L'"innocuité" des "polluants" PTFE dans les poêles SEB prouvée par la science ? Pas si simple

Les parlementaires français envisagent d'interdire les PFAS, ou "polluants éternels", dans des produits de consommation. En avril, lors de l'examen en première lecture du texte, les députés ont exclu les ustensiles de cuisine. Dans les semaines précédentes, le groupe français SEB, un des leaders du secteur, s'était fortement mobilisé contre une interdiction qui pourrait concerner le PTFE, un PFAS qu'il utilise dans les revêtements de ses poêles et casseroles. Ses dirigeants ont affirmé que son "innocuité" est "reconnue par les agences sanitaires française, européenne, et internationale" et que "la science s'est prononcée". Mais attention ce n'est pas si simple. Comme l'ont expliqué agences sanitaires et experts à l'AFP, les données sur ce PTFE sont incomplètes et/ou anciennes. Pour autant, en l'état actuel des connaissances, il n'y a pas de "signal d'alerte" et les autorités jugent son impact sur la santé "négligeable". Les scientifiques rappellent aussi, qu'en cas de mauvaise utilisation, l'innocuité de la substance n'est plus garantie, et les PTFE sont très persistants dans l'environnement.

Présentes dans une multitude d'objets de la vie courante, les substances per- et polyfluoroalkylées, ou PFAS, qui se comptent par milliers, doivent leur surnom de "polluants éternels" (archive) à leur capacité d'accumulation et de persistance dans les milieux naturels et les organismes des êtres vivants, et leurs effets toxiques avérés scientifiquement sur l'environnement (archive) et la santé (archive).

L'Assemblée nationale française a approuvé le 4 avril 2024 en première lecture (archive) une proposition de loi écologiste visant à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS : le texte prévoit d'interdire à partir du 1er janvier 2026 la fabrication, l'importation et la vente de tout produit cosmétique, de fart (pour les skis) ou d'habillement contenant des PFAS (à l'exception des vêtements de protection de certains professionnels comme les pompiers).

<span>Effets sur la santé des PFAS</span><div><span>SOPHIE RAMIS, JONATHAN WALTER / AFP</span></div>
Effets sur la santé des PFAS
SOPHIE RAMIS, JONATHAN WALTER / AFP

Lors de leur vote, les députés ont exclu du texte les ustensiles de cuisine, dont certains contiennent des PFAS. Mais les débats ne sont pas terminés : le texte poursuit son parcours parlementaire et le Sénat se penchera dessus le 30 mai 2024 (archive).

Avant que l'Assemblée n'exclue les ustensiles de cuisine, le fabricant SEB s'était fortement mobilisé : au son d'un concert de poêles, des centaines de salariés du groupe, soutenus par leur direction, se sont rassemblés la veille du vote à Paris, à deux pas de l'Assemblée nationale, pour demander le "retrait" de la proposition de loi, craignant qu'elle ne mette en péril leurs 3.000 emplois (archive).

<span>Concert de casseroles à Paris, place des Invalides, le 3 avril 2024, lors d'un rassemblement de salariés de Seb s'opposant à la proposition de loi prévoyant l'interdiction de produits contenant des PFAS à partir du 1er janvier 2026 </span><div><span>ALAIN JOCARD</span><span>AFP</span></div>
Concert de casseroles à Paris, place des Invalides, le 3 avril 2024, lors d'un rassemblement de salariés de Seb s'opposant à la proposition de loi prévoyant l'interdiction de produits contenant des PFAS à partir du 1er janvier 2026
ALAIN JOCARDAFP

A côté de cet argument social, SEB a aussi fait valoir que son PTFE était sans danger. Découvert par hasard dans les années 1940, le PTFE, aussi appelé Teflon, a beaucoup évolué: aujourd'hui, pour fabriquer ce composant chimique, les industriels français n'utilisent plus de PFOA (acide perfluorooctanoïque), interdit dans l'Union européenne depuis juillet 2020 (archive) et classé cancérogène pour l'homme par le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC), une agence dépendant de l'ONU, en décembre 2023 (archive).

SEB souligne ses efforts : le groupe français avait abandonné le PFOA dès 2012, soit huit ans avant son interdiction.

Le directeur général de SEB, Stanislas de Gramont, l'a assuré dans un reportage du JT de 20 heures de France 2 le 3 avril 2024: le PTFE est "un produit qui n'est pas dangereux, dont l'innocuité est reconnue par l'ensemble des agences sanitaires française, européenne, et internationale, pour un objet qui n'est ni important pour l'environnement, ni important pour la santé humaine". On peut l'entendre à partir de 16 minutes 38 secondes dans le reportage de la chaîne visible ici (archive).

<span>Le directeur général de Seb, Stanislas de Gramont, lors de la manifestation de salariés du groupe place des Invalides à Paris le 3 avril 2024</span><div><span>ALAIN JOCARD</span><span>AFP</span></div>
Le directeur général de Seb, Stanislas de Gramont, lors de la manifestation de salariés du groupe place des Invalides à Paris le 3 avril 2024
ALAIN JOCARDAFP

"La science s'est prononcée. Elle dit : il y a des polymères et des non-polymères. Les polymères ne sont pas dangereux parce que la structure de la molécule fait qu'elle ne peut pas se dissoudre. Nous, c'est les polymères", affirmait à son tour, le lendemain, le président de SEB Thierry de la Tour d'Artaise, dans ce reportage de France Inter (à partir de 2 minutes 17 secondes - archive).

"Les PFAS, c'est comme les champignons : il y en a des milliers mais il n'y en a qu'une petite centaine que l'on voit beaucoup, et il y en a des dangereux et des pas dangereux. Est-ce que pour autant on doit interdire tous les champignons ? Je ne le pense pas", a fait valoir Cathy Pianon, directrice générale des affaires publiques et de la communication de SEB, dans un entretien avec l'AFP Factuel le 5 avril 2024 (archive).

En tant que polymère fluoré, ou fluoropolymère, le PTFE est, comme un collier de perles, constitué de plusieurs monomères (archive). Ainsi doté d'une masse moléculaire élevée, il a la particularité d'être très stable : il est insoluble dans l'eau et résiste à des hautes températures, restant stable jusqu'à 250 degrés et entrant en fusion à partir de 327 degrés, précise l'Institut national de recherche et sécurité (INRS) sur son site internet (archive).

Comme elles sont généralement très résistantes aux autres agents chimiques, la chaleur ou la lumière, ces substances ne se dégradent pas et sont très persistantes dans l'environnement, rappelle l'Anses sur son site internet (archive).

Pour toutes ces propriétés, le PTFE est donc utilisé dans une vaste gamme de produits, des cosmétiques à l'isolation électrique en passant par les textiles déperlants, les poêles, les emballages alimentaires, les implants médicaux et l'industrie automobile.

<span>Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'une partie d'une fiche d'information de l'INRS sur le PTFE</span>
Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'une partie d'une fiche d'information de l'INRS sur le PTFE

La fabrication du PTFE, bientôt encadrée en Europe et en France?

Pour juger de l'innocuité du PTFE, il faut déjà comprendre comment est encadrée sa fabrication. Les industriels comme SEB  ne sont pas des chimistes, explique Cathy Pianon à l'AFP: ils achètent auprès de fournisseurs des substances chimiques - y compris des PFAS et des auxiliaires de traitement des polymères -  qu'ils assemblent. "Nous faisons sur site un assemblage des substances, appelé 'la sauce', avec une formule propriétaire, pour créer notre propre PTFE et enduire" les poêles, ajoute-t-elle.

Les polymères utilisés pour créer le PTFE échappent pour le moment au réglement Reach (archive) et n'ont pas besoin d'être enregistrés auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) pour pouvoir être vendus. Pourquoi cette exception? En raison de leur "nombre potentiellement élevé" sur le marché, et comme "il est généralement considéré que les molécules de polymère présentent un risque faible en raison de leur poids moléculaire élevé", explique le guide pour les monomères et polymères de l'ECHA (archive).

Sous certaines conditions, les fabricants et importateurs de polymères peuvent toutefois être tenus d'enregistrer les monomères et autres entrant dans la production des polymères, y est-il précisé. Toutes ces substances sont au final listées dans la base de données publique de l'ECHA (archive), sur la seule base d'études et données fournies par les industriels eux-mêmes.

Mais cela pourrait changer: cinq pays européens - l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège - ont déposé en 2023 une proposition (archive) auprès de l'ECHA visant à restreindre drastiquement l'usage de tous les PFAS, dans le cadre du règlement Reach.

L'ECHA a rappelé dans un mail à l'AFP le 8 avril 2024 que le PTFE "est inclus" dans la proposition et que ses comités scientifiques "l'évaluent actuellement" (archive)"Ainsi il n'y a pas de recommandations/opinions de l'ECHA actuellement disponible et pas encore de décision de l'Union européenne", a souligné l'agence.

Quant à l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, SEB affirme à l'AFP qu'elle considère le PTFE depuis 2009 comme un "polymère de faible préoccupation" ("polymer of low concern", PLC). Mais là encore, c'est plus compliqué que cela.

Après presque 20 ans de discussions, l'OCDE avait certes émis en 2009 une définition de ces polymères jugés peu préoccupants, ayant des "impacts insignifiants sur la santé humaine et l'environnement" et impliquant donc des exigences réglementaires allégées, mais n'avait pas poursuivi ses travaux en raison de "lacunes" dans les données, rappelle l'organisation sur une page dédiée (archive). Depuis, "en l'absence d'application d'un critère harmonisé et d'avancées scientifiques dans ce domaine", elle conseille aux acteurs du secteur de se conformer aux réglementations nationales.

En France comme au niveau européen, le PTFE pourrait être davantage scruté qu'auparavant: le 5 avril, le gouvernement a présenté son "plan interministériel sur les PFAS" qui prévoit notamment pour 2025 la mise en oeuvre d'"analyses exploratoires sur de nouveaux composés fluorés", notamment dans les "poêles antiadhésives" (archive). Jusqu'à présent, la DGCCRF (répression des fraudes) contrôlait seulement la présence ou non de substances interdites - comme les PFOA - dans ces produits.

Le gouvernement prévoit "d'étendre progressivement le champ des PFAS recherchés", ce qui nécessitera "au préalable un investissement pour acquérir le matériel indispensable à la réalisation de ces analyses".

Pour les agences sanitaires, "pas d'alerte" donc pas d'évaluation

SEB, lui, souligne le caractère inerte avéré de longue date du PTFE, et a fourni à l'AFP une liste d'études et textes prouvant selon le groupe l'innocuité des composants du revêtement de ses poêles. Mais hormis une étude coréenne de 2022 ayant montré l'absence d'effets de l'ingestion de microplastiques de PTFE par des souris (archive), une grande partie des liens fournis mènent à des études anciennes ou qui concernent des applications du PTFE autres qu'alimentaires - des implants médicaux par exemple.

Nous avons interrogé le Centre international de recherche sur le cancer, qui génère et évalue des données sur les causes du cancer mais ne délivre pas de recommandations sanitaires. Ses évaluations sont cependant "souvent prises en considération pour les politiques nationales et internationales", nous explique le  Circ le 8 avril.

En 1999, le Circ a classé PTFE dans le "groupe 3" (archive), celui des substances "inclassables quant à leur cancérogénicité pour l’Homme", à l'inverse d'autre PFAS comme le PFOA, depuis interdit dans la fabrication des poêles, qu'elle a jugé "cancérogène pour l'homme".

Pour autant, là encore, difficile de conclure : le Circ fait remarquer que sa dernière évaluation sur le sujet date de 25 ans et n'a pas souhaité commenter les affirmations de SEB, "en raison de l'ancienneté des évaluations menées" par ses services.

Du côté des agences sanitaires, peut-on dire comme l'affirme SEB qu'elles ont reconnu l'innocuité du PTFE?

En France, Matthieu Schuler, de l'Anses, nous répond  le 11 avril 2024 que "SEB considère que les études qu’il a recensées rendent sa démonstration robuste" mais que "l'Anses n'a pas fait d'évaluation directe du profil toxicologique du PTFE".

Pourquoi? Parce que, comme nous venons de le voir, le PTFE n'est pas soumis à autorisation auprès de l'ECHA, , mais aussi parce que, jusqu'à présent, "il n'y a pas d'élément d'alerte particulier à un niveau qui serait celui des PFAS les plus critiques parmi ceux faisant l’objet de la restriction portée par les cinq pays européens", a détaillé M. Schuler.

Il s'est notamment référé à une note du BfR allemand de 2018, l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR) dans une fiche d'information en 2018 (archive) : "Sur des conditions d’utilisation normale, il n’y a pas de raison d’avoir un transfert important de particules", même si "cela suppose de ne pas être dans l’utilisation d’ustensiles dégradés". Pour que le tetrafluoroethylène se libère, remarque-t-il, "il doit être chauffé à une température très élevée, supérieure à 360 degrés, soit bien au-delà de la température usuelle en cuisson".

<span>Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'une fiche d'information sur les ustensiles de cuisine, dont les poêles, aux revêtements en PTFE publiée par l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR) en 2018</span>
Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'une fiche d'information sur les ustensiles de cuisine, dont les poêles, aux revêtements en PTFE publiée par l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR) en 2018

Même son de cloche du côté de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa): dans une réponse à l'AFP le 10 avril, l'EFSA explique ainsi que "la migration d'éléments venant des ustensiles de cuisine (...) contribue probablement à exposer les personnes aux PFAS, mais cette contribution est faible par rapport à d'autres sources d'exposition". C'est aussi l'avis de la Food and Drug Administration américaine.

A cet égard, les emballages alimentaires sont considérés comme de bien plus grands vecteurs de PFAS dans l'alimentation. Les Etats-Unis ont ainsi décidé en février 2024 d'interdire ces "polluants éternels", qui étaient utilisés comme agents contre le gras, des emballages alimentaires tels que ceux des fast-food, les sachets de pop-corn pour micro-ondes, les récipients en carton pour les plats à emporter et les paquets d’aliments pour animaux.

En cas de mauvais usage, l'innocuité n'est plus garantie

Contrairement à ce que dit SEB, la science ne s'est pas vraiment "prononcée" : les experts interrogés par l'AFP expliquent que le PTFE n'a somme toute été que très peu étudié malgré ses 70 années d'existence et que l'émergence de nouvelles techniques va permettre de scruter en particulier les effets de ses microparticules. Pour Pierre Labadie, directeur de recherche au CNRS en chimie de  l'environnement, estimait auprès de l'AFP le 9 avril 2024 (archive) que "dire que le PTFE ne présente aucun problème de toxicité, c'est une présentation tronquée de la réalité".

Les expers conviennent qu'au stade actuel des connaissances, un usage selon les "conditions prévues" par les fabricants ne présente pas de risque important pour la santé, mais ils jugent ce critère réducteur, car en conditions réelles, beaucoup de consommateurs ne suivent pas ces conditions d'utilisation.

  • en cas de surchauffage:

Une poêle laissée trop longtemps vide peut surchauffer et produire des vapeurs toxiques, comme le notait le BfR (institut de l'évaluation des risques) allemand en 2018.

Xavier Coumoul, professeur de biochimie et de toxicologie à l'université Paris Descartes, reconnaissait lors d'un entretien avec l'AFP le 5 avril 2024 (archive), "une certaine inertie" du PTFE, mais selon lui "cela dépend des conditions physicochimiques d'utilisation". Il explique que si la poêle atteint les 360 degrés (en cas d'oubli sur la plaque par exemple), "il y a potentiellement rupture des liaisons entre les différents monomètres du PTFE et il peut y avoir relargage".

  • en cas de dégradation de l'appareil:

Avec un usage courant, quasi quotidien, les poêles et casseroles peuvent s'abimer: lorsqu'on utilise des couverts en métal pour remuer les aliments par exemple. L'utilisation du lave-vaisselle endommage aussi les revêtements:  Tefal (marque appartenant à SEB) recommande d'ailleurs le lavage à la main: "Certaines pièces peuvent s'émousser et se décolorer sous l'action de détergents corrosifs. Notre garantie ne couvre pas ce type d'usure", met en garde le fabricant sur son site (archive).

Une poêle abîmée peut aussi relarguer des PFAS, dont du PTFE à l'état de micro voire nanoparticules dont les effets sont pour l'heure mal connus.

Pour Xavier Coumoul, "rien ne prouve que lorsqu'on les ingère elles présentent une innocuité réelle au niveau intestinal, comme cela a été prouvé comme pour d'autres microparticules".

Pour Martin Scheringer, professeur de chimie environnementale à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (archive) et président du Groupe d’experts international sur la pollution chimique (IPCP - archive), la réponse à la question de l'innocuité du PTFE aussi "n'est pas claire et simple, ce n'est pas tout noir ou tout blanc : cela dépend de la manière dont les gens utilisent leurs ustensiles, cela dépend des processus de production - les fabricants utilisent différentes méthodes et le produit final n'est jamais du PTFE pur. Ce n'est certainement pas hautement dangereux, car ces produits sont sur le marché, mais c'est difficile d'avoir une analyse définitive", a-t-il souligné auprès de l'AFP le 10 avril 2024 .

Une substance "très persistante" dans l'environnement

Les scientifiques interrogés par l'AFP jugent que pour juger de l'innocuité des ustensiles SEB, il faut surtout  "dézoomer" de l'espace clos de la cuisine : l'impact sur la santé et l'environnement du PTFE se mesure également à l'aune de ses effets potentiels tout au long de son cycle de vie, de sa production à son traitement une fois arrivé en fin de vie (archive).

Cette substance "est très persistante dans l'environnement", et "les principales préoccupations pour le PTFE sont liées au processus de fabrication et à l'étape des déchets", a expliqué à l'AFP un responsable européen ne souhaitant pas être identifié.

Des microparticules de PTFE ont été retrouvées dans des sédiments de l'Océan arctique, et avec l'arrivée de nouvelles techniques, le champ d'étude des micro et nanoparticules de polymères est en pleine expansion.

<span>Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'un visuel du rapport 2021 de l'Agence européenne de l'environnement sur les "polymères fluorés dans une économie bas carbone, circulaire et sans produits toxiques"</span>
Capture d'écran, réalisée le 12 avril 2024, d'un visuel du rapport 2021 de l'Agence européenne de l'environnement sur les "polymères fluorés dans une économie bas carbone, circulaire et sans produits toxiques"

Une étude internationale de référence, publiée en octobre 2020 et qui s'attaquait au concept de "polymère de faible préoccupation" porté par les industriels, a montré que les fluoropolymères et l'utilisation d'aides à la polymérisation pour les produire pouvaient aboutir au relargage de substances non désirées à tous les stades de leur cycle de vie, recensant des cas notamment sur des sites aux Etats-Unis (archive).

Une autre étude, réalisée par des chercheurs canadiens et parue en février 2024, a montré que des PFAS non-polymériques, c'est-à-dire de petites molécules mobiles, sont contenues dans le PTFE et que celui-ci peut les relarguer (archive). Une étude "importante" pour Martin Scheringer, car "elle montre que ces polymères ne sont pas seulement des polymères, ils contiennent d'autres composés, qui n'étaient pas supposés être là" - sans que leur potentielle toxicité soit pour l'heure évaluée.

L'argument d'un PTFE non mobile et non biodisponible pour les organismes vivant est donc fragilisé, estime Pierre Labadie : "avec du PTFE potentiellement en particules submicroniques ou nanométriques, on change de dimension : la possibilité d'un franchissement des membranes cellulaires existe", ce que vient de montrer une étude de chercheurs en Corée du Sud parue en novembre 2023 (archive). Leurs données, certes préliminaires, apportent des éléments sur une perturbation des voies métaboliques à l'échelle cellulaire.

Le chercheur du CNRS s'inquiète aussi de pollution lors de la phase de production du PTFE: "on peut avoir, selon les procédés, des émissions de composés indésirables : des monomères, des oligomères [molécule au stade intermédiaire entre monomère et polymère, NDLR], des auxiliaires de synthèse", et "la thermodégradation du PTFE à plus de 400 degrés fait qu'on peut se retrouver avec du PFOA et d'autres composés de ce type", explique Pierre Labadie, en rappelant la situation environnementale autour du site chimique de Rumilly (archive), où est implantée une usine Tefal et où "une présence massive de résidus de composés liés au PTFE" a été retrouvée.

Attention toutefois: chaque industriel utilisant du PTFE possédant sa propre "recette" et des conditions de productions différentes, il est difficile de généraliser l'impact de cette production sur l'environnement et la santé.

Enfin, la "fin de vie" des poêles est aussi problématique: elles ne sont pas toujours recyclées et finissent souvent dans la poubelle des ordures ménagères. Là encore, il existe un risque d'émissions potentiellement toxiques et polluantes, selon M. Labadie, un incinérateur classique travaillant à 850 degrés, "ce qui dégrade le revêtement mais pas certaines substances, alors que pour une dégradation complète des substances issues de la thermodégradation du PTFE, il faudrait travailler au moins à 1.100 degrés voire 1.300-1.400 degrés, soit les températures utilisées dans les cimenteries et les incinérateurs pour déchets dangereux", explique Pierre Labadie.

Sur ce sujet, SEB rappelle faire des opérations de collectes de poêles usagées depuis 2012 pour les retraiter : en 2023, le groupe a récupéré 2,8 millions d'unités en France, souligne Cathy Pianon, tout en précisant que le seul site de Rumilly en produit chaque année "30 à 40 millions" (archive).