avec insistance par les associations pour corriger des situations de discrimination. Le HuffPost a contacté des militantes associatives et des responsables politiques pour faire un tour d’horizon des évolutions jugées prioritaires et qui font globalement consensus au sein des communautés LGBT+, à l’image de l’ouverture du mariage à tous les couples en son temps.

Changement d’état civil sur simple déclaration

Aujourd’hui, les demandes concernent en priorité les personnes trans : « L’ultra-priorité, c’est la déjudiciarisation complète et la dépathologisation réelle du changement de genre. Toutes les associations réclament le changement de genre libre et gratuit sur simple déclaration en mairie », résume la militante trans Élisa Koubi, coprésidente de l’Inter-LGBT, qui regroupe les principales associations militantes dans l’Hexagone. Explications : si la loi de 2016 a facilité le changement d’état civil – c’est-à-dire du marqueur de genre « M » ou « F » sur l’acte de naissance et les papiers d’identité –, le processus reste soumis à une décision d’un tribunal, qui doit se prononcer sur le bien-fondé de la demande.

Une aberration, pour Maud Royer, militante trans au sein du collectif Toutes des femmes : « Aujourd’hui, la judiciarisation du processus produit de la discrimination. Les personnes trans doivent justifier auprès du tribunal qu’elles vivent dans le genre souhaité depuis un certain temps. Cette période les expose à de nombreuses discriminations lors de démarches de la vie quotidienne – au travail, pour la recherche d’un logement ou pour le retrait d’un colis à La Poste… – puisque leur apparence ne sera pas en accord avec leur document d’identité. C’est inadmissible et il faut que ça change », explique celle qui a travaillé sur les questions LGBTI dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2022 avant de prendre du champ vis-à-vis de La France insoumise.

« La France est toujours dans une logique judiciaire, et c’est très dur pour nous d’accepter que nos vies et nos droits soient tranchés par des personnes qui ne sont pas concernées, abonde Élisa Koubi. Et la loi de 2016 n’a pas réellement démédicalisé le parcours : certes, il ne s’agit plus d’une stérilisation forcée pour les personnes trans, mais les attestations de médecins restent incontournables pour motiver la demande », poursuit la militante, qui dénonce également les nombreux blocages administratifs qui persistent dans l’application du texte de 2016. Pour les associations, la récente adoption d’une loi très progressiste en Espagne, qui permet le changement de genre sur simple déclaration, constitue une source d’inspiration et d’espoir.

Une PMA à améliorer

Le deuxième axe d’évolution majeur concerne la PMA. Avec en premier lieu, là encore, « la question des personnes trans, qui n’a pas été oubliée de la loi de 2021, mais volontairement écartée des débats par le gouvernement », dénonce Maud Royer. Principaux griefs : la loi bioéthique ne permet pas aux femmes trans d’utiliser leurs gamètes préalablement conservés, pas plus qu’elle n’autorise les hommes trans à avoir recours à la PMA.

L’amélioration de l’accès à la PMA ne concerne toutefois pas uniquement les personnes trans. « Dans les faits, pour les femmes lesbiennes, c’est encore très compliqué, avec des démarches contraignantes – notamment une déclaration préalable chez le notaire qui ne concerne pas les couples hétérosexuels », cite Élisa Koubi, de l’Inter-LGBT. Le texte ne prend pas en compte les parcours de PMA réalisés à l’étranger, ce qui pose des difficultés aux couples de mères. « Le droit à la PMA pour toutes n’est pas effectif, dans la mesure où l’hôpital public est exsangue. Faute de personnel et de moyens, les délais sont beaucoup trop longs », complète Ségolène Amiot, députée LFI et co-présidente du groupe d’études sur les discriminations et les LGBTQIphobies à l’Assemblée.

La question des enfants intersexes

Autre cheval de bataille des associations : l’interdiction des opérations des enfants intersexes, c’est-à-dire des bébés qui présentent des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux normes classiques masculines ou féminines. Une situation qui concerne près de 2 % des naissances. « Nous demandons l’arrêt des actes médicaux non consentis sans urgence vitale. Actuellement, les médecins réalisent très tôt des examens invasifs, des traitements forcés et des opérations mutilantes sur les enfants intersexes pour “corriger leur corps” contre leur volonté. Ces interventions ne sont pas à visée thérapeutique, elles sont uniquement pratiquées pour des raisons esthétiques et normatives », résume Mischa, membre du Collectif intersexe activiste (CIA).

« Nous ne sommes pas malades, ce sont les médecins qui nous rendent malades ! La plupart du temps, les variations intersexes ne sont pas nocives pour la santé, contrairement aux opérations qui laissent des séquelles physiques et psychiques dramatiques et souvent irréversibles. » Pour lutter contre ces interventions, le CIA plaide également pour une meilleure information des parents, mais aussi « des personnes concernées afin qu’elles puissent donner un consentement libre et éclairé ».

La question des opérations des enfants « présentant une variation du développement génital » a bien été abordée dans la loi de bioéthique de 2021, mais a minima, selon les associations. « L’amendement est censé encadrer les interventions sur les enfants intersexes mais dans les faits, ce sont les médecins qui font le droit et décident si tel ou tel cas d’intersexuation est un problème et quelles interventions pratiquer, sur la seule base de leur décision arbitraire. Où est le consentement des enfants ? », s’interroge Mischa.

Une limite que reconnaît Raphaël Gérard, député Renaissance de la Charente-Maritime, en pointe sur les questions LGBT+ à l’Assemblée nationale. « Nous avons réussi à faire entrer cette question dans la loi bioéthique de 2021, c’est une avancée car cela signifie que la position pourra être réévaluée à chaque révision de la loi bioéthique » – en théorie tous les sept ans –, dit-il au HuffPost. « L’étape suivante, c’est d’arriver à mettre clairement dans la loi l’interdiction des interventions précoces. »

Là encore, la loi espagnole, qui prohibe toute intervention chirurgicale chez les enfants de moins de 12 ans présentant une variation du développement génital est « très encourageante », souligne Mischa. « Nous devons juste espérer qu’elle sera correctement appliquée dans les hôpitaux et les centres de prise en charge. »

Pas de consensus sur la GPA

Contrairement aux évolutions mentionnées jusqu’ici, une modification de la législation pour autoriser la gestation pour autrui – à savoir la possibilité pour les couples hétérosexuels ou homosexuels d’avoir recours à une mère porteuse – est loin de faire l’unanimité chez les militantes et militants LGBT+. « Nous voulons l’ouverture d’un débat national, d’autant que ce sujet concerne aujourd’hui, dans la grande majorité, des hétéros », pointe Élisa Koubi. « Il y a des groupes sur Telegram qui réfléchissent à un modèle de GPA éthique à la française, dans le respect des femmes, mais la réflexion n’est pas encore assez aboutie », note Raphaël Gérard.

Plus généralement, l’élu estime que la question de la GPA montre qu’« il reste pas mal de trous dans la raquette dans les droits familiaux ». Par exemple, la législation ne règle pas la question des parents trans : une femme trans reste « père » de ses enfants après sa transition, sauf décision de justice. « Les cas sont peu nombreux, la Chancellerie arrive généralement à trouver une solution avec les parents, mais cela dépend du bon vouloir du garde des Sceaux du moment. Il faudrait que la loi règle cette question », estime Raphaël Gérard.

Le député, qui s’est marié en 2017 avec son compagnon et a adopté un enfant, envisage ainsi de déposer une proposition de loi « pour l’égalité réelle des personnes LGBT+ » qui corrigerait « les non-dits et les ratés des précédentes lois ». « Cela doit être fait en concertation avec les associations », plaide l’élu Renaissance.

Peu de perspectives politiques

Mais son collègue Aurélien Taché (EELV/NUPES), co-président du groupe d’études discriminations et LGBTQIphobies à l’Assemblée, se montre peu optimiste quant à l’adoption d’un texte sur ces questions. « Malheureusement je ne vois pas d’espace politique à court terme et je le regrette profondément », estime l’élu du Val-d’Oise. Après l’adoption laborieuse de la loi sur la PMA, « à laquelle tout le monde a bien compris qu’il n’était pas favorable », « je ne crois pas que Macron rouvrira le sujet sous cette mandature, d’autant plus qu’il a ouvert un autre chantier sociétal sur la fin de vie », souligne-t-il.

« Le président de la République est un conservateur, il se vend comme un progressiste mais il ne l’est pas sur les questions de société », dénonce Aurélien Taché. « Les sujets qu’Emmanuel Macron a décidé de porter sont davantage orientés vers la sécurité, l’immigration, la réduction de la dépense publique… », abonde Ségolène Amiot, qui déplore également le problème de l’application des textes.

« Aujourd’hui, par exemple, la LGBTphobie est une circonstance aggravante dans le code pénal mais elle n’est quasiment jamais retenue. Il y a plein de dispositions prévues dans le droit, mais aussi beaucoup de freins dans les faits. » Et pour limiter l’inscription de nouvelles situations discriminantes dans la loi, l’élue annonce au HuffPost son intention de créer, au sein du groupe d’études à l’Assemblée, un dispositif pour examiner chaque texte qui arrive au Parlement sous l’angle des droits LGBT+.

Dans l’immédiat, les associations LGBT+ sont particulièrement attentives quant aux projets de loi annoncés sur l’immigration. « Le gouvernement semble faire tout ce qu’il peut pour ne pas accueillir pour des personnes LGBT+ qui devraient avoir le droit à l’asile, ou pour criminaliser des systèmes d’entraides entre travailleuses du sexe, notamment trans, afin de les faire passer pour des proxénètes », fustige Maud Royer. À défaut d’avancer pour le plus grand nombre, les militantes et militants espèrent que les droits ne reculeront pas pour les personnes qui demandent l’asile à la France en raison de leur orientation sexuelle, identité de genre ou séropositivité.

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