Quand l'IA imite des chanteurs à la perfection (et bouleverse l'industrie musicale)

TECHNOLOGIE - C’est sans aucun doute le début d’une révolution. Au cours des derniers mois, l’industrie de la musique a soudainement vu émerger une multitude de morceaux d’un genre nouveau et parfois franchement perturbant : des titres créés par des intelligences artificielles, des IA. Des voix de synthèse souvent extrêmement difficiles à différencier des voix réelles des artistes, comme vous pouvez l’entendre dans notre vidéo en tête d’article.

Et pourtant, la conception de ces morceaux ne relève pas nécessairement d’une prouesse technique ou d’un coup de génie musical. En quelques clics, de nombreux logiciels permettent désormais, lorsqu’on les nourrit à partir de discours ou de chansons disponibles sur Internet, de synthétiser et de cloner des voix pour leur faire dire ou chanter ce que l’on souhaite. Celles d’anonymes, mais aussi -et c’est là que naissent de nombreuses interrogations- de célébrités.

Fin janvier, le média américain The Verge, spécialisé dans les nouvelles technologies, écrivait sur le sujet. Dans l’article, on retrouvait notamment un audio de 10 secondes d’un faux Joe Biden qui déclarait, avec un réalisme confondant : « Bonjour, ceci est un clone vocal du président Joe Biden créé grâce à une IA. Ce clone a été entraîné à partir de discours de Joe Biden téléchargés sur YouTube. Et il n’a fallu que quelques secondes pour le mettre au point. »

Mots doux de Taylor Swift et faux duo rap

Et d’évoquer dans la foulée le détournement par les utilisateurs du forum 4Chan de certains logiciels, en particulier celui mis au point par la société ElevenLabs. Une IA vocale particulièrement puissante grâce à laquelle ces internautes avaient fait lire Mein Kampf à une fausse Emma Watson. Ce qui avait poussé l’entreprise à prendre des mesures drastiques et à instaurer des garde-fous : détection des propos injurieux, impossibilité de cloner des voix avec la version gratuite du logiciel…

Pourtant, tout n’est pas forcément problématique : d’autres utilisateurs de ces technologies sont par exemple des fans de Taylor Swift qui font dire des mots doux et des vœux d’anniversaire à un clone vocal de leur chanteuse préférée.

Mais cette technologie suscite forcément des questions, notamment lorsque les créations qu’elle engendre deviennent des phénomènes. C’est ainsi que Le HuffPost vous racontait en début de semaine l’histoire du faux duo entre Drake et The Weeknd. Un morceau intitulé Heart On My Sleeve, créé par une IA donc, mais qui s’est retrouvé à collectionner les millions d’écoutes sur les plateformes de streaming, au point que ces dernières ont préféré retirer le titre de leur catalogue.

Car derrière ces créations d’un genre nouveau, nombreuses sont les zones d’ombre. Tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, des interrogations émergent quant à savoir qui possède les droits de tels morceaux. L’éditeur du logiciel de synthèse vocale ? Le créateur de contenu qui a pris le temps de nourrir l’IA, d’écrire le texte de la chanson et d’ajuster les audios générés à la musique ? Les chanteurs dont la voix est ainsi clonée ? Leur maison de disque ?

Un « coup fatal » porté aux artistes ?

Alors que les législateurs de chaque pays devront urgemment se poser de telles questions (et surtout y apporter des réponses), des artistes s’inquiètent en tout cas d’ores et déjà de voir ce dont sont capables les IA. Et de constater que l’incertitude sur la provenance des morceaux n’empêche pas leur succès, ces derniers trônant fièrement au sommet des tendances sur TikTok ou YouTube.

Concerné au premier chef, Drake a notamment relayé une reprise générée par IA - tout en fustigeant sur les réseaux sociaux un « coup fatal » qui lui serait porté par l’intelligence artificielle. De la même manière, Universal Music Group, qui pèse près d’un tiers du marché mondial de la musique a demandé à la plateforme de streaming Spotify de retirer tous les morceaux créés par ces logiciels et utilisant la voix de ses artistes.

Sauf qu’en attendant, la technologie, elle, ne cesse de progresser. C’est ainsi que des fans d’Oasis, lassés d’attendre un hypothétique nouvel album des frères Gallagher, ont préféré s’emparer eux-mêmes du problème et le résoudre en créant un album entier du groupe grâce à une intelligence artificielle. Et cela sans même évoquer les multiples duos qui surgissent ces jours-ci sur YouTube entre les rappeurs XXXTentacion et Juice WRLD, tous deux décédés.

Surtout, au vu de l’évolution d’autres secteurs, il est légitime de s’interroger sur l’usage que pourrait faire l’industrie de la musique avec de tels outils. Dans le jeu vidéo et l’audiovisuel par exemple, une controverse monte depuis plusieurs mois à propos de l’IA. Sans le savoir, de nombreux comédiens ont en effet réalisé qu’ils avaient été abusés par des producteurs et qu’ils leur avaient cédé les droits… sur leur propre voix. Ce qui pourrait donc permettre aux sociétés de production de réutiliser leur outil de travail à loisir, et pour l’éternité. De quoi, on l’imagine aisément, faire réfléchir les Drake, Kanye West et autres Taylor Swift sur cette nouvelle technologie, déjà largement entrée dans les usages.

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