L'arrêté interdisant de manifester lors du déplacement de Borne est-il illégal, comme le dit Mélenchon?

Buzançais, Châteauroux et Valençay privées de manifestation. La préfecture de l'Indre a pris un arrêté visant à interdire toute manifestation ou attroupement dans un périmètre du centre-ville de ces trois communes alors que la Première ministre Élisabeth Borne y effectue ce vendredi un déplacement.

A Valençay, par exemple, premier point d'étape de la visite ministérielle, cette interdiction s'étend de 7h30 à 11h30 sur la D956 et la D22A qui borde le centre France Service dans lequel s'est rendu dès 9h30 Élisabeth Borne. A Buzançay, toutes les rues aux alentours de la mairie et du centre France service sont elles aussi interdites de rassemblement. Idem pour Châteauroux où la locataire de Matignon doit se rendre dans les locaux de France Bleu Berry.

"Risque de troubles à l'ordre public"

La préfecture justifie son arrêté, publié vendredi matin, par des "risques de troubles à l'ordre public" en raison du "mouvement de contestation contre la réforme des retraites marqué par une violence croissante (...), des "manifestants d'autres départements susceptibles d'intégrer les attroupements (...)", de la "multitude de cibles potentielles à protéger qui rendront difficiles les manœuvres des forces de l'ordre (...)" et du fait "qu'aucune manifestation revendicative n'a été déclarée".

De nombreux manifestants, munis de casseroles, se sont rassemblés à l'extérieur du périmètre d'interdiction, notamment à Châteauroux.

"Plus ça va, plus nos droits sont bafoués, déplore l'un des participants rencontrés par BFMTV. Nous sommes bloqués de partout, je ne pensais pas qu'il y aurait autant de gendarmes."

Un arrêté "contraire au droit"

Ce vendredi matin, la Défenseure des droits Claire Hédon avait rappelé sur BFMTV et RMC que "le principe, c'est la liberté de manifester". "Le préfet de l'Indre interdit toutes les manifestations pour la venue d’Élisabeth Borne. Suspendre les libertés constitutionnelles est illégal hors de l'article 16. On en est là?", s'insurge Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise.

Interrogée sur cette réaction, Elisabeth Borne évoque une "caricature". "Il n'y a pas d'interdiction de manifester, et du reste il y a des gens qui manifestent. Le préfet a pris un arrêté pour empêcher de circuler dans une rue à Châteauroux, je ne pense pas que ça soit une remise en cause des libertés dans notre pays", assure la Première ministre.

Pour Paul Cassia, professeur de droit public, "interdire une manifestation qui n'est pas projetée est contraire à la loi". L'expert se réfère à l'article L211-4 du Code de sécurité intérieure qui précise que "si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu."

Une date de publication remise en cause

"Le problème de ces arrêtés, c'est qu'ils sont toujours publiés au dernier moment, ce qui les rend inattaquables", poursuit Paul Cassia. "C'est un peu comme si vous vous garez dans une rue, vous êtes verbalisé et le lendemain, un arrêté est publié prévoyant qu'il était interdit de stationner", développe Jean-Baptiste Soufron, avocat, qui déplore que ces arrêtés sont pris "pendant ou après les manifestations alors que des mesures de police ont déjà été prises". Et d'insister: "on coupe court à toute sécurité juridique" pour les manifestants.

"Tout peut s'entendre mais il faut laisser aux gens l'opportunité et le droit de contester un arrêté", martèle-t-il.

Cette semaine, le tribunal administratif de Paris a d'ailleurs donné raison à l'association ADELICO fondée par des constitutionnalistes et des juristes et à la Ligue des droits de l'Homme qui avaient déposé un recours contre les arrêtés pris par la Préfecture de police de Paris dans le cadre de la contestation contre la réforme des retraites.

"Il est ordonné au préfet de police de publier les arrêtés portant mesures de police applicables à Paris à l’occasion d’appels à manifester sur la voie publique sur le site internet de la préfecture dans un délai permettant un accès utile au juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative", écrivent les juges administratifs parisiens.

Pour exemple, l'association ADELICO a déposé jeudi un recours, en référé-liberté, auprès du tribunal administratif de Montpellier pour contester l'arrêté pris pour l'interdiction des "dispositifs sonores portatifs" à l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron dans l'Hérault. Les juges ont estimé que ce référé arrivait trop tard.

La publication d'un arrêté peu de temps avant sa mise en application ne permet pas en effet qu'il soit contesté ou que la "nécessité" de cette interdiction, et notamment "si son périmètre n'est pas disproportionné dans son étendue géographique" ne soit vérifiée. Maître Jean-Baptiste Soufron évoque une manière de "piéger les gens" et des "dérives dangereuses".

Article original publié sur BFMTV.com