« Le marchand de sable » montre ce que personne ne veut voir

Photo
Lea Rener

CINÉMA - Le marchand de sable de Steve Achiepo n’est pas ce gentil personnage de légende qui endort les enfants. Mais un marchand de sommeil qui profite de la vulnérabilité de familles en détresse et dont les actes conduisent à un drame. Pour son premier long-métrage, au cinéma ce mercredi 15 février, le réalisateur réunit Moussa Mansaly, Ophélie Bau, Aïssa Maïga et Benoît Magimel dans un thriller du réel qui prend aux tripes.

Il y a plus de vingt ans, dans une précédente vie d’agent immobilier, quand il n’était « pas encore politisé » et avait « besoin de thunes », Steve Achiepo a cédé un jour à la requête d’un propriétaire qui ne voulait « pas d’une famille noire » comme locataire. « Plus je mûrissais, plus je me rendais compte que moi, en tant que noir, j’avais participé au racisme systémique au logement et cette idée a fini par me devenir insupportable », raconte-t-il au HuffPost.

Ce « conflit moral », il l’a transformé en film autour du personnage de Djo, un livreur de colis de banlieue parisienne qui vit chez sa mère avec sa fille et se retrouve un jour à loger en urgence une tante et ses trois enfants qui fuient le conflit ivoirien. Quand de plus en plus de réfugiés frappent à sa porte, Djo y voit l’occasion d’offrir une vie décente à sa fille et bascule.

Il magouille avec un marchand de sommeil et loge ces familles en détresse dans des préfabriqués, des caves insalubres ou des immeubles à l’abandon. Jusqu’à ce que survienne une tragédie.

600.000 victimes de l’habitat indigne

« Chaque détail est inspiré d’histoires vraies - et encore j’ai dû baisser les curseurs parce que la fiction ne supportait pas la réalité », assure Steve Achiepo qui a notamment passé beaucoup de temps auprès de travailleurs sociaux et de victimes de marchands de sommeil. Car si Le marchand de sable est une fiction, ce qu’il raconte est emprunt de réel. En France, plus de 4 millions de personnes sont mal-logées selon le dernier rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre. « Et 600.000 personnes sont victimes de l’habitat indigne, tel que le raconte le film », précise au HuffPost Samuel Mouchard, directeur adjoint de l’animation territoriale de la Fondation.

« Le film est puissant, documenté de façon juste », commente le professionnel, « et il décrit des mécanismes de société qui sont à l’œuvre » chez les marchands de sommeil, mais aussi le manque de moyens des travailleurs sociaux souvent démunis.

Moussa Mansaly incarne avec justesse le personnage complexe de Djo sur lequel repose en bonne partie la réussite de ce thriller qui frôle parfois avec le fantastique. L’acteur, révélé au grand public dans la série Validé, avoue qu’il était « conscient sans l’être du problème du mal-logement » : « Je me suis rendu compte, en jouant ce rôle, de la profondeur de ce que je ne voyais qu’en surface ». Et c’est avec le même sentiment que les spectateurs du Marchand de sable sortiront sans doute de la salle de cinéma.

« Lutter contre l’indifférence » 

« Je montre des choses qu’on voit peu ou qu’on ne veut pas voir », souffle Steve Achiepo qui a longtemps questionné sa légitimité à parler d’un sujet de société aussi lourd, mais sous la forme d’une œuvre de cinéma « qui a quand même vocation à divertir ». « Ouvrir un débat positif c’est le but de toute oeuvre, et si ce film peut y parvenir c’est déjà une grande chose de faite », rassure son acteur principal.

C’est d’ailleurs précisement pour cela que la Fondation Abbé Pierre accompagne ce long-métrage. « Ce film participe à lutter contre l’indifférence et contribue à sensibiliser l’opinion publique à une réalité qui touche des millions de personnes », explique Samuel Mouchard.

« C’est par la sensibilisation qu’on arrivera à construire des solutions pour remettre la lutte contre l’habitat indigne au cœur de nos politiques », poursuit celui qui a longtemps été directeur d’un lieu d’accompagnement des victimes de marchands de sommeil. Et de citer, comme un écho, cette phrase de l’Abbé Pierre : « La maladie la plus constante et la plus mortelle, mais aussi la plus méconnue de toute société, est l’indifférence ». Ceux qui iront voir ce film ne pourront plus l’être.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi