Loi immigration : les Français sont-il réellement satisfaits du texte, comme l'indique un sondage ?

Un sondage réalisé juste après la publication de la loi affirme que 70% des Français en sont satisfaits. Ce qui interroge sur leur réelle connaissance du texte.

Publié moins de 24h après le vote de la loi immigration et régulièrement repris par la majorité, le sondage affirmant que les Français sont satisfaits du texte et remis en question. (Photo Ludovic MARIN / AFP)
Publié moins de 24h après le vote de la loi immigration et régulièrement repris par la majorité, le sondage affirmant que les Français sont satisfaits du texte et remis en question. (Photo Ludovic MARIN / AFP)

"Loi immigration : 70% des Français interrogés sont satisfaits du texte, selon un sondage Elabe". Mercredi 20 décembre en fin d'après-midi, BFMTV publiait un sondage Elabe selon lequel 70% des Français interrogés sont satisfaits de la loi immigration.

Parmi les autres enseignements du sondage mis en avant par la chaîne d'informations en continu, le fait que pour les Français, la loi qui permet à "la France de reprendre le contrôle de sa politique migratoire" (68%), "protège les Français" (67%) et qui "va mettre un terme à l’appel d’air migratoire" (58%). Pour les deux tiers (65%), il s’agit "d’une victoire idéologique du RN".

Un accord sur le texte à 15h42, un sondage dès le lendemain

Le sondage, indique Elabe, a été réalisé auprès d'un échantillon représentatif de 1003 personnes, et réalisé "intégralement après le vote du projet de loi immigration au Parlement mardi soir". Un texte sur lequel députés et sénateurs trouvent un accord la veille à 15h42 en commission mixte paritaire et adopté le même jour à 23h22 à l'Assemblée nationale.

Un timing serré entre la version définitive du texte, son vote à l'Assemblée et la publication du sondage qui interroge rapidement les observateurs, y compris les députés de l'opposition, qui se demandent si les 1003 sondés savent réellement ce que contient le texte pour pouvoir donner leur avis.

"Combien de personnes parmi les sondés l'ont lu ? À mon avis aucun"

Un timing qui interroge sur l'opinion décrite par le sondage qui a poussé Yann Bisiou, juriste et maître de conférences en droit privé, à déposer un recours qu'il juge "symbolique" auprès de la commission des sondages.

"La question est posée le 20 décembre alors que le texte définitif n'a même pas été publié sur le site de l'Assemblée. Seul document disponible à cet instant, un PDF provisoire sur le site. Combien de personnes parmi les sondés l'ont téléchargé puis lu ? À mon avis aucun. Les sondés donnent donc un avis sur quelque chose qu'il n'ont pas lu, ce n'est pas crédible", tance Yann Bisiou, qui a lu le texte en partie. "J'ai beau être juriste, c'est difficile à lire. Ça renvoie à des articles qui ont été modifiés, qu'il faut donc aller lire pour comprendre le texte", détaille Yann Bisiou.

"Le rôle de ce sondage est loin d'être anodin, il y a un vrai enjeu politique, d'orientation de l'opinion"

Un autre sondage, réalisé par Odoxa pour Le Figaro, révèle que 26% des personnes interrogées "ne savent pas ce que contient la loi immigration", illustrant ainsi le problème mis en avant par plusieurs observateurs.

"Le sondage Elabe a un problème de méthodologie, puisqu'il n'a pas été demandé aux sondés s'ils connaissaient le texte sur lequel ils donnent leur avis. Pour moi le sondage est mensonger car il ne reflète pas une réalité. C'est d'autant plus problématique que c'est un sondage pris comme argument par les défenseurs du texte pour dire 'regardez 70% des Français sont d'accord avec ce que l'on fait'. Le rôle de ce sondage est loin d'être anodin, il y a un vrai enjeu derrière, politique, d'orientation de l'opinion", dénonce Yann Bisiou.

La question de l'immigration "fabriquée dans l'espace public par des responsables politiques qui travaillent avec des sondeurs"

Une différence entre ce que disent les sondages et ce que ressentent les Français également mis en avant par Sylvain Bourmeau, journaliste et directeur du journal AOC, dans l'émission C ce soir du 20 décembre ; "Je ne crois pas que cette question de l'immigration monte, je crois qu'elle descend, je crois qu'elle est fabriquée dans l'espace public par des responsables politiques qui travaillent avec des sondeurs", affirme-t-il, illustrant son propos par le cas de Jérôme Sainte-Marie, spécialiste de l'opinion, passé par Louis Harris et BVA, et qui conseille désormais le Rassemblement national.

Au contraire, poursuit le journaliste invité dans C ce soir, les enquêtes scientifiques de l'Insee ou de l'Ined montrent une baisse du racisme en France, et que l'immigration est loin d'être une préoccupation des Français, contrairement à ce qu'affirment plusieurs responsables politiques, s'appuyant sur des sondages.

"Donc quand on dit qu'il n'y a pas d'intégration, c'est totalement faux"

L'enquête Cevipof "Fractures françaises" montrait que l'affirmation selon laquelle il y a trop d'étrangers en France ne cesse de décroître, passant de 70% en 2013 à 66% aujourd'hui.

"Il y une grande différence entre les sondages sur 800 personnes, Odoxa qui puise dans des viviers de volontaires tout faits qui nous donne des chiffres très important de rejet de l'immigration, 60 à 70% trouvent qu'il y a trop d'étrangers... Ces chiffres sont à peu près les mêmes partout en Europe (Italie, Allemagne, Grande-Bretagne) quelle que soit l'importance de l'immigration dans le pays. Quand vous regardez comment se distribuent ces opinions selon les affiliations, 90% des électeurs du RN et 30% dans les rangs de la gauche trouvent qu'il y a trop d'étrangers.... Ce ne sont donc pas des constats mais des jugements politiques", expliquait sur le plateau de LCP le sociologue François Héran professeur au Collège de France sur la Chaire "Migrations et société".

Pour prendre le contrepied des sondages montrant que 53% des sondés considèrent que les immigrés ne font pas assez d'effort pour s'intégrer, (enquête Ipsos 2022), le sociologue met en avant un chiffre : "31% des Français sont liés a l'immigration sur trois générations et seuls 5% ont leur quatre grands-parents immigrés, ce qui veut dire qu'il y a des unions mixtes considérables au fil des générations et donc que les populations ne se séparent pas mais se rapprochent. Donc quand on dit qu'il n'y a pas d'intégration, c'est totalement faux, il y a une tendance structurelle au rapprochement".

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