Les Oscars 1968 : la cérémonie la plus affectée par le racisme ?

La controverse #OscarsSoWhite est sur toutes les lèvres aujourd'hui et sert de triste rappel à la cérémonie des Oscars de 1968, diffusée six jours après la mort de Martin Luther King. On retrouvait alors parmi les nominés des films évoquant le racisme comme Dans la chaleur de la nuit et Devine qui vient dîner ?.

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En 1968, les Oscars ont finalement reconnu la tension qui émanait du Santa Monica Civic Auditorium toute la soirée, lorsque le meilleur acteur a été récompensé en fin de soirée.

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Rod Steiger (ci-dessus), qui a remporté la récompense pour son interprétation d'un policier intolérant qui n'a pas d'autres choix que de travailler avec un détective noir afin de résoudre un crime dans le drame Dans la chaleur de la nuit, a terminé son vibrant discours en employant des termes généralement associés au Mouvement des droits civiques.

« J'aimerais remercier Monsieur Sydney Poitier pour son amitié » a-t-il dit, « car elle m'a permis de mieux comprendre la nature des préjugés et d'offrir une meilleure performance. Merci et we shall overcome ».

À l'époque, le monde semblait dangereux. Martin Luther King avait été abattu le 4 avril et des tensions commençaient à monter à Paris, à l'origine d'émeutes un mois plus tard.

Et les Oscars dans tout ça ? La situation était un peu ambiguë. Les Oscars ne sont jamais vraiment considérés comme avant-gardistes, pourtant de nombreux nominés en 1968 semblaient refléter les changements populaires et politiques qui se répandaient en Amérique.

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Bonnie et Clyde, l'hommage sanglant de Warren Betty à la Nouvelle Vague, était nominé dans la catégorie Meilleur film, tout comme Le Lauréat et Dans la chaleur de la nuit, avec Sidney Poitier. Même le nominé un peu vieux jeu, la comédie Devine qui vient dîner ? (ci-dessus) dans laquelle jouaient les piliers du cinéma Katherine Hepburn et Spencer Tracy, évoquait une relation interraciale, également avec Sydney Poitier. La seule anomalie était L'Extravagant Docteur Dolittle, un flop à gros budget risible qui avait étonnamment réussi à finir dans la liste.

Un courant contestataire circulait clairement dans la ville. Les cinéastes comme Mike Nichols et Warren Beatty défiait les traditions des studios, pointant du doigt le côté vieux jeu et dépassé de leurs aînés. Dustin Hoffman était un acteur de théâtre dont le physique était considéré comme trop étrange pour tenir un rôle titre, jusqu'à ce qu'il épate tout le monde en interprétant Benjamin Braddock, transformant pour toujours l'idée traditionnelle d'un protagoniste au cinéma.

Les nominations elles-mêmes étaient également au cœur de la controverse raciale. Sydney Poitier apparaissait dans deux des films nominés dans la catégorie Meilleur film mais a été ignoré au profit de Spencer Tracy et Rod Steiger.

L'événement lui-même a failli ne pas avoir lieu à l'occasion de la 40ème cérémonie des Oscars. L'émission a été décalée de deux jours pour la première fois de son histoire afin qu'elle se déroule après les funérailles du leader emblématique. En effet, les organisateurs ont réalisé que de nombreuses personnes risqueraient de ne pas participer par respect pour le Dr King.

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Les nominés avaient également une fâcheuse tendance à ne pas se rendre à la cérémonie, ce que le président de l'académie Gregory Peck tentait de rectifier au mieux. Au final, 18 des vingt acteurs nominés ont assisté à la cérémonie. Seuls Katherine Hepburn, qui était en Europe, et Spencer Tracy, décédé, ne sont pas venus.

En 2016, l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences a promis d'adresser le problème de la diversité, mais il est important de souligner qu'Hollywood a naïvement pensé avoir réglé le problème de la diversité dès 1968.

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Poitier n'a pas été nominé mais son travail a été reconnu dans les deux films dans lesquels il est apparu. L'actrice noire Beah Richards était nominée dans la catégorie de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Devine qui vient dîner ? et Sammy Davis Jr. (ci-dessus) a chanté Talk to the Animals de L'Extravagant Docteur Dolittle ce soir-là. Lorsque Dans la chaleur de la nuit a remporté le prix du Meilleur film, l'industrie a considéré cela comme une nouvelle victoire dans la communauté créative.

« Il était tout simplement trop facile de manipuler les gens avec des problèmes qui attiraient alors leur attention », a expliqué Stirling Silliphant, le scénariste de Dans la chaleur de la nuit.

« Le timing y était pour beaucoup » a expliqué Norman Jewison, le réalisateur du film, à l'auteur Mark Harris. « Nous sommes arrivés à un moment où les gens portaient une grande importance au problème du racisme ».

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Gregory Peck était une icône adorée qui faisait visiblement de son mieux afin d'améliorer la situation, mais même son discours au début de la soirée semblait plutôt banal.

« La société a toujours été reflétée dans l'art et on peut constater toute l'influence du Docteur King sur la société dans laquelle nous vivons en observant la liste des cinq nominés dans la catégorie du Meilleur film, dont deux évoquent le problème du racisme », a-t-il annoncé.

Bien entendu, cela n'était pas tout à fait vrai. D'après Bob Hope (ci-dessous), très vieux jeu, la cérémonie n'aurait même pas dû être décalée. « Ça ne m'a pas affecté », a-t-il expliqué dans son monologue d'ouverture mais les nominés en ont souffert. Ça n'est pas agréable de passer deux jours accroupi…».

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Le discours conservateur de B. Hope a fait un flop et la plupart des gagnants semblaient ne pas vraiment savoir comment réagir une fois sur scène. Cette année, l'académie promet de s'assurer que les discours de remerciements soient vraiment concis, ils peuvent donc s'inspirer de 1968.

Le directeur de la photographie Burnett Guffey a remporté le prix pour Bonnie et Clyde et a dit : « Merci à tous ceux qui m'ont aidé, c'est tout ce que je peux dire ».

Alfred Hitchcock qui recevait son premier prix a été encore plus concis. « Merci », a-t-il dit avant de s'éloigner et de revenir en ajoutant « beaucoup ».

Des décennies plus tard, les commentateurs culturels continuent de considérer la cérémonie de 1968 comme un point tournant crucial, la sensibilité avant-gardiste inspirée de l'Europe des nombreux nominés aurait en effet lancé la révolution menant à l'âge d'or des années 70, grâce à des réalisateurs comme Scorsese, Coppola…

Il est important de remarquer que de nombreux problèmes à Hollywood ont très peu évolué en l'espace de 48 ans. Deux mois avant la cérémonie en février 1968, la Commission Kerner a publié un rapport selon lequel le secteur du film et de la télévision devait adresser le problème du racisme afin de mieux représenter les personnes de couleur à l'écran et derrière la camera.

La cérémonie 2016 approche à grands pas et le hashtag #OscarsSoWhite permet d'attirer l'attention sur le problème de la diversité. On ne sait pas encore comment cela va affecter la soirée et si quelqu'un va adresser le problème aussi sérieusement que Rod Steiger en 1968.

Crédits des images : Rex_Shutterstock, Getty

Ben Falk