Lana Del Rey titre ses morceaux comme personne d’autre, une habitude qui en dit long

Lana Del Rey, ici au mois de mars, lors des Billboard Women In Music, à Los Angeles.
Lana Del Rey, ici au mois de mars, lors des Billboard Women In Music, à Los Angeles.

MUSIQUE - Le sens de la formule. Ce vendredi 24 mars, Lana Del Rey en témoigne une fois de plus avec la parution de son neuvième disque (sous ce nom de scène), dont la longueur du titre n’aura échappé à aucun fan : Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd (Saviez-vous qu’il y a un tunnel sous Ocean Boulevard).

Le morceau éponyme - le premier à avoir été dévoilé avant la sortie du disque - ne fait pas seulement référence au tunnel historique construit dans les années 1920 pour permettre aux piétons de la ville de Long Beach, en Californie, d’accéder plus facilement à la plage, il a aussi beaucoup à dire de la peur de l’abandon de la chanteuse.

Il est deuxième dans la tracklist de ce disque placé sous le thème de l’enfance et de ses relations avec sa famille, loin devant une autre balade au titre (attention) encore plus à rallonge : Grandfather please stand on the shoulders of my father while he’s deep-sea fishing. En français : « Grand-père, s’il te plaît, monte sur les épaules de mon père quand il pêche en haute mer ».

Pour la journaliste américaine Kathy Iandoli, les noms de ces deux morceaux sont, comme la plupart des titres de Lana Del Rey, une sorte de chasse aux œufs de Pâques pour les fans de la chanteuse. « Elle joue avec eux et leur glisse des indices », nous explique celle qui, entre octobre et décembre 2022, a donné une série de cours à l’université de New York sur la pop star de 37 ans.

Leur longueur est étonnante, mais pas inédite. Le morceau final de Norman Fucking Rockwell (sorti en 2019) peut en témoigner. Il s’intitule hope is a dangerous thing for a woman like me to have - but I have it. Deux titres sortis sur Lust For Life (2017) sont plus courts, mais nous procurent le même effet : God Bless America - And All The Beautiful Women In It (Que Dieu bénisse l’Amérique - Et toutes les belles femmes qui s’y trouvent) et When The World Was At War We Kept Dancing (Quand le monde était en guerre, on a continué à danser).

Lana Del Rey, la poétesse

Cette drôle d’habitude, devenue par ailleurs un mème, nous rappelle, selon Kathy Iandoli, que « Lana Del Rey est une poétesse ». La chanteuse s’y connaît en haïkus, ces petits poèmes extrêmement brefs d’origine japonaise. La parution, en 2020, de son premier recueil de poésie, qui en comptait quelques-uns, peut en témoigner. Il s’intitulait Violet Bent Backwards Over the Grass (Violette sur l’herbe à la renverse, Seuil). Un second (Behind the Iron Gates – Insights from the Institution) a été annoncé.

Et quand ce n’est pas dans les titres de ses chansons ou dans un livre, c’est dans ses paroles que la compositrice joue avec les mots. L’ouverture de The Grants le rappelle. « I’m gonna take mind of you with me », chantent des choristes. C’est une erreur volontaire. Ils disent « mind » (l’esprit) au lieu de « mine » (mien). Cela donne : « Je vais prendre ton esprit avec moi », au lieu de « Je vais prendre les miens avec moi ». Quelqu’un les arrête et les guide. Ils se reprennent, mais le « d » ne disparaît jamais vraiment.

Loin de l’époque de son premier album Born To Die, où ses détracteurs disaient d’elle qu’elle était une supercherie et une gosse de riche érigée en pin-up vintage par sa maison de disques, Lana Del Rey est aujourd’hui largement estimée pour sa prose. Elle est l’artiste féminine visionnaire de 2023, selon l’hebdomadaire américain Billboard. Et, d’après le magazine Rolling Stone, la meilleure autrice-compositrice de notre siècle.

Une influence majeure

Lana Del Rey n’a pas inventé les titres à rallonge. Il est difficile de rivaliser avec celui de l’album, sorti en 2012, par Fiona Apple : The Idler Wheel Is Wiser Than the Driver of the Screw and Whipping Cords Will Serve You More Than Ropes Will Ever Do (La roue libre est plus sage que le pilote de la vis et les fouets vous serviront plus que les cordes ne le feront jamais).

On doit, cependant, à l’interprète de High By The Beach (chanson de 2015) le mérite d’avoir introduit un nouveau courant dans la pop music en l’espace d’une petite dizaine d’années, nous dit Kathy Iandoli. « Elle parle de sujets graves, tristes, mélancoliques et introspectifs », soulève la spécialiste. Ses thèmes : la mort, les drogues, l’alcool ou l’argent. Le tout, sur fond de romance tragique, contrairement aux amours joyeux auxquels le genre musical nous a habitués depuis son apparition dans les années 1960.

« C’est peut-être aussi pour ça que beaucoup de gens, qui n’écoutent pas forcément de pop music en règle générale, se retrouvent dans ce qu’elle chante. Elle fédère ses fans et les personnes qui se retrouvent dans ce qu’elle dit », constate l’universitaire new-yorkaise.

D’après le magazine Billboard, la dernière décennie musicale n’aurait pas été la même sans l’encre noire de Lana Del Rey. « Elle a une influence majeure », ajoute Kathy Iandoli, selon qui certaines pop stars comme Billie Eilish et Lorde empruntent ces mêmes chemins assombris. Il faut ajouter Phoebe Bridgers, Halsey et encore Sky Ferreira. La liste s’allonge. Presque autant que ses titres.

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