L'arbitrage en Ligue 1: "Il y a trop de copinage", la grande inquiétude (et colère) des clubs avant le sprint final

"Le championnat est faussé." Lorsqu’il décroche son téléphone pour répondre à notre sollicitation, ce président de club qui joue l’Europe n’y va pas par quatre chemins. Beaucoup d’autres partagent ce sentiment où se mêlent incompréhension, injustice, colère et impuissance.

"Ce n’est pas en quatre matchs qu’on va changer quoique ce soit, admet un autre président qui espère aussi se qualifier pour l’Europe. On va finir la saison. On verra ce qu’il se passe sur les derniers matchs. Mais c’est qui est sûr c’est qu’on ne peut pas continuer comme ça."

"Comment voulez-vous qu’il le déjuge, il lui doit sa carrière!"

Depuis le licenciement de Stéphane Lannoy dont l’arrivée au poste de Directeur Technique de l’Arbitrage en charge du secteur pro était soutenue par les pros, les présidents de club sont vent debout contre l’organisation de l’arbitrage, avec en ligne de mire l’influence néfaste, selon eux, de la Commission Fédérale de l’Arbitrage.

"Vous allez me dire que ce n’est pas à cause de cette organisation que les arbitres sont nuls, mais si!", explose un patron de club de milieu de tableau qui attire notre attention sur une situation qu’il juge aberrante. Lors du match Lyon-Nice, raté par Clément Turpin, l’arbitre VAR était Cyril Gringore, récent retraité des terrains mais qui a intégré la CFA et le pool d’arbitres VAR. Gringore a fait toute sa carrière avec Turpin.

"Ils sont cul et chemise. Ils se sont plus vus tous les deux qu’avec leurs femmes dans leur vie", confie un proche du duo. Lors du match, la VAR n’a à aucun moment déjugé la position du Turpin sur plusieurs actions pourtant litigieuses. "Comment voulez-vous qu’il le déjuge? Il doit sa carrière à Turpin. Il y a trop de copinage. Comment voulez-vous que cela fonctionne quand un arbitre central se fait déjuger par son VAR et que la semaine suivante les rôles sont inversés. Ils sont humains. Il faut compartimenter: d’un côté les arbitres centraux et de l’autre les arbitres VAR", propose ce président en colère.

"Arbitre d’élite, un ascenseur social extraordinaire"

"On sait que la CFA protège les meilleurs. Il y a des intouchables qui ne peuvent pas, qui ne doivent pas être remis en cause par la VAR, complète un autre président, très préoccupé pour les derniers matchs à jouer. Je suis d’abord inquiet pour notre football. Et évidemment ensuite pour mon club. La politique fait de la merde."

La volonté des pros, exprimée à plusieurs reprises, est que la Direction Technique de l’Arbitrage (DTA) soit indépendante de la CFA qui restera l’organe politique de référence de l’arbitrage, comme le veut le règlement de la FIFA. Eric Borghini, patron de la CFA et principal accusé des présidents de clubs, explique que la DTA peut avoir une autonomie mais pas d’indépendance, au risque d’exposer les arbitres à d’autres pressions des clubs.

Pour ce président dont l’enjeu se situe plus en bas de tableau, les arbitres sont plutôt tenus et sous pression de la CFA. "Pour certains, devenir arbitre d’élite, c’est un ascenseur social extraordinaire. Certains touchent plus de 120.000€ par an. Cela change une vie. Et évidemment qu’ils ne veulent pas risquer d’être rétrogradés, donc ils sont aux ordres de ceux qui ont le pouvoir, la CFA."

"On n’a jamais vu autant d’erreur d’arbitrage dans un même match"

Dans une récente interview accordée à Ouest-France, Eric Borghini déclare: "Il n’y a pas de crise de l’arbitrage français mais une crise, que je qualifierais d’hystérie des présidents de clubs de Ligue 1." "C’est surréaliste de dire ça", s’offusque un président. Contactée, la CFA admet qu’il y a d’énormes erreurs d’arbitres ces derniers temps.

Mathieu Vernice, au sifflet de Lyon-Brest, a notamment concentré les critiques après une prestation catastrophique. "On n’a jamais vu autant d’erreurs d’arbitrage dans un même match de L1", reconnaît un membre de la CFA qui estime que d’autres arbitres sont aussi en-dessous de leur niveau.

Ce mercredi, lors du match Marseille-Nice, Jérémie Pignard a commis plusieurs erreurs dont une erreur technique sur son visionnage des images sans avoir été sollicité par la VAR et surtout sans avoir déjugé sa décision initiale. Cette erreur technique va peser lourd dans sa notation et donc son classement en fin de saison. "Tout le monde s’y perd et les arbitres, les pauvres, ils sont perdus, juge un dirigeant de club du ventre mou. Ils sont coincés par le système donc ça joue sur leur prestation."

"Il faut aussi dire aux présidents de calmer un peu le jeu, répond un membre de la CFA. Je vous confirme qu’ils ne sont pas sereins. Ils ressentent une énorme pression qu’il faut absolument évacuer." Contacté à plusieurs reprises par RMC Sport, Antony Gautier, Directeur Technique de l’Arbitrage, est resté injoignable.

"Diallo? Courage, fuyons"

L’heure est en tous cas à la grande inquiétude au sein des clubs, alors que les prochaines décisions arbitrales seront peut-être des décisions "à 30 millions d’euros". Et quid du patron de la FFF, Philippe Diallo, qui a récemment reçu une délégation de présidents pour échanger sur l’arbitrage? "Courage, fuyons" sourit un président qui regrette le silence et la trop grande retenue du patron du foot français sur l’arbitrage.

Selon nos informations, plusieurs présidents ont directement sollicité Diallo en lui disant que la compétition n’est pas juste, qu’elle manque d’équité et qu’il est urgent de changer les choses. "Philippe a peur de bouger car il pense à sa réélection", pense un président. Lors d’un comité exécutif organisé en visio ce jeudi, les dirigeants de la FFF ont validé quelques modifications des futurs statuts de l’arbitrage dont ils avaient discutées ces dernières semaines.

L’une des évolutions réside dans le fait qu'aucun élu (présidents de district ou de ligue) ne pourra désormais être membre de la CFA (comme c’est actuellement le cas pour Eric Borghini ou Pascal Parent, tous deux présidents de Ligue). Ces changements seront soumis au vote de l’Assemblée Fédérale du mois de juin pour une mise en application le 1er janvier 2025. Pas sûr que cela soit suffisant pour calmer les pros qui aimeraient, eux, retourner la table du monde de l’arbitrage.

Article original publié sur RMC Sport