Ligne de front quasi figée et grignotage: après 6 mois de conflit, la guerre piétine en Ukraine

Ligne de front quasi figée et grignotage: après 6 mois de conflit, la guerre piétine en Ukraine

24 février 2022 - 24 août 2022. L'invasion de l'Ukraine par la Russie atteint ses six mois ce mercredi. Et si l'offensive initiale du Kremlin il y a 24 semaines a stupéfié Kiev et sidéré le monde entier, aucun des deux camps ne progresse plus. Comme si le conflit s'était figé le long d'une ligne de front enlisée dans l'est du pays, sur le mode d'une guerre de positions faisant la part belle à l'artillerie.

Muni des dernières données du conflit et avec l'aide du général Jérôme Pellistrandi, BFMTV.com fait le point sur cette situation qui semble cadenassée au plan militaire, tandis que le redoutable hiver slave se profile déjà et que les Ukrainiens craignent un prochain coup de force de leurs ennemis.

82.000 km2 puis... (presque) plus rien

Certes, depuis le 24 février dernier, les Russes ont gagné 82.000 kilomètres carrés du sol ukrainien. Sauf que pour l'essentiel, ces gains territoriaux ont été effectués au cours des toutes premières semaines du conflit. Depuis le début de l'été, la Russie n'a d'ailleurs engrangé que quelques centaines de kilomètres carrés supplémentaires.

Ramenée à un vol d'oiseau, l'avancée russe n'a donc été que de "25 kilomètres en cinq mois environ" selon l'estimation en plateau de Patrick Sauce, notre éditorialiste pour les questions internationales.

Et si on la reporte sur une carte, l'invasion russe n'aura permis pour le moment à Moscou de ne s'emparer que de deux minces bandes orientales, limitrophes de ses satellites de Crimée et des républiques séparatistes, prenant toutefois les villes d'Izium, de Kherson et de Marioupol. On est loin des objectifs initiaux d'une guerre-éclair et d'une armée russe paradant dans les rues de Kiev.

Un grignotage mais pas de gel

C'est bien plutôt l'impression de stagnation qui l'emporte, voire d'un front gelé. "Je ne dirais pas 'gelé'", nous corrige aussitôt le général Jérôme Pellistrandi, notre consultant pour les questions militaires: "On pourrait parler d'un grignotage qui traduit la difficulté russe d'obtenir un résultat définitif sur les Ukrainiens". "C'est un combat d'usure, terrible pour les assaillants comme pour les défenseurs", prolonge-t-il.

D'autant que si blindés et fantassins ne progressent plus ou si peu, les canons, eux, continuent à tonner. "La ligne de front reste sensiblement la même depuis le début de l'été mais les bombardements se poursuivent", a ainsi ajouté Patrick Sauce dans nos studios.

Les leçons de l'Histoire

Le département de la Défense américain vient d'ailleurs de jauger à 60.000 le nombre d'obus tirés chaque jour par les Russes. Volodymyr Zelensky a pour sa part compté 3500 missiles de croisière russes projetés contre les siens en une demi-année.

Une pluviométrie infernale qui inspire un parallèle historique à Jérôme Pellistrandi: "À la différence qu'aujourd'hui, on a des drones, des GPS et donc de l'information, la situation présente est analogue à celle qu'on a connue en France au printemps 1915. Les offensives ayant échoué, le front s'enterre d'où le recours massif à l'artillerie".

L'officier enrichit l'analogie d'un dernier détail: "L'enterrement du front en 1915 avait poussé les Français à passer du canon de 75mm - qui tirait à vue ou presque - à un canon plus gros, de longue portée, de calibre 155mm. C'est toujours le calibre des canons CAESAR qu'on a envoyés aux Ukrainiens et des canons que les Américains leur fournissent".

L'aide occidentale épuisée

Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, la piétinement de la guerre russo-ukrainienne va-t-il mécaniquement conduire l'effort de guerre de Kiev à reposer toujours davantage sur le soutien balistique des occidentaux? Dans un message adressé mercredi à la Plateforme Crimée convoquée par Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron a d'ailleurs dit sa volonté d'inscrire le soutien de la France et de ses partenaires à l'Ukraine "dans la durée".

"Le problème, c'est que les stocks européens ont fondu. Et il faut 18 mois pour fabriquer un canon CAESAR! Quant aux munitions de gros calibre, il faut aussi du temps pour les fabriquer, sans compter que les usines en Ukraine peuvent être ciblées par les Russes", douche le général Pellistrandi.

La soupe chaude de la babouchka

Du temps, donc. Voilà bien une arme cruciale pour chacun des deux belligérants et dont ils vont venir à manquer tous deux. Car déjà s'approchent les mauvais jours de l'automne et de l'hiver russes - ou ici slaves - saison jusqu'ici fatale à tous les envahisseurs dans la région - avec leur cortège de précipitation, de boue. Et le froid.

La guerre moderne, malgré toute sa technologie, n'échappe pas à ces contingences météos, au contraire. "Les outils numériques et les moteurs thermiques souffrent avec le froid", exemplifie Jérôme Pellistrandi qui remarque que la situation pourrait cependant profiter aux Ukrainiens pour une toute autre raison, plus prosaïque: "Les Ukrainiens pourront toujours sur la soupe chaude, servie par la babouchka ("grand-mère", NDLR) du coin, pas les Russes".

Contre la montre

D'où une course contre la montre engagée par le Kremlin et la crainte côté ukrainien que les Russes tentent l'effroyable pour passer en force avant la fin de l'été. Volodymyr Zelensky s'est d'ailleurs fait l'interprète de cette peur samedi en évoquant la possibilité de voir la Russie lancer une action "particulièrement dégueulasse" à compter de ce mercredi.

Car celui-ci a un double poids symbolique. En plus de marquer les six mois du conflit, il célèbre l'indépendance ukrainienne. "Le département d'Etat américain craint que la Russie profite de ce 24 août pour relancer la machine. Ce serait l'occasion de montrer que ces 31 ans d'indépendance sont bel et bien terminés", a expliqué notre journaliste Patrick Sauce ce mardi sur notre antenne.

Le conflit stagne mais il est toujours aussi meurtrier

L'heure n'est de toutes façons pas à la fête. Car la situation militaire après six mois de guerre impose aussi de dresser le bilan humain. Lundi, le général Valery Zaloujny, commandant en chef de l'armée ukrainienne, a mesuré à 9000 le nombre de soldats ukrainiens tués.

Si les Russes - qui selon le site spécialisé Oryx ont déjà laissé 5321 véhicules dont 970 tanks dans la bataille - taisent l'ampleur de leurs pertes, les Américains, cités par franceinfo mardi, ont évoqué 80.000 soldats russes mis hors de combat. "C'est-à-dire 20.000 morts environ selon un ratio de trois blessés pour un soldat tué", quantifie le général Jérôme Pellistrandi.

La guerre n'avance peut-être plus, mais elle n'en a pas fini de dévorer les combattants.

Article original publié sur BFMTV.com