Macron voit un lien entre jeux vidéo et émeutes, mais « scientifiquement, c’est faux »

Selon Emmanuel Macron, les émeutiers « vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Un rapprochement souvent utilisé par les politiques, mais sans aucun fondement scientifique, rappelle la psychologue Vanessa Lalo.

JEUX VIDÉO - Jouer aux jeux vidéo peut-il conduire à lancer des émeutes ? C’est ce qu’a paru sous-entendre Emmanuel Macron lors de son allocution à l’issue de la deuxième cellule de crise interministérielle organisée depuis la mort de Nahel, l’adolescent de 17 ans tué par un policier à Nanterre mardi 27 juin.

Au détour d’une phrase, le président de la République s’est étonné : « On a parfois l’impression que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Une remarque qui a fait bondir les « gamers » ainsi que certains membres de la classe politique. Sur Twitter, Sandrine Rousseau a asséné : « Parler des parents ou de jeux vidéo dans cette situation est irresponsable ».

Emmanuel Macron n’est pas le premier leader politique à associer jeux vidéo et actes de violence. En 2019, après la tuerie d’El Paso aux États-Unis, Donald Trump avait dénoncé l’influence des jeux vidéo violents sur les auteurs de fusillades.

Mais pour Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des pratiques numériques que nous avons interviewée ce vendredi, accuser les jeux vidéo est surtout une façon pour les politiques de parler à un électorat conservateur, et de ne pas se confronter aux véritables problèmes.

Le HuffPost. Dans son allocution, Emmanuel Macron a accusé les jeux vidéo d’avoir intoxiqué les émeutiers qui sont dans la rue. Que vous évoquent de tels propos ?

Vanessa Lalo. On est toujours dans cette même confusion que les jeux vidéo pourraient rendre violent, alors qu’on sait bien que, scientifiquement, c’est faux. Il n’y a pas de lien de causalité. C’est une pirouette politique et une manière de ne pas aller pointer les autres enjeux sociétaux et politiques.

Cet argument est toujours utilisé quand on ne sait pas quoi dire et qu’on veut mettre des œillères sur la situation. C’est un média qu’on connaît finalement assez peu, même s’il est massivement joué et que la moyenne d’âge des joueurs est de 39 ans. Très souvent, les personnes qui ne connaissent pas cet univers-là ont tendance à le considérer de manière très péjorative, à penser que c’est un loisir de gamin, un loisir violent, un loisir débile et qu’on ferait mieux de lire des livres. Alors que le jeu vidéo est pluriel, qu’il s’y passe plein de choses.

C’est un manque de connaissances d’un côté, mais c’est aussi un moyen de parler à une certaine partie de l’électorat qui est plus âgée, plus conservatrice, qui est dans une vision plus sécuritaire.

Est-ce que les images de violences des émeutes peuvent rappeler les images de certains jeux vidéo ?

Pas forcément, parce que dans les jeux vidéo, ça ne se passe pas comme ça. Là, on voit bien que c’est de la colère qui s’exprime. Cela n’a rien à voir avec ce qui peut se passer dans un jeu vidéo, où les choses sont construites à travers une narration, où il y a des quêtes et des objectifs. Là, l’objectif est juste de montrer de la colère, donc je ne pense pas qu’on puisse confondre les deux situations.

Dans les études sur le sujet, un lien a-t-il déjà été établi entre jeux vidéo et passages à l’acte violents dans la vraie vie ?

Ce qu’on voit sur des études longitudinales, sur dix ans ou plus, c’est qu’il n’y a pas de lien entre des personnes qui ont pu jouer à des jeux violents jeunes et une violence sur du long terme. On observe même plutôt une violence diminuée par rapport au reste de la population.

C’est intéressant de voir que, non seulement le jeu vidéo ne rend pas violent, mais qu’il peut en plus peut-être canaliser quelque chose. Parce que c’est un défouloir, c’est une manière de vivre quelque chose autrement, sans conséquence et sans risque. C’est quelque chose qui est important à rappeler parce qu’on le voit dans les recherches : c’est sans conséquence et sans risque. Ça n’a pas d’impact dans la réalité.

Ce qu’on peut dire pour se faire l’avocat du diable, c’est que ça peut créer une certaine agressivité sur la notion de compétition, parce qu’on veut gagner. Mais c’est la même chose au Monopoly, au foot, au tennis. Ça crée toujours une sorte d’agressivité liée à la compétition parce qu’on veut tout faire pour gagner contre l’autre, mais ça n’est pas de la violence. Et c’est un effet très transitoire, lié à l’adrénaline, qui va se dissiper au bout de 15 minutes.

Emmanuel Macron n’est pas le premier à désigner les jeux vidéo comme une source de violences, aux États-Unis, après les tueries, on entend souvent cet argument…

C’est quelque chose qui revient tout le temps. Aux États-Unis, c’est plus facile d’aller instrumentaliser les jeux vidéo plutôt que de se rendre compte qu’on vit dans un pays dangereux parce qu’on a des armes en vente libre. Cet argument a été utilisé aussi par Bolsonaro il y a quelques mois, après une tuerie.

En France, aujourd’hui, c’est encore une fois un argument qui est politique et qui vient pseudo-expliquer des violences, alors que l’enjeu n’est absolument pas là. Il y a un manque de prévention, d’accompagnement, un manque de moyens. On n’a plus d’éducateurs, d’éducateurs spécialisés, on n’accompagne pas les mouvements de jeunes dans les quartiers, et on a plus des politiques liées à de la répression, de la punition, de la surveillance. Utiliser le jeu vidéo, c’est très facile pour faire clignoter quelque chose ailleurs et aller pointer une fausse réponse qui va rassurer certaines personnes parce que ça leur parle.

Lire sur le HuffPost

À voir également sur Le HuffPost :

Nahel : Quand Macron appelle « les parents à la responsabilité », il s’adresse aux parents des classes populaires et pas aux autres

Émeutes : Couvre-feu, kermesses... Les mesures des villes avant une nouvelle nuit redoutée

VIDÉO - Quatrième nuit d'émeutes: les pillages se sont multipliés en France, à Marseille, Strasbourg ou encore Lyon