Dans « Un métier sérieux », ces détails très drôles sur la formation des profs n’ont rien d’une blague

Vincent Lacoste, ici dans « Un métier sérieux » de Thomas Lilti, en salles mercredi 13 septembre.
Les Films du Parc - Denis Manin

CINÉMA - Faire preuve d’autorité devant des collégiens, ce n’est pas inné. Mais pour ça, Louise Bourgoin, à l’affiche depuis ce mercredi 13 septembre du film Un métier sérieux, dernier long-métrage de Thomas Lilti (Hippocrate, Première année), pense avoir la solution.

Et c’est un DVD. Envoyé par le rectorat au début de sa carrière de prof d’SVT, il y a une dizaine d’années, il montre un homme en chemisette, bien sûr de lui, énoncer face caméra une série de précieux tips pour « tenir » une classe.

L’un d’eux est très simple, il consiste à poser deux doigts sur la table d’élèves grillés en train de bavarder, tout en continuant son cours. Un autre, lui, suggère de longer régulièrement le tableau pour captiver l’audience. Ce n’est pas un sketch. Et Sandrine (Louise Bourgoin), pleine de bonne volonté, n’y voit que du feu. Elle conseille même à Sophie, jeune vacataire jouée par Lucie Zhang en proie à une classe turbulente, de le lui prêter.

Le DVD de « Un métier sérieux » existe

Ce DVD est surréaliste, mais « ce n’est pas une invention » des scénaristes, nous assure Thomas Lilti, qui a consulté la vraie version dans son travail de documentation. Il a été produit et édité par l’Éducation nationale au début des années 2000.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce du film :

Déjà à l’époque, on s’en est beaucoup moqué. « Tellement, que lorsque j’ai essayé d’acheter les droits pour les besoins du film, cela a été plus difficile que prévu », continue le cinéaste. Le véritable prof derrière ces images s’est montré réfractaire, par crainte de redevenir un sujet de blagues. Thomas Lilti a recréé la scène à l’identique, sans lui.

Dans Un métier sérieux, le réalisateur et médecin français troque le milieu médical pour celui de l’enseignement. Direction un collège de banlieue parisienne, où Benjamin (Vincent Lacoste), un jeune prof de maths remplaçant, se retrouve comme jeté dans le grand bain. Plein d’enthousiasme, il est vite débordé. Comment donner le goût de l’apprentissage quand on est à peine formé ? Comment trouver une façon originale d’enseigner ?

Des profs formés avec YouTube

Sur Internet, peut-être. Alors qu’il peine à faire comprendre à ses élèves le calcul de l’aire d’une sphère, Benjamin déniche pendant l’un de ses trajets en RER la vidéo d’un utilisateur mettant en scène des oranges pour mieux l’expliquer. Un voyageur lui sourit : il connaît bien cette chaîne YouTube.

« Plein d’enseignants s’inspirent des tutos d’Yvan Monka (professeur de mathématiques agrégé dans la cinquantaine dont les vidéos cumulent plusieurs centaines de milliers de vues, ndlr), poursuit Thomas Lilti. Tout simplement parce qu’il n’existe pas d’outils pédagogiques proposés par l’Éducation nationale pour les enseignants qui ont suivi peu de formations, voire pas de formation pour certains contractuels. Ils se retrouvent sans aucun bagage. »

Ces informations, comme les documents qu’il nous montre à l’écran, Thomas Lilti, lui-même fils et petit-fils de profs, les a découverts au cours d’un « long et fastidieux travail de documentation », une manière qu’il a de procéder avant chaque écriture de scénario. Comme un journaliste, nous dit-il, il a écumé enquêtes et reportages, et passé du temps dans les établissements scolaires à la rencontre des enseignants.

« Je suis très attaché à la reconstitution du réel, même si elle est forcément subjective puisque cela reste de la fiction avec des approximations, précise le cinéaste. J’avais envie de donner l’impression d’une plongée réaliste dans un milieu qu’on pense connaître, mais finalement pas tant que ça. »

Une profession « dévalorisée » pour Thomas Lilti

Comme celles précédemment citées, certaines des scènes, à première vue surréalistes et comiques, n’ont rien d’une blague. Elles sont, pour le réalisateur de Médecin de campagne, une manière de cibler des enjeux de l’enseignement actuel. À commencer par les faibles moyens matériels d’une profession que Thomas Lilti estime « dévalorisée dans la société française ».

D’un point de vue des revenus, d’abord, mais pas seulement. « Les profs sont remis en question partout, que ce soit par les politiques publiques, les parents d’élèves et les élèves eux-mêmes. On passe notre temps à dire comment les profs devraient faire leur travail. Ils ont un sentiment plus ou moins réel d’être mal aimés et déconsidérés. C’est très douloureux et ça crée beaucoup de solitude. »

Politique, certes, Un métier sérieux est aussi un film comique, divertissant et touchant par son panel de personnages, des profs passionnés et solidaires, comme ceux joués par François Cluzet, Adèle Exarchopoulos et William Lebghil, qu’on aurait peut-être toutes et tous aimé avoir au collège.

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