Magnitude, plaques, froid... Pourquoi les séismes en Turquie et Syrie sont-ils si meurtriers?

Une succession de séismes a dévasté le plateau anatolien depuis lundi. Une effroyable série, perceptible dans toute la région, qui a endeuillé à la fois la Turquie et la Syrie et promet d'alourdir un bilan déjà particulièrement élevé. Pour Adelheid Marschang, une responsable de l'Organisation mondiale de la Santé qui s'exprimait ce mardi en marge d'une réunion du conseil exécutif de l'instance, à terme ce sont "23 millions de personnes" qui pourraient être "exposées" aux contrecoups de la catastrophe.

Quant au nombre de morts, il dépasse déjà les 5000 victimes, Turquie et Syrie confondues. Une statistique encore bien loin de son plafond. Dès lundi, l'OMS évoquait la possibilité d'un bilan approchant les 20.000 tués. Selon Catherine Smallwood, responsable des situations d'urgence du bureau européen de l'OMS, "il y a un potentiel continu d'effondrements supplémentaires et nous voyons souvent des nombres huit fois plus élevés que les nombres initiaux".

Comment expliquer un tel marasme et de tels ravages parmi les populations? La raison en tient à une combinaison de facteurs géologiques et physiques.

Violence inhabituelle

Le premier motif d'explication, le plus évident, relève bien sûr de la puissance du choc. La magnitude du séisme initial a ainsi été évaluée à 7,8. Pire, il s'est produit relativement près de la surface. David Rothery, géoscientifique britannique, a ainsi expliqé auprès de l'agence Reuters que "le tremblement en surface aura été plus sévère qu'un séisme de même magnitude survenu à une plus grande profondeur".

En outre, le séisme initial s'est ensuite répété en de multiples répliques. Dont l'une, au moins, s'est révélée presque aussi violente, avec une magnitude de 7,5.

Un phénomène inhabituel d'après le sismologue Martin Vallée, de l'Institut de physique du globe de Paris.

"Ça arrive très rarement dans ce contexte où le séisme lui-même était déjà très fort. On aurait pu penser que ce séisme par sa magnitude libère toutes les contraintes accumulées dans la terre et libérées par ce séisme", a-t-il fait valoir lundi sur BFMTV.

Si le spécialiste a admis qu'il n'était pas "forcément surprenant" de voir plusieurs séismes de "petite magnitude" s'enchaîner, il a repris: "Mais deux séismes en Turquie de magnitude supérieure à 7,5 à quelques heures d'intervalle, c'est quelque chose auquel personne ne s'attendait".

Harassantes répliques autour d'une faille

Les conséquences de ces secousses additionnelles sont d'autant plus accablantes que, par définition, elles s'acharnent sur un territoire déjà éreinté, et surtout sur un bâti très sinistré.

Jessica Turner, géologue à l'US Geological Survey (Etude géléogique américaine) a pointé auprès du site The Hill: "Chaque réplique vient ébranler des structures déjà instables, causant encore plus de dommages". L'experte a aussi noté que leur effet était rendu plus dévastateur encore par le fait que ces répliques jaillissent de plusieurs directions.

Il y a les séismes, leurs répliques. Et les caractéristiques de l'endroit sur lequel ils pèsent de tout leur poids: en l'occurrence la faille anatolienne. En sismologie et géologie, une "'faille" désigne concrètement le point de rencontre de plusieurs plaques tectoniques. La zone turco-syrienne frappée en confronte trois: les plaques anatolienne, africaine et arabe. Cette pluralité accroît encore la violence du phénomène.

Un sol qui se liquéfie?

On remarque une menace supplémentaire, la liquéfaction des sols. Après un tel choc, ceux-ci peuvent en effet perdre leur compacité.

"Le sol ne devient pas liquide dans les faits, mais il agit comme s'il l'était, et tout peut couler bien plus facilement", a développé la scientifique américaine, Jessica Turner, toujours auprès de The Hill.

En d'autres termes, des habitations et des édifices, éprouvés au préalable, et désormais juchés sur un sol soudainement et dangereusement meuble, risquent de s'effondrer plus aisément.

La densité de population au coeur du drame

Au moment d'établir les origines d'un si terrible décompte, il faut également considérer des données plus humaines. La question, épineuse, se pose à chaque catastrophe de ce type.

Dans un exemple historique célèbre, le philosophe Jean-jacques Rousseau avait ainsi fait découler la létalité du séisme de Lisbonne de 1755 - qui a tué autour de 50.000 personnes selon un bilan qui restera incertain - de l'urbanisme trop serré de la capitale portugaise, contre ses contemporains se contentant de réflexions métaphysiques.

Or, cette partie de l'Anatolie touchée par les séismes est elle-même densément peuplée. Kahramanmaraş, épicentre du tremblement de terre, compte plus d'un million d'habitants. La province de Hatay, plus au sud, connaît une densité de population de 294 habitants au kilomètre carré.

Une météo impitoyable

Enfin, à la conjonction des aléas naturels et de la vulnérabilité humaine, l'amplitude du désastre turco-syrien est encore renforcée par les conditions météorologiques sévissant actuellement sur le plateau. Les températures proches de zéro, voire négatives, les chutes de neige, oppressent les victimes, transissent les rescapés, gênent le travail des secours. Menaçant de fait d'allonger la liste des morts.

"La priorité absolue c'est d'essayer de récupérer les gens qui sont sous les décombres" mais "les conditions de températures qu’il y a sur place ne sont quand même pas très bonnes. On est en plein hiver, il fait quelques degrés voire la nuit il fait -2, -3, -4 degrés. C'est quelque chose qui va être extrêmement compliqué", a souligné sur BFMTV Patrick Coulombel, cofondateur de la fondation Architectes de l'urgence.

La course contre-la-montre qui s'est engagée prend donc déjà une tournure désespérée. Et l'OMS dit s'attendre à voir le bilan humain se rehausser tout au long d'une semaine qui s'ouvre à peine.

Article original publié sur BFMTV.com