Le métaverse devait sauver Facebook, mais Marc Zuckerberg peine à convaincre

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Facebook Mark Zuckerberg

INTERNET - Dans un amphithéâtre numérique, les confettis apparaissent de nulle part pendant que des dizaines de personnes surexcitées et sans membres inférieurs sautent sur les bancs, les yeux rivés sur l’avatar de Mark Zuckerberg. Le dirigeant et fondateur du groupe Meta vient de faire une annonce de taille lors d’une conférence virtuelle ce mardi 11 octobre : les jambes arrivent bientôt dans le metaverse.

Selon Mark Zuckerberg, c’était « l’élément le plus demandé » par les utilisateurs de Horizon Worlds, le monde numérique créé par Meta disponible depuis fin 2021 en Amérique du Nord, en France et en Espagne depuis août dernier. L’enthousiasme du patron de Meta n’a toutefois pas convaincu les internautes qui n’ont pas tardé à se moquer et à s’interroger sur l’utilité des 10 milliards de dollars investis dans le metaverse en 2021.

Ces critiques sont loin d’être isolées. Depuis l’annonce en grande pompe du changement de nom de Facebook en Meta le 28 octobre 2021, le scepticisme envers le metaverse, une sorte de monde parallèle numérique immersif considéré comme le futur de l’Internet et nouveau projet ambitieux de l’entreprise américaine, ne fait que s’accentuer. Et cela se voit dans les résultats financiers du groupe ; il a vu son bénéfice net fondre à 4,4 milliards de dollars au troisième trimestre (-52% sur un an) et son chiffre d’affaires baisser de 4%, à 27,7 milliards de dollars, selon les données présentées ce mercredi 25 octobre par le patron.

Horizon Worlds convainc ni les internautes, ni les employés

Mark Zuckerberg avait déjà fait les frais de ces sarcasmes quelques semaines avant la conférence de mi-octobre. Pour célébrer l’arrivée de Horizon Worlds en France et en Espagne, le patron de Meta avait publié sur les réseaux sociaux une photo de son avatar avec la Tour Eiffel et la Sagrada Familia en arrière-plan. Les commentaires moqueurs sont arrivés en cascade, comparant le design à celui des jeux vidéo du début des années 2000. « Je sais que la photo que j’ai postée plus tôt cette semaine était assez basique - elle a été faite très rapidement pour annoncer le lancement. Les graphiques dans Horizon peuvent être bien meilleurs », a-t-il répondu, vexé, à ses détracteurs quelques jours plus tard.

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Pire, son projet ne semble pas convaincre ses propres équipes. « Beaucoup d’entre nous ne passent pas tellement de temps sur Horizon », a regretté Vishal Shah, le vice-président de Meta chargé du metaverse, dans une note à ses employés mi-septembre consultée par The Verge. Un rapport obtenu par le Wall Street Journal n’est pas plus positif. Alors que la compagnie espérait attirer un demi-million de personnes dans son univers d’ici à la fin de l’année, elle a revu son objectif à la baisse, à 280 000. Et plutôt que de gagner des adeptes, Horizon Worlds en perd : ils étaient 300 000 en février, selon les derniers chiffres publics communiqués par Meta, contre à peine 200 000 aujourd’hui d’après le WSJ.

Meta, dont le nouveau projet de metaverse devait sauver l’entreprise en perte de vitesse face à la concurrence de TikTok, patine, peu aidée par une économie en crise. « Beaucoup d’entreprises cotées au Nasdaq ont reculé. Certaines dévissent plus que d’autres, dont Meta. Cela signifie qu’on leur fait moins confiance que la moyenne à cause des problèmes de concurrence, la perte d’abonnés sur Facebook, les bad buzz, les problèmes sur la sécurité des données », analyse pour le HuffPost Julien Pillot, économiste spécialiste du numérique à l’Inseec Grande École. Dans ce contexte, l’entreprise a annoncé geler ses embauches et a déjà prévenu : le budget 2023 sera « serré ».

Si Meta ne se diversifie pas, « l’entreprise va mourir »

Malgré ces problèmes, le changement de cap chez Facebook/Meta était indispensable, pointe Julien Pillot. « Facebook n’est rien d’autre qu’un réseau social, alors que les autres Gafam comme Amazon se sont diversifiés dans leurs services », rappelle-t-il. « Dans le futur, les relations sociales ne passeront peut-être plus par ordinateur ou téléphone mais par des casques de réalité virtuelle. Le metaverse est donc le seul moyen d’évoluer pour Facebook qui a atteint son pic avec 2 milliards d’utilisateurs. Sinon, l’entreprise va mourir », tranche le professeur.

Force est de constater que pour l’heure, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Outre les moqueries sur les graphiques, le travail à accomplir est encore massif. En effet, pour se rendre dans Horizon Worlds, un casque de réalité virtuel est nécessaire. Il coûte plusieurs centaines d’euros, voire plus de 1 700 euros pour le dernier casque haut de gamme dévoilé par Meta. « Des personnes fortunées peuvent l’acheter pour faire joujou, mais il finit vite dans le placard. Il n’est pas du tout confortable, ce n’est pas pratique pour les lunettes, le maquillage coule, on peut vite avoir mal à la tête en le portant... », liste Fabrice Epelboin, enseignant spécialiste les réseaux sociaux et entrepreneur, également interrogé par le HuffPost. « Ce n’est pas du tout au point, mais Facebook avait besoin d’annoncer quelque chose pour se débarrasser de son image de marque démodée. »

Julien Pillot est plus mesuré : « Comme dans tous les projets en phase pré-alpha, les débuts sont toujours ringards, mais il faut commencer quelque part », recadre-t-il, citant l’exemple du premier iPhone « qui avait un capteur de photo de mauvaise qualité et une batterie qui ne tenait pas la charge ».

Le metaverse réservé aux professionnels ?

Et si le timing de l’annonce du changement de nom de l’entreprise interroge, lui comprend la stratégie. « Elle avait tout intérêt à montrer qu’elle était encore innovante, qu’elle préparait les succès de demain pour dire aux investisseurs : ’’Hello, c’est toujours chez nous que ça se passe’’. » D’autant que Mark Zuckerberg s’intéresse en réalité à cette technologie depuis déjà plusieurs années, Facebook ayant racheté dès 2014 le concepteur de casque VR Oculus (devenu Meta Quest). « Même si certains parlent de précipitation, la perspective était déjà là », soutient Julien Pillot.

Le professeur d’économie reste donc optimiste. « Ce n’est pas en un, deux, ou trois ans qu’il y aura des résultats. La voie choisie par Meta est périlleuse et nécessite des investissements sur le très long terme... sans avoir l’absolue certitude que ça portera ses fruits », reconnaît-il. Fabrice Epelboin doute plus franchement. « Le casque Oculus a déjà deux versions, mais il en faudra au moins sept pour qu’on le garde plus d’une demi-heure », raille-t-il. Pour l’entrepreneur, ce ne sont plus « les milliards de dollars » qui comptent. Meta doit désormais trouver le « créateur qui imagine un monde virtuel où les gens se retrouvent, afin de dépasser l’étape balbutiante dans laquelle on se trouve. » Sans avoir l’assurance de le trouver un jour.

Les deux spécialistes des technologies s’accordent néanmoins pour mettre fin à l’utopie : le metaverse le ressemblera jamais à celui décrit dans le film de Steven Spielberg Ready Player One et pourrait même ne jamais être accessible au grand public. En fait, le metaverse devrait surtout servir aux industriels ou aux professionnels de santé pour faire des manipulations dans un environnement immersif, voire à l’entertainment. Mais avant d’aller aussi loin, encore faut-il avoir des jambes.

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